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Affaire DSK - Et si c’était l’inverse ?

6 juillet 2011

par Dre Michèle Dayras, présidente de SOS-SEXISME

Si elle était blanche-juive-pauvre-immigrée, et lui, noir-musulman-riche-puissant, la justice américaine aurait-elle accordé autant de crédit aux dires de l’homme et de ses avocats ? Aurait-elle condamné la femme sans lui laisser la possibilité de présenter, publiquement, sa version des faits ? Quand on connaît le nombre de personnes, dites ‘de couleur’, qui hantent les couloirs de la mort aux États-Unis, on est en droit de poser la question de l’égalité des citoyen-ne-s devant la loi.

Notre pays n’est pas en reste. Depuis bientôt deux mois, les médias nous content l’Odyssée DSK. Comment un homme aussi puissant a-t-il pu en arriver là ? Si près de l’élection présidentielle ? Il ne peut s’agir que d’un complot organisé pour le faire tomber. À qui profite le crime ?

De la victime on ne parle jamais avec empathie. Le piège ne s’est pas refermé sur elle, mais sur le brillant Directeur général du FMI ; là est la tragédie, toute shakespearienne, à laquelle nous assistons, pantelants….

Le sexe du malheureux présumé violeur aurait été vampirisé par cette horrible femme de chambre, pourvue de pouvoirs maléfiques et tombée sous le charme de cet Apollon sortant des eaux. On se demande quand même, puisque la relation serait consentie, pourquoi les médecins ont mentionné des traces de blessures sur le corps de l’homme ? Une ‘gâterie-Sofitel’ en plus, en quelque sorte !

Nafissatou est une menteuse, nous explique-t-on. L’épouse d’un trafiquant de drogue. Elle a trompé les bureaux de l’immigration en inventant une histoire. Mais sait-on combien de personnes en font autant, chaque jour, dans l’espoir d’un avenir meilleur pour leur famille ?

C’est cette immigrée, que la France raciste et sexiste, ridiculise à longueur de séquences radiodiffusées, dans le but de renforcer le soutien de l’opinion publique à celui que notre pays attendait depuis si longtemps, son Sauveur ! Est-il nécessaire d’en arriver à ce point de bassesses, épistolaires et médiatiques, pour rétablir la virginité de DSK ?

N’aurait-il pas été plus aisé, pour Monsieur Strauss-Kahn qui se dit innocent, de raconter ce qui était arrivé dans la chambre du Sofitel ? Il est seul en piste actuellement. Sa contradictrice est cachée ; sous prétexte de la protéger, on lui dénie toute parole publique. Le présumé coupable a tous loisirs de s’exprimer, depuis qu’il a été relâché (ce qui plaide en sa faveur). Pourquoi ne le fait-il pas, s’il « doit se reconstruire, après ce qu’il a subi », comme le martèlent ses partisans ?

On a la nausée, en analysant ce mauvais feuilleton de l’été 2011 car, quelle qu’en soit l’issue, des vies seront gâchées. Si DSK est lavé de tous soupçons, c’est la femme de chambre qui sera emprisonnée pour mensonges, (la direction de l’hôtel a dû l’en informer, avant de l’inciter à porter plainte), en attendant l’expulsion vers son pays d’origine. Elle sera rejetée par la communauté musulmane à laquelle elle appartient, et l’opprobre accompagnera son existence et celle de sa fille.

Pourtant cette perspective ne semble pas suffire aux défenseurs et aux amis politiques de DSK. On pare donc Madame Diallo de l’étiquette de ‘prostituée’. Quelle somme a-t-elle réclamé pour sa prestation cinq étoiles ? Autant qu’une call-girl, habituée des lieux ?

Tous les coups bas sont possibles pour broyer et anéantir la victime présumée.
Misogynie, sexisme et machisme sont au rendez-vous pour démolir, à travers elle, les femmes et le féminin, dans la fraternité retrouvée et la parole déliée des hommes de la planète-France. Blagues graveleuses, plaisanteries douteuses, rires dégoulinants de suffisance masculine, insultes obscènes. Pour blanchir Monsieur Strauss-Kahn, il faut noircir Madame Diallo, selon le principe des vases communicants. C’est lâche et abject à la fois ! « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

Cet écœurement est aussi celui de la Directrice du Centre d’accueil des victimes de violences sexuelles d’Harlem : « Cette affaire me rend folle », dit-elle.

Devant un tel déferlement médiatique négatif pour les femmes, une question reste en suspens : une menteuse, une trafiquante, une prostituée peuvent-elles, encore, se prétendre violées ? Aurions-nous fait un bond en arrière, jusqu’à cette époque funeste où seules les femmes ayant une conduite exemplaire et irréprochable avaient l’opportunité de porter plainte, avec l’espoir d’être écoutées et entendues ?

Après un tel drame de portée planétaire quel sera, à l’avenir, le crédit accordé à la parole des victimes d’agressions sexuelles, cette parole qui a, déjà, tellement de difficultés à se libérer ?

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 juillet 2011

Dre Michèle Dayras, présidente de SOS-SEXISME


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