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Affaire Dominique Strauss-Kahn - Liberté oui, mais en toute égalité !

20 mai 2011

par Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe

Présomption d’innocence. Tout peut se résumer dans ces deux mots à condition que les deux protagonistes puissent s’en prévaloir. Que Dominique Strauss-Kahn soit innocenté ou non, ce qui m’a interpellée dans cette affaire, ce sont les premières réactions de la presse, des politiques, des philosophes, de la population dans son ensemble (sondages) et même des militants PS, voire LGBT.

Les premiers commentaires prenaient fait et cause pour M. Strauss-Kahn, il s’agissait d’un complot international, un homme aussi intelligent et riche, présidentiable qui plus est, ne pouvait commettre une telle erreur, d’autant plus qu’il peut « se payer n’importe quelle femme » ; les uns et les autres pensaient à lui, à sa famille et jugeaient le système judiciaire américain inhumain. C’est clair, il n’est pas tendre, mais s’il ne l’est pas pour M. Strauss-Kahn, puissant et capable de s’attacher la défense des meilleurs avocats, pensons au justiciable lambda et considérons au moins qu’il aura permis d’engranger rapidement des éléments scientifiques utiles à l’enquête tels que les prélèvements, marques de griffures etc.

Ce qui me préoccupe le plus dans cette affaire, c’est le peu de considération et d’intérêt accordé dans les premiers temps à la femme de ménage présumée victime de l’agression sexuelle. Au mieux elle était oubliée, au pire elle ne pouvait qu’être l’instrument du complot ou, plus grave encore, une menteuse, désireuse d’attenter à l’intégrité du puissant Directeur du FMI. N’est-il pas plus raisonnablement de penser, dans l’état actuel du dossier, qu’à l’instar de la plupart des Américains, elle ne savait pas du tout qui est Monsieur Strauss-Kahn ?

Que Monsieur Strauss-Kahn soit innocenté ou pas est affaire de justice, mais ce qui a déjà été établi, c’est que l’imaginaire collectif français soutient généralement l’idée que le harceleur sexuel est certes un peu lourd, mais surtout viril et entreprenant. Pourtant, qu’est-il d’autre sinon un prédateur qui abuse de son pouvoir physique et/ou social, financier, professionnel, etc. pour s’imposer aux femmes qu’il considère être avant tout des objets sexuels ?
L’agresseur et le violeur sont quant à eux supposés être des sortes d’aliens alors que, depuis des années, les féministes s’époumonent pour démontrer et expliquer à qui veut bien entendre, qu’il n’y a pas de profil-type du violeur, le cliché de l’étranger ou du pervers est erroné, et le voisin, le collègue, l’ami ou même le mari peut commettre un viol tout en menant une vie sociale et familiale parfaitement « normale ».

Il aura fallu quelques textes féministes publiés sur les blogues de Clémentine Autain (1), À dire d’elles (2), Osez le féminisme ! (3), etc.… pour réveiller les consciences et commencer ça et là à entendre des voix, jusqu’à enfin la déclaration de Martine Aubry, première Secrétaire du PS, s’élever et s’intéresser à la femme de chambre, au cataclysme, dans sa vie à elle aussi.
Sans présumer du tout de l’issue judiciaire de cette affaire, je trouve particulièrement inquiétante cette profonde scission (de trop rares exceptions : Patrick Jean, etc.) entre les femmes d’un côté et, de l’autre, les hommes, gays ou pas d’ailleurs, liés dans un même élan de communauté d’intérêt masculin. Une fois de plus, la démonstration est faite : en matière de sexe et/ou de genre, au 21è siècle, les femmes ne peuvent toujours compter que sur elles-mêmes.

La domination masculine a de beaux jours devant elle, les mentalités ne sont pas prêtes de changer.

Comment espérer, dans ce cas, que l’homophobie, la lesbophobie, la bi-phobie et la transphobie puissent réellement reculer en profondeur et pas seulement dans une égalité de droits qui est nécessaire mais insuffisante, puisque nous le savons, le rejet des différences est essentiellement lié au profond sexisme de notre société ?

Tant que des hommes, gays compris, ne remettront pas véritablement en question le machisme séculaire de notre culture, nous tournerons en rond et ce ne sont pas les pseudo-théories « queers-féministes » qui y changeront quelque chose.

Les « marches des salopes » ou théories « pro-sexe » ne font rien d’autre qu’ajouter à la confusion générale ; elles nous parlent de liberté, oui, mais jamais d’égalité.

Les « queers-féministes » veulent nous faire croire que le patriarcat a été vaincu, que les différences entre les femmes et les hommes sont abolies, que les contraintes de genres sont renversées, que nous sommes désormais seulement et tous queers et, donc, que nous pouvons toutes et tous librement nous adonner à toutes les formes de sexualité, à la prostitution aussi, sans que cela ne pose aucun problème d’égalité.

Ce n’est évidement qu’une théorie qui n’a pas grand-chose à voir avec la vie des femmes et des hommes de ce pays, indifféremment d’ailleurs de leur orientation sexuelle.

En réalité, les ardents défenseurs des théories « queers-féministes » sont majoritairement des hommes qui adorent les filles et les garçons qui jouent aux « putes ». À part défendre les intérêts des clients et des industries capitalistes du sexe, on ne comprend pas bien comment ils et elles comptent, en récupérant la colère légitime des femmes injuriées et traitées quotidiennement de salopes, aider notre société et particulièrement les jeunes femmes gavées d’images ultrasexualisées et de pornographie à s’affranchir de l’image survalorisée de la « salope » !

À mon sens, si les femmes doivent s’affirmer, dans les rues et dans leur vie quotidienne, dans leurs relations, leurs familles et dans l’entreprise, c’est bien pour rejeter tout amalgame avec le mépris et l’injure et, au contraire, pour revendiquer leur liberté, en toute égalité, ce qui signifie aussi le droit à l’intégrité physique.

Notre société pourrait tout y gagner si les femmes et les hommes de bonne volonté, « peuple de gauche » compris, voulaient bien lâcher un peu les vieux réflexes de notre culture si machiste et prêter un peu plus d’attention aux fondamentaux du féminisme que certains se plaisent à discréditer pour mieux conserver leurs privilèges.

Liberté oui, mais en toute égalité !

Notes

1. "Affaire DSK : il y a une tolérance sociale extrême face à cette histoire"
2. Site À tire d’elles
3. "Le traitement de l’affaire DSK entretient la confusion des esprits"

Source : Blogue de Christine Le Doaré. Texte publié avec l’autorisation de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 mai 2011

Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe


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