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"J’ai le sentiment d’avoir sauvé une vie”
Les femmes qui débarrassent le Liban des bombes à fragmentation

31 août 2011

par Rachel Stevenson, The Guardian

The Guardian, 2011

Une vidéo publiée par The Guardian* montre une équipe entièrement féminine exécutant le travail hasardeux et minutieux de retirer le matériel israélien non explosé de la guerre de 2006.



Ce n’est qu’en regardant attentivement qu’il devient évident que certaines des personnes corpulentes, dans des vestes blindées, qui fouillent les champs du Liban-Sud pour détecter des bombes à fragmentation, portent un hijab sous leurs casques protecteurs.

Autrefois enseignantes, infirmières, femmes au foyer, ce groupe de femmes est à présent entièrement formé pour chercher des mines et constitue la seule équipe de déblaiement uniquement composée de femmes au Liban, ratissant le sous-sol pouce par pouce pour retrpuver les restes d’une des armes les plus incidieuses de la guerre moderne.

C’est Lamis Zein, 33 ans, une mère de deux enfants, divorcée, qui dirige les femmes dans le champ et qui supervise l’équipe. Elle a été une des premières recrues de l’équipe, mise sur pied par l’ONG de déminage norvégienne Norwegian People’s Aid (NPA).

« Quand j’ai appris qu’ils recrutaient, j’ai présenté immédiatement ma candidature », a dit Zein. « Au début, les hommes ont été surpris de nous voir dans les champs, portant le même équipement de protection qu’eux, détruisant des bombes comme eux. Mais nous travaillons ensemble en tant qu’équipe de femmes. Nous partageons des choses que nous ne partagerions pas avec des collègues masculins. Nous faisons bien ce que nous faisons et nous montrons que les femmes peuvent effectuer n’importe quelle sorte de travail ».

Leur travail minutieux est devenu une nécessité, il y a cinq ans, après qu’Israël ait arrosé de bombes à fragmentation le Sud-Liban avec une telle envergure que l’ONU a condamné cet acte comme une « violation flagrante du droit international. »

Le combat a commencé en juillet 2006 quand le Hezbollah, le groupe armé islamique qui avait terrorisé Israël avec des attaques de missiles, a franchi un pas de plus et dressé une embûche contre une patrouille israélienne, tuant deux soldats et en kidnappant deux autres. A la mi-août, des discussions de cessez-le-feu étaient en cours. Mais l’assaut final d’Israël, 72 heures avant la paix le 14 août, a consisté à lancer pas moins quatre millions de petites bombes à fragmentation sur le Sud-Liban. Les bombes à fragmentation éclate à mi-air et dégagent des petites bombes qu’un impact est censé faire exploser. Mais beaucoup de celles qui ont été lancées sur le Liban n’ont pas explosé, restant au sol comme des mines terrestres pouvant exploser à tout moment. L’équipe des femmes travaille en tandem avec d’autres équipes de chercheurs, le tout coordonné par l’armée libanaise, pour nettoyer le matériel non explosé qui jonche encore la campagne. 

« Les femmes sont plus patientes que les hommes », a dit Zein. « C’est pourquoi nous faisons bien ce travail. Nous travaillons plus lentement – et nous sommes peut-être un peu plus effrayées que les hommes ».

Quel que soit le sexe de ceux qui cherchent dans les broussailles, le risque est toujours le même – un mouvement inconsidéré et ils peuvent perdre une jambe. Le jour précédent, un chercheur d’une autre équipe de déminage a été blessé, ce qui a rappelé à tous et à toutes le danger de ce boulot. C’est pour de bonnes raisons que chacun-e a son groupe sanguin brodé sur sa veste.

« Mes gosses s’inquiètent toujours pour moi, surtout hier quand ils ont entendu parler de l’accident », dit Abeer Asaad, une membