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Prostitution et traite des femmes - Le projet abolitionniste au congrès Mondes des femmes 2011

30 juillet 2011

par Lee Lakeman, Vancouver Rape Relief Center

Le congrès Mondes des Femmes 2011, dépourvu d’une structure plénière pour accueillir des résolutions ou déclarations venues des participantes, a proposé aux femmes qui souhaitent désespérément mettre fin à la prostitution de solliciter une des conférencières inscrites au programme, la professeure Kathy Lahey, pour qu’elle se fasse porteuse de notre message : imaginer un monde sans prostitution. Elle l’a fait et nous nous sommes levées pour l’acclamer.

Sous les applaudissements enthousiastes d’un public de 2000 femmes, Allan Rock, président et notre hôte à l’Université d’Ottawa, et ex-ambassadeur aux Nations Unies, a clos le congrès avec le message que nous lui avions aussi demandé de porter : « Nous devons partir d’ici plus résoluEs à mettre fin à toutes les formes de violence contre les femmes, y compris la prostitution. »

La dernière personne à intervenir lors de cette cérémonie de clôture a été la conseillère aînée de l’Association des femmes autochtones du Canada. Cette dernière ainsi que la présidente de l’AFAC, Jeannette Lavell, étaient drapées dans le châle rouge qui indiquait la participation à nos tables rondes et la solidarité avec les autres participantes à l’événement Flesh Mapping / Les draps parlent / Resistancia des Las Mujeres : le projet abolitionniste au sein de la conférence.

Nous exprimions l’opposition internationale du mouvement des femmes à la tendance à dépénaliser, légaliser et normaliser l’industrie transnationale du sexe.

L’exposition interactive Les draps parlent a été plébiscitée du matin au soir par les déléguées au congrès, avec des équipes de l’Office national du film, des photographes et des vidéastes composant de courtes vignettes avec nos invitées internationales. Mais cette activité s’intensifiait pendant 90 minutes chaque jour alors que 16 invitées des quatre coins du monde discutaient au centre de notre exposition de questions économiques, d’enjeux pour l’égalité, de récits personnels, d’obligations de l’appareil de justice criminelle et de la politique globale entourant la prostitution. Des centaines de femmes intéressées à ces discussions ont dépassé par centaines nos capacités d’accueil, et ce du début à la fin du congrès.

Notre table ronde a toujours inclus des femmes qui avaient été prostituées, des femmes des Premières nations, des invitées d’autres pays et des intervenantes antiviolence de première ligne. Nous avons fourni la meilleure traduction simultanée possible dans et à partir de trois langues. Notre stratégie éducative intégrait la prostitution et la traite des personnes, les jeunes filles et les femmes âgées indigentes, les femmes prostituées derrière des portes closes et les femmes de la rue, les citoyennes accréditées et les femmes sans papiers, les individues et les organisations, et nous avons constamment insisté sur la promotion de l’égalité et la sécurité pour toutes les femmes.
Comment obtenir la protection de l’État contre l’industrie du sexe ?

Nous nous sommes posé la question suivante : En cette ère de néo-libéralisme, de tyrannie et de capitalisme sauvage, nous qui vivons dans le ventre de la bête du patriarcat, en sachant que le gouvernement est souvent complice de la colonisation des femmes autochtones, qu’il est tolérant sinon complice de la violence des hommes contre les femmes et qu’il institutionnalise juridiquement la pauvreté des femmes, comment pouvons-nous demander, espérer et revendiquer par un travail de mobilisation la protection de l’État pour les femmes contre l’industrie du sexe ? Si les femmes ne doivent pas être achetées et vendues comme des marchandises, nous devons refuser que des femmes et des enfants prisEs au piège soient condamnéEs. Bien qu’il n’y ait pas de réponses faciles, nous avons confirmé que nous prenions la bonne décision en revendiquant la criminalisation de toutes les formes de violence anti-femmes, y compris la prostitution.

Malheureusement, nous avons également confirmé le fait que les femmes autochtones courent des risques partout : les migrations qu’imposent aux femmes l’exploitation intensive des ressources naturelles et la dégradation des sols, ainsi que les campements militaires et le tourisme, placent les femmes à la merci des prostitueurs-clients, des proxénètes et des trafiquants en nombre sans précédent. L’âge d’entrée dans l’industrie baisse sans cesse.

