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Élections Canada 2011 - Le piètre bilan des Conservateurs n’a rien pour séduire les électrices

1er mai 2011

par Antonia Zerbisias, Toronto Star

 Lire aussi : "Six mythes au sujet du Canada et des questions aux candidat-es".



La main qui berce l’enfant pourrait-elle faire basculer l’issue des élections ?
C’est ce qu’affirment certains politologues qui tentent de prévoir les différents scénarios auxquels pourrait donner lieu le scrutin fédéral du 2 mai.

« On observe depuis une vingtaine d’années un écart entre le vote féminin et le vote masculin, explique Elizabeth Goodyear-Grant, professeure de sciences politiques à l’Université Queen’s. Les femmes ont davantage tendance à voter à gauche, les hommes, à droite. »

« Les Conservateurs s’efforcent de réduire cet écart en ciblant les électrices, ce qui est très intelligent puisque les femmes représentent une grande partie de l’électorat. Il suffirait pour qu’ils forment un gouvernement majoritaire qu’un et demi pour cent des électrices délaissent les autres partis pour voter conservateur ».

D’après un sondage en ligne effectué par la firme Ipsos Reid auprès de 33 000 personnes en 2008, 37 pour 100 des Canadiennes hors Québec ont voté pour les Conservateurs de Stephen Harper, contre 44 pour 100 des Canadiens. Beaucoup plus de femmes que d’hommes ont voté pour le NPD (27 et 20 pour 100, respectivement).

Lors des dernières élections générales, autant de femmes que d’hommes ont exercé leur droit de vote.

On peut toutefois se demander si l’opération de charme des Conservateurs ne vise pas que les femmes les plus traditionnalistes et les plus riches. Et si ces électrices sont assez nombreuses pour permettre aux conservateurs de former un gouvernement majoritaire.

Pensons à la mesure fiscale promise par les Conservateurs la semaine dernière, le fractionnement du revenu, qu’ils ont baptisée « baisse d’impôt pour les familles ». En 2015-2016, quand cette mesure entrerait en vigueur, les familles biparentales à un seul salaire pourraient diviser leurs revenus pour réduire leur facture fiscale.

Or, à peine 13 pour 100 des familles canadiennes correspondent à ce profil : deux parents et un seul revenu assez élevé pour répondre aux critères prévus. Par conséquent, seules les plus riches d’entre elles bénéficieraient d’une réduction d’impôt appréciable.

« Élargir l’accès au fractionnement du revenu n’aiderait pas les personnes les plus démunies, familles monoparentales, personnes seules, familles de travailleurs autonomes ou ne comptant aucun salarié », signale Erin Weir du Progressive Economics Forum.

Qui plus est, cette mesure qui pourrait coûter 5 milliards de dollars par année finirait par drainer des fonds servant à financer des services sociaux quasi-indispensables pour les Canadien-nes à faibles revenus. Il suffit d’imaginer le nombre de places en garderie que cette somme permettrait de créer au profit des mères d’enfants de moins de 3 ans, dont 64 % travaillent.

« On peut reprocher au gouvernement précédent de n’avoir pas mis à exécution son plan relatif aux services de garde, mais il faut se rappeler que la première décision de Harper dès son accession au pouvoir a été d’abolir la stratégie du gouvernement libéral en matière de garderies », note Caroline Andrew, directrice du Centre d’études en gouvernance de l’Université d’Ottawa. Il ne tient pas compte de la situation réelle des nouvelles familles ».

« Cette mesure repose sur une image romantique de la famille dont certains ont la nostalgie, une famille qui, dit-on, aurait mieux fonctionné que les familles d’aujourd’hui, mais qui n’a peut-être jamais existé », selon Linda Briskin, professeure au département d’Études des femmes de l’Université York.
« En fait, cette famille idéalisée n’a jamais existé pour la plupart des salarié-es, et la famille biparentale à un seul revenu est en passe de disparaître partout dans le monde ». « Cette mesure ne nuit pas seulement aux femmes, mais aussi aux hommes », ajoute-t-elle.

« Beaucoup d’hommes ont du mal à trouver leur place et à se définir comme des travailleurs, des soutiens de famille ou des chefs de ménage, pour reprendre des expressions chères à M. Harper, car ce n’est plus possible pour les hommes de nos jours ».

D’après un rapport du YWCA, le nombre de femmes a dépassé le nombre d’hommes sur le marché du travail au Canada en 2009.

Pourtant, sur le plan financier, les femmes sont encore en queue de peloton.
« Même si la proportion de mères actives sur le marché du travail a atteint un sommet historique au Canada, 23 pour 100 des femmes chefs de famille monoparentale ont encore un revenu inférieur au seuil de pauvreté », déplore le rapport. « Ces femmes gagnent encore moins des deux tiers du revenu médian des hommes chefs de famille monoparentale ».

Le YWCA indique aussi que, dans le dernier budget du gouvernement conservateur, 93 pour 100 des fonds de relance ont été investis dans des secteurs qui sont presque des chasses gardées masculines, comme la construction, les transports et les métiers. Ce qui n’est guère étonnant, puisque les Conservateurs ont systématiquement miné les droits des femmes depuis leur arrivée au pouvoir.

