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Lettre au mouvement des femmes, aux féministes
Prostitution - Les féministes abolitionnistes ont le droit de s’exprimer sans être dénigrées

10 juillet 2011

par la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)

Montréal, le 30 juin 2011

Face à une série d’attaques ciblées, parfois subtiles, d’autres fois lourdes, qui visent les féministes abolitionnistes, nous vous interpellons en tant que membres du mouvement féministe au Québec en vous demandant d’y réagir.

Les féministes abolitionnistes s’attaquent au caractère fondamentalement patriarcal, mais aussi raciste, capitaliste et colonialiste de l’institution de la prostitution. Leur travail politique d’éducation, de prévention et d’intervention vise à outiller plus de féministes à saisir que l’industrie du sexe est illégitime et qu’elle doit disparaître. Il consiste aussi à donner aux femmes le droit de s’extirper de la situation d’exploitation inhérente à cette industrie. Elles travaillent de concert avec les femmes qui sont ou ont été dans l’industrie du sexe afin de s’organiser, de collectiviser leur vécu et d’agir dans une visée de transformation sociale. Elles savent que toutes les féministes ne sont pas d’accord avec l’analyse qu’elles portent. Mais, elles revendiquent le droit d’exister, de penser et de travailler dans cette perspective.

Les féministes abolitionnistes sont dénigrées publiquement et traitées, dans divers milieux, tels que les universités (incluant de la part de professeurEs), les médias sociaux (pages Facebook d’individuEs ou de groupes, blogs, sites Web) comme étant : « des moralisatrices chrétiennes ; de vieilles grosses laides qui n’ont rien à faire ; des cinglées ; des salopes et des nazies ». Des activités visant à faire connaître des outils de prévention d’entrée dans la prostitution s’adressant à un jeune public sont contestées, bien que ces outils impliquent des femmes qui auraient voulu bénéficier de ces mêmes ressources préventives. La publicité pour des services d’aide aux femmes exploitées sexuellement dans l’industrie du sexe est boycottée. Les féministes abolitionnistes luttent explicitement contre la violence masculine et elles se font dire qu’elles sont « dangereuses pour les femmes dans la prostitution » et, dernière injure, elles seraient « violentes envers les femmes dans la prostitution !!! ».

Des féministes qui prennent le risque de nommer et dénoncer la violence des hommes, des féministes ayant subi la violence des milliers d’hommes dans la prostitution, pendant 10, 20 ou plus de 30 ans, parfois dès l’âge de 2 ans, sont traitées de violentes envers d’autres femmes. Peu importe notre vécu ou notre expérience, nous croyons que de tout temps, il a été et est inacceptable de tolérer que des féministes utilisent des tactiques visant à museler d’autres féministes même lorsque nous avons des désaccords. C’est pourtant ce qui se passe présentement.

Ces stratégies sont indignes d’un mouvement, où l’on souhaite avoir des débats et faire des réflexions communes, nous menant vers de nouvelles actions ou un renforcement du féminisme. Il est inacceptable de dire que les féministes abolitionnistes sont violentes envers les femmes dans la prostitution. C’est d’autant plus inacceptable pour celles d’entre elles ayant été dans la prostitution !! Ces tactiques ont pour but de les faire taire et font aussi en sorte que certaines femmes et, particulièrement des féministes, hésitent à prendre position, car elles ne veulent pas être prises dans cet étau et vivre les pressions qui en découlent. Ces mêmes tactiques empêchent aussi des femmes dans la prostitution d’avoir accès à une autre perspective et d’autres choix. Évidemment, les féministes abolitionnistes n’ont pas l’intention de se taire.

De plus, depuis les 20 dernières années, au Québec, il a été très difficile de trouver l’espace pour présenter l’analyse féministe abolitionniste. Certaines reprochent aux féministes abolitionnistes d’être trop radicales ou « agressives » dans la défense de leurs idées. D’autres trouvent que le débat est trop émotif et ne veulent pas avoir à prendre position pour diverses raisons : peur du conflit et de la division possible dans leur groupe et/ou dans le mouvement, peur de ne pas respecter les femmes qui ont un vécu en lien avec la prostitution, etc. Même si les féministes abolitionnistes déplorent cet état de fait et espèrent, par leurs actions, permettre à de plus en plus de femmes de considérer que l’analyse féministe abolitionniste est la plus cohérente avec les idéaux de liberté, d’égalité et de solidarité, elles respectent le libre arbitre des individuEs ou des groupes à se positionner.

En tant que signataires, nous aimerions cependant entendre des féministes s’élever, de façon solidaire, contre les tactiques de dénigrement et de boycott. Nous réitérons que nous respectons le fait que certaines féministes n’aient pas la même analyse que les féministes abolitionnistes. Par contre, traiter les féministes abolitionnistes de tous les noms, les « étudier » comme phénomène de violence envers les femmes, appeler à boycotter des organismes comme la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, au nom du danger que les féministes abolitionnistes représenteraient pour les femmes dépasse toutes les bornes.

Le mouvement féministe n’est pas uniforme dans ses pensées, ses priorités et ses actions. Il nous semble cependant qu’aucun autre sujet pouvant nous diviser comme mouvement féministe, sauf la prostitution, ne semble susciter une aussi grande réaction d’un côté et un aussi grand silence de l’autre.

C’est pourquoi nous vous interpellons aujourd’hui pour que cessent ces tactiques et que nous puissions débattre, librement. C’est tout particulièrement important dans le processus des États généraux du féminisme. Nous vous demandons de ne plus tolérer ou endosser le dénigrement et de ne participer d’aucune façon au muselage de la position féministe abolitionniste. Quelles que soient les analyses portées par certains groupes féministes, quels que soient les enjeux, nous vous demandons d’agir quand ces groupes se font traiter de « cinglés » ou de « violents ». Certaines n’aiment peut-être pas entendre les féministes abolitionnistes, comme ces dernières n’aiment pas entendre des féministes défendre l’industrie du sexe. Les féministes abolitionnistes ne peuvent cependant les empêcher de parler et d’agir selon leurs convictions et ont droit au même traitement. C’est sur le plan des idées que nous devons mener nos discussions.

Plus spécifiquement, nous vous demandons à titre individuel de :

 Signer cette lettre (peu importe votre position sur la question de la prostitution) ;
 Dénoncer le dénigrement des féministes abolitionnistes lorsque vous en êtes témoin dans les espaces de discussion (que ce soit lors de réunions ou dans les médias sociaux) ;
 Vous engager à favoriser un espace exempt d’intimidation et de dénigrement lors des États Généraux du féminisme.

Cette lettre a déjà été signée par une centaine de personnes. Voir les signatures sur le site de la CLES

Pour signer cette lettre à votre tour, adressez votre signature à info@lacles.org

 Source : la CLES

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 juin 2011

la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)


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