En essayant de décrire la nécessité que l’État intervienne, une jeune femme autochtone a indiqué qu’entre l’État et l’alternative que constituent les proxénètes, les gangs, et une industrie du sexe multinationale liée étroitement au crime organisé, il était préférable que nous soyons solidaires pour interpeller l’État. Il nous fallait lutter pour, d’une part, décriminaliser les femmes qui tentent d’échapper au précariat*, en reconnaissant leur démarche d’auto-défense contre la pauvreté et la violence, et, d’autre part, pour multiplier les possibilités de sortie de la prostitution, mais nous devions aussi exiger de l’État qu’il s’interpose entre elles et l’industrie en criminalisant les acheteurs de sexe.

Nous ne nous contenterons pas de réclamer des interventions destinées aux femmes qui essaient d’échapper à la prostitution, mais nous voulons également faire adopter à l’échelle mondiale des mesures de protection des ressources et des terres des femmes autochtones.

Dans la bataille pour protéger toutes les femmes de la violence, une stratégie primordiale consiste à refuser qu’il faille accepter d’être prostituées pour avoir accès à un avancement économique et social. Cet avancement, toutes les femmes y ont droit. Et, de plus, les femmes prostituées ont besoin de services leur permettant de se soustraire à cette condition. Nous avons discuté et tenté d’identifier quelles réformes pourraient être les plus transformatrices et pourraient mériter nos ressources limitées en temps et en énergie. L’offre d’hébergement, de counselling et de préservatifs, ainsi que les salaires d’enseignante-santé offerts à certaines sur la base d’une identification en tant que prostituée, ont leur utilité ; mais sans une condamnation claire de l’industrie et la création d’issues possibles, ce ne sont pas les actions que nous préconisons. Ce que nous voulons, ce sont des chances pour les femmes et les filles de s’identifier autrement que comme prostituées : un logement à long terme, la sécurité du revenu, des possibilités de transition hors de l’industrie et des programmes sociaux qui réduisent la vulnérabilité des femmes face aux recruteurs – voilà les ressources que nous devons obtenir.

Pendant ces échanges, des femmes canadiennes ont partagé l’expérience de nos combats devant les tribunaux. Des femmes nordiques nous ont parlé de leurs actions directes et du soutien syndical qui les a aidées à éviter les tribunaux. Des femmes du Danemark et de l’Australie nous ont rappelé à quel point la lutte devient beaucoup plus difficile une fois que la prostitution légalisée et normalisée s’est emparée de l’économie d’un pays.

La protection des droits des femmes migrantes et la protection du droit du travail pour les travailleuses domestiques et les soignantes étaient pour nous des valeurs évidentes. Nous rejetons la nécessité de « travailleuses invitées » dans l’hémisphère Nord et refusons les politiques d’exportation de la main-d’œuvre de l’hémisphère Sud. Nous rejetons l’exploitation de « travailleuses invitées », une solution des gouvernements néolibéraux en réponse à nos revendications féministes pour obtenir des services subventionnés de garde d’enfants, de soins aux aînéEs et de soins de santé. Nous rejetons les politiques d’immigration qui favorisent systématiquement les hommes par rapport aux femmes et qui privilégient les femmes qui demeurent sous le contrôle des hommes dans la famille. Nous rejetons la marchandisation des rapports humains et l’abandon cynique du projet d’égalité des quarante dernières années.

Nous refusons, à ce moment critique, l’idée d’un transfert de la responsabilité des violences masculines de l’État à la « communauté ». La plupart des communautés n’ont pas encore assez progressé sur la voie de l’égalité pour responsabiliser des hommes individuellement, même dans le cas de comportements d’exploitation qui menacent la vie.

Nous ne nous sommes pas laissé berner par un simulacre de progrès qui consisterait à nous rapprocher ou à nous éloigner d’un programme de « law and order ». Nous ne voulons ni l’un ni l’autre, mais l’application équitable de la primauté du droit. Nous rejetons le pouvoir donné aux policiers d’arrêter celles qui refusent d’être prostituées « à l’intérieur » au nom de la sécurité, le pouvoir d’arrêter ainsi celles qui refusent de s’identifier de façon permanente comme prostituées consentantes. Nous savons que l’ensemble des violences infligées aux femmes demeure un problème dont la police se préoccupe peu et mal. Nous imposerons des réformes dans tous ces domaines.