Des dizaines d’organismes de défense des droits des citoyen-nes, notamment le Programme de contestation judiciaire qui avait aidé les femmes à accéder à l’égalité constitutionnelle, ont été démantelés ou privés de fonds. En 2009, lors d’une réunion avec ses partisans tenue derrière des portes closes, Harper a qualifié de « groupes marginaux de gauche » les organisations qui revendiquent l’égalité des droits devant les tribunaux. Quand des femmes ont protesté, une sénatrice conservatrice leur a intimé en termes grossiers l’ordre de se taire ("Shut the f--- up)").

Le gouvernement Harper a fermé 12 des 16 bureaux régionaux de Condition féminine Canada.

Il a combattu l’équité salariale pour les travailleuses des organisations de ressort fédéral.

Harper a appuyé trois projets de lois de députés conservateurs visant à restreindre le droit à l’avortement. On ne devrait pas s’en étonner vu qu’il compte parmi ses plus proches conseillers des Conservateurs sociaux comme Guy Giorno et Darrel Reid, ancien président de l’organisme Focus on the Family Canada.

Il a mené une offensive en règle contre le registre des armes d’épaule, sourd aux craintes des femmes qui redoutent une hausse du nombre de meurtres conjugaux si le registre est aboli.

Malgré son programme législatif axé sur la loi et l’ordre, le gouvernement conservateur n’a rien fait pour élucider la disparition de plus de 500 femmes autochtones, présumées mortes.

La seule phrase qu’il ait rayée du formulaire détaillé du recensement portait sur le travail non rémunéré. Il éliminait ainsi cette mesure efficace du travail effectué et des soins prodigués par les femmes au foyer.

Quant à la succession de femmes nommées par Harper à la tête de Condition féminine Canada - Bev Oda, Helena Guergis et Rona Ambrose (qui a qualifié la stratégie libérale de garderies d’idée « d’homme blanc d’âge mûr ») - personne n’ose prétendre qu’elles aient défendu vigoureusement le droit des femmes à l’égalité, même si c’était là le mandat de leur ministère.

Pour couronner le tout, Harper a proposé en 2010 une initiative sur la santé maternelle qui ne comprenait aucun service de contraception, et encore moins d’avortement, alors que des centaines de milliers de femmes succombent chaque année dans le monde des suites de leurs maternités, et que 70 000 femmes meurent à la suite d’avortements illégaux.

« Il ne semble pas comprendre la notion d’égalité des sexes ni son importance », conclut Andrew.

Le bilan des cinq années du gouvernement Harper ?

D’après certain-es critiques, les femmes auraient été reléguées au second plan pendant cette campagne électorale et réduites au silence, n’ayant aucune organisation pour défendre leurs droits.

« On n’entend pas la voix des femmes, note Briskin. Le caractère autocratique du gouvernement Harper, sa façon de diriger le pays, son idéologie empreinte de conservatisme social nuisent tout particulièrement aux femmes et entravent singulièrement l’expression de leurs expériences ».

« Prétendre qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer les programmes sociaux, c’est attaquer les femmes et les familles de plein fouet, ajoute-t-elle. Les sommes qu’on entend consacrer aux prisons et aux avions de chasse sont colossales par rapport aux fonds investis dans les programmes à vocation sociale.

Devant ce piètre bilan du gouvernement conservateur, on a peine à croire que les stratèges de Harper pensent séduire les électrices qui ont jusqu’ici opté pour le NPD et le Parti libéral.

Mais alors, qu’espèrent-ils ?

D’après Andrea Perrella, directrice du Laurier Institute for the Study of Public Opinion and Policy, leur but pourrait être de pousser plus d’hommes vers la droite, accentuant un courant qui s’est amorcé au cours des années 1990 au moment où les rôles traditionnels ont commencé à changer.
« Les emplois masculins traditionnels, les emplois de cols bleus syndiqués, ont été durement frappés au cours des dernières décennies, dit-il. Les hommes qui, à l’époque, auraient occupé ces emplois relativement bien payés travaillent aujourd’hui pour des entreprises comme Walmart ».

« Financièrement, c’est un coup très dur », poursuit Pereira.

« Cela a peut-être suscité un malaise chez certains hommes, et aussi de la colère. S’ils sont nombreux à éprouver de la colère, ils auront tendance à voter pour le parti qui leur permettra le mieux de l’exprimer. Or, depuis une génération, les Réformistes, les Alliancistes et les Conservateurs ont fort bien su exprimer cette colère. »

« Il s’agit donc de savoir ce qui se passe non pas chez les femmes, mais chez les hommes, car c’est l’électorat masculin qui s’est le plus écarté de ses tendances traditionnelles. Et cela s’explique par le fait qu’au Canada, la droite est unie.

Source : Voices-voix.ca, coalition apolitique d’organisations et de personnes vouées à la défense de la démocratie, de la liberté d’expression et de la transparence au Canada.

Traduction : Marie Savoie

 Version originale en anglais : "Tory legacy leaves little to attract women voters", Toronto Star, le 1 avril 2011.

 Lire aussi :

  • "Dix raisons majeures de se débarrasser des Conservateurs de Stephen Harper", par Nadia Alexan

    Conservateurs et religion

  • "Des fous de Dieu chez les Conservateurs", par Hélène Buzzetti, Le Devoir, 7 avril 2011.
  • "Les évangélistes appuient les Conservateurs", par Hélène Buzzetti, Le Devoir, le 11 avril 2011.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 avril 2011

    Antonia Zerbisias, Toronto Star


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3836 -