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Le système prostitutionnel, un pilier de l’inégalité sexuelle et des violences envers les femmes

5 mai 2011

par Michèle Vianès, vice-présidente de la CLEF et présidente de Regards de femmes

Assemblée nationale, Paris, 26 octobre 2010, Intervention Michèle Vianès, présidente de Regards de Femmes et vice-présidente de la CLEF.

Le système prostitutionnel est un des piliers de l’inégalité sexuelle et des violences envers les femmes .

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Deux visions antagonistes : pour l’une, le corps humain, le sexe des femmes serait un produit marchand à intégrer dans l’économie mondiale ; pour l’autre, l’achat de « services sexuels » est considéré comme un frein à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les tenants de la première vision voudraient faire croire que les deux options ont la même valeur, utilisant, comme tous les obscurantistes, l’idée du « tout se vaut et s’équivaut ». Or les philosophes des Lumières et Diderot dénonçaient déjà « cette coupable indifférence qui nous fait voir sous le même aspect toutes les opinions des hommes. »

Le droit a une pleine égalité sexuelle des hommes et des femmes, au plaisir sexuel des femmes comme des hommes est détourné. Celui de n’être soumise à aucune exploitation sexuelle par le « Droit à être prostituée ». Le rapport de domination serait inversé, mais il n’est nullement question d’égalité. Un prétendu érotisme qui étale l’humiliation et la dégradation des femmes. L’absence de tabou pour la domination masculine et la soumission des femmes. C’est l’idée perverse du choix personnel de quelques personnes pour soumettre l’immense majorité des prostitués-e-s à subir violences sexuelles et exploitation.

Aubaine pour les proxénètes et les trafiquants d’êtres humains. La prostitution devient « travail » du sexe. Des associations d’aide aux prostituées sont ainsi financées par les proxénètes. Des syndicats de prostituées, tel le Strass, se forment, qui protestent non pas vis-à-vis des proxénètes ou des gouvernements qui ont légalisé les « industriels du sexe », mais vis-à-vis des associations qui osent émettre un autre discours que le leur.

Légalisation du proxénétisme industriel du sexe a pour corollaire la légitimation des clients comme consommateurs de sexe et non la liberté pour les prostituées.

Tant que l’achat de services sexuels ne sera pas pénalisé, que l’atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine ne sera pas interdite, tant qu’on pourra acheter un autre être humain, enfant ou adulte, toute femme sera considérée comme achetable, ce ne sera qu’une question de prix plus ou moins élevé.

Le système prostitutionnel repose sur le pouvoir donné par l’argent à l’encontre de personnes vulnérables à l’exploitation sexuelle en fonction de facteurs personnels, socio-économiques, politiques, et en difficulté financière, étudiantes, salariées aux fins de mois difficiles.

Le processus mis en place par les proxénètes pour conduire des personnes à la prostitution est classique : prendre au piège, créer de la dépendance, prendre le contrôle, pour une domination totale.

« La prostitution n’est pas une libération sexuelle, c’est une humiliation, une torture, un viol, une exploitation sexuelle qui doit être nommée comme telle. Les femmes dans la prostitution existent comme autant de corps sexualisés et marchandisés pour être appropriés, disséqués, fragmentés, usés et abusés. Elles servent les intérêts masculins d’hégémonie sexuelle ». Les liens entre prostitution et la traite sexuelle : manuel pour comprendre (LEF/CATW 2005).

Les vieux prétextes hygiénistes réapparaissent avec l’épidémie du sida : contrôle de la santé sous la responsabilité des prostituées. Le client et la demande sont invisibles. Or, dans les pays règlementaristes, dans le travail du sexe « en maison », le client est roi, et ses désirs de rapport sans préservatif, en payant le prix fort ainsi qu’avec des filles très jeunes ou en grande vulnérabilité, sont satisfaits.

Pour promouvoir la réouverture des bordels, les arguments hypocrites, protection contre la pluie ou le froid, prétexte hygiéniste, réapparaissent. Or, les maisons closes permettent de contrôler les prostitué-e-s, objetisées, en grande vulnérabilité, et non les clients. Certains n’hésitent pas à appeler au devoir de charité pour la sexualité des personnes handicapées ! Les associations de femmes handicapées, membres de la Clef ou du LEF, dénoncent la violence à double niveau. Celle due à l’utilisation de personnes handicapées, en particulier les femmes handicapées mentales ou pluri-handicapées comme prostituées et objets sexuels. Elles devraient en plus remercier leurs abuseurs puisqu’elles sont handicapées et qu’ils leur font l’honneur de les accepter comme « réceptacle à éjaculation ».

Quant aux hommes handicapés, il faudrait des services d’escorte dans le cadre de l’assistance sociale pour le bien-être des personnes handicapées, le plus souvent à la demande des familles, pour leur tranquillité.

La sexualité des personnes handicapées ne devrait jamais être prise en otage dans une tentative de saper l’un des fondements essentiels de l’égalité femmes-hommes.

Prétendus besoins irrépressibles des hommes

On revient aux schémas archaïques : les prétendus besoins irrépressibles des hommes et l’objetisation, la chosification du corps des femmes.

La bataille du clan règlementariste, en particulier dans les conventions internationales, utilise les énormes moyens financiers du proxénétisme et de la traite. L’OIT préconise une « approche pragmatique de la prostitution afin de l’intégrer légalement dans le PNB des pays d’Asie du Sud-est et de contourner la question du blanchiment d’argent ». Où s’arrêter ?

On a pu observer des liens stupéfiants afin de ne pas remettre en cause les législations nationales : les Pays Bas et Iran même combat, le premier afin de protéger les proxénètes légaux, le second pour poursuivre et exécuter les femmes prostituées.

En tant que référente pour la France du Centre européen pour une politique contre la violence envers les femmes (EPACVAW), je rappelle la position du lobby européen qui considère que la tolérance de l’UE pour le système prostitutionnel a une responsabilité sur la traite des femmes.
Selon l’ONU, 79% de la traite des êtres humains vise l’exploitation sexuelle, plus de 80% de ces victimes sont des femmes.
Le LEF et EPACVAW demandent à l’UE de s’engager fermement à éliminer toutes les formes de violence masculine envers les femmes au sein de ses frontières et à l’extérieur de son territoire, dans le cadre de la campagne « Pour une Europe sans prostitution »

Tant que le « client » sera considéré comme irresponsable, aucune solution ne pourra être efficace.

La Suède montre, depuis 2001, qu’une réelle insertion des prostituées et la pénalisation des clients entraînent une diminution des violences envers les femmes. En Suède, depuis 1956 pour tous les enfants, indépendamment de leur tradition religieuse ou culturelle, l’affirmation de la manière dont la société suédoise conçoit les rapports H/F, égalité des sexes et non-légitimité de l’achat du droit à jouir d’un corps, a permis 35 ans plus tard l’adoption du programme « la paix des dames » ! La pénalisation des clients, les politiques d’aide à la sortie de l’enfermement pour les prostituées font, qu’aujourd’hui, la Suède n’est pas une destination des trafics de prostituées pour les mafias proxénètes. Les 3 dernières enquêtes montrent que l’interdiction de l’achat de sexe a eu les effets attendus : plus de 70 % des personnes interrogées ont une opinion positive de la loi, en particulier les prostituées qui ont pu en bénéficier concrètement

A contrario, les pays « réglementaristes » voient un accroissement de ces violences. Le rapport fait à la demande du gouvernement allemand montre que les conditions de vie des prostituées ne se sont pas améliorées et que la sécurité des femmes n’a pas été améliorée. Le client est roi : ses désirs de rapport sans préservatif, ainsi qu’avec des filles et garçons très jeunes sont satisfaits, en y mettant le prix. L’exploitation sexuelle des enfants est facilitée partout où les « industries » du sexe sont tolérées.
La traite est amplifiée, proportionnelle aux profits. L’idée reçue selon laquelle sans prostitution les violences envers les femmes seraient accrues est contredite par de nombreuses études (depuis Kathleen Barry en 1979), qui prouvent les liens entre inceste, viol, violence domestique ou dans l’espace public et le « commerce » de la prostitution dans les pays règlementaristes où la situation des prostitué-e-s est dramatique.

Je vous rappelle les réactions médiatiques lorsqu’Eric de Mongolfier, procureur de Nice, en 2007, avait engagé des poursuites pénales à l’encontre des « clients » des prostituées. Cette violence inacceptable était justifiée sous prétexte que ce serait « le plus vieux métier du monde » et qu’on ne peut rien faire. L’esclavage aussi semblait à certain inéluctable. Mais comme le soulignait Victor Schoelcher : « Si on ne peut cultiver les Antilles qu’avec des esclaves, il faut renoncer aux Antilles. ».

Quant au prétexte de l’impossibilité d’éradiquer la prostitution, avec ce genre d’arguties, on peut se demander pourquoi on maintient des lois pour punir les assassins, puisque malgré les lois les assassinats perdurent…

Pour lutter efficacement contre le système prostitutionnel, il est indispensable d’agir sur la demande.

Considérer la prostitution comme un « travail du sexe » est une atteinte intolérable à la dignité humaine. Le corps n’est pas une marchandise ! Le corps humain est digne d’être protégé de toute exploitation et commercialisation. Cela a été rappelé par Axel Kahn dans la discussion sur la bioéthique et sur les mères porteuses.

C’est ôter la dignité aux femmes pour donner une dignité à l’industrie du sexe, aubaine pour les proxénètes et les trafiquants d’êtres humains. Qu’en est-il de la formation, de l’avancement, de l’application du droit du travail, en particulier celui contre le harcèlement sexuel pour les « travailleur-ses du sexe » ?

Le choix est simple : soit soutenir les mafias proxénètes en tolérant le commerce d’êtres humains, soit affirmer que personne n’a le droit de vendre ou d’acheter tout ou partie d’un corps humain.

Et donc pénaliser les clients, que l’achat sexuel concerne des personnes prostituées majeures ou mineures. L’actualité footballistique de cet été a démontré cette nécessité.

Pour la Coordination française du lobby européen des femmes la servitude, volontaire ou forcée, des prostitué-e-s exige de s’attaquer au système prostitutionnel qui repose sur la demande, le « client », et les proxénètes. Poser l’interdit, par la loi, de l’achat d’un acte sexuel, est le fondement d’une éducation non sexiste pour que les enfants, filles et garçons, se construisent en adulte respectueux de leur corps et de celui d’autrui.

Ceci est d’autant plus important que l’immense majorité de nos jeunes, très jeunes, ont un accès aisé aux images et vidéo pornographiques qui polluent leur imaginaire sexuel et qui reproduisent les schémas patriarcaux archaïques. Alors que l’immense majorité d’entre eux fait la différence entre la fiction cinématographique et la réalité, dans le cas des fictions pornographiques, ils sont persuadés que ce qu’ils voient est reproductible avec leur partenaire.

Il est donc indispensable d’informer sur la réalité de la prostitution et de démonter les stéréotypes

Et bien évidemment en application du protocole de Palerme, abroger le délit de racolage et mettre en place des politiques efficaces d’alternatives à la prostitution pour toutes les personnes désirant quitter l’enfermement prostitutionnel.


Communiqué, le 13 avril 2011

Regards de femmes approuve la pénalisation des clients de la prostitution

Regards de femmes approuve les conclusions de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le système prostitutionnel, présidée par Danielle Bousquet, avec Guy Geoffroy comme rapporteur : la responsabilisation des clients et leur pénalisation est indispensable pour lutter efficacement contre la marchandisation et l’exploitation du corps des femmes.

Pour lutter efficacement contre les violences envers les femmes, il est indispensable de poser l’interdit de l’achat d’un acte sexuel par la loi. Le corps humain n’est pas une marchandise et doit être protégé de toute exploitation, de toute commercialisation.

Cet interdit est le fondement de toute éducation non sexiste pour que les enfants, filles et garçons, se construisent en adulte respectueux de leur corps et de celui d’autrui.

Lors de son audition par la mission (voir le texte de l’audition ci-dessous), en octobre 2010, Michèle Vianès avait rappelé que le système prostitutionnel est un des piliers de l’inégalité sexuelle et des violences envers les femmes.

Le système prostitutionnel repose sur le pouvoir donné par l’argent à l’encontre de personnes vulnérables à l’exploitation sexuelle en fonction de facteurs personnels et en difficulté financière.

Le processus mis en place par les proxénètes pour conduire des personnes à la prostitution est classique : prendre au piège, créer de la dépendance, prendre le contrôle pour une domination totale.

Michèle Vianès avait également rappelé à la mission la situation dans les autres pays européens. D’un côté, les résultats positifs des pays qui pénalisent les clients, aussi bien pour les personnes prostituées mais également sur l’absence de réseaux maffieux. De l’autre, la situation dramatique des femmes et des jeunes filles, parfois mineures, dans les pays réglementaristes. Les rapports faits en Allemagne et au Pays-Bas alertent sur l’augmentation des violences envers toutes les femmes ainsi que sur la situation réelle des personnes prostituées.

Quant au prétexte de l’impossibilité d’éradiquer la prostitution, avancée par les prostitueurs, avec ce genre d’arguties, on peut se demander pourquoi on maintient des lois pour punir les assassins, puisque malgré les lois, les assassinats perdurent…

Il convient également, en application du protocole de Palerme, d’abroger le délit de racolage et de mettre en place des politiques efficaces d’alternatives à la prostitution pour toutes les personnes désirant quitter l’enfermement prostitutionnel.

 Site de Regards de femmes.

 Courriel.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 avril 2011

Michèle Vianès, vice-présidente de la CLEF et présidente de Regards de femmes


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