Des stratégies d’action transnationales

Les femmes réunies à nos ateliers ont élaboré des stratégies transnationales de libération de la même manière dont nous avions planifié notre installation et nos échanges : 1) Partir du principe qu’il n’y a rien à récupérer de la prostitution et aucune raison de la tolérer. 2) Commencer par la conscience, confirmée au cours du congrès, que les femmes autochtones sont la cible d’une prostitution brutale partout dans le monde et qu’elles doivent avoir une place centrale dans la création de toutes stratégies de solution. 3) Partir de la conscience que la prostitution contredit les droits humains des femmes, que les hommes n’ont aucun droit fondamental au sexe sur demande et que l’économie de l’inégalité ne peut pas justifier la demande de sexe contre de l’argent.

Nos projets visant à entraver le commerce des femmes et des enfants allaient du lobbying auprès des gouvernements nationaux à la planification de programmes d’éducation populaire afin de convaincre les hommes de cesser d’acheter du sexe et pour dénoncer ceux qui en achètent ; d’une campagne pour réunir les femmes en groupes d’action afin de protéger d’autres femmes, à l’exécution d’actions directes contre l’industrie du sexe qui exploite si directement les femmes et les enfants.

Notre accord était centré sur deux démarches. D’abord, la nécessité de criminaliser l’achat de services sexuels et de décriminaliser les personnes prostituées ou victimes de la traite. Puis, la nécessité de fournir et de redistribuer les revenus, le statut et les soutiens sociaux et économiques si essentiels aux femmes. Les participantes à la conférence ont particulièrement insisté sur les besoins des femmes nées dans la pauvreté et de celles qu’appauvrit le comportement violent des maris, pères, prostitueurs et proxénètes. Un revenu universel adéquat rencontrerait tous ces objectifs.

Le mardi 7 juillet, plusieurs centaines de déléguées sont descendues dans la rue aux côtés de l’AFAC pour attirer l’attention sur les femmes disparues et assassinées et sur la participation de l’AFAC à la lutte contre la légalisation du comportement des prostitueurs, des proxénètes et des propriétaires de maison de débauche. Nous avons convenu que la légalisation aggraverait à la fois la prostitution légale et illégale et augmenterait le nombre de femmes dans la prostitution de rue, où les femmes autochtones sont sur-représentées.

Certaines femmes ont recommandé de recourir au droit international et aux conventions des Nations Unies, y compris celles sur les Droits de l’Homme, dans des poursuites intentées par des femmes afin d’obliger les États à prouver qu’ils ont fait preuve de la diligence nécessaire pour que la justice pénale protège les droits civils et politiques des femmes. De même, des femmes insistent sur le fait que les tribunaux doivent obliger les États à instaurer des politiques économiques et sociales qui soient conformes aux obligations internationales de promouvoir la sécurité et l’égalité des femmes.

Beaucoup de femmes préparent des versions parallèles de rapports gouvernementaux où elles citent les promesses formulées dans la Déclaration de l’ONU sur l’élimination de la violence contre les femmes et la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en vue de créer des dossiers juridiques susceptibles d’être utilisés subséquemment en Cour.

Notre meilleur espoir semble être la compréhension collective du problème issue de vastes alliances du mouvement des femmes, recoupant toutes les classes sociales et les femmes marginalisées et colonisées. Nous avons discuté et défini des critères d’inclusion et d’une base d’unité significative dans les structures de telles alliances. À notre table, des alliances avec les travailleuses de première ligne ont contribué à rapprocher les femmes qui préfèrent les organisations indépendantes de l’État et celles qui choisissent de travailler au sein de structures institutionnelles autorisées, à l’ONU ou aux gouvernements.

Quand Allan Rock a clos le congrès au nom de l’Université d’Ottawa, il a déclaré que l’université avait un rôle à jouer dans la collecte et la transmission du « vécu réel des femmes, de leurs connaissances et de leur sagesse ». Endossant notre campagne abolitionniste, il nous a invitées à « revenir l’été prochain ». Il se peut bien que nous le fassions.

* Précariat  : néologisme de la sociologie, formé à partir des mots précarité et prolétariat, et définissant les « travailleurs précaires » comme une nouvelle classe sociale. (Wikipedia)

Traduction : Martin Dufresne

 Version originale en anglais.

Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 juillet 2011

Lee Lakeman, Vancouver Rape Relief Center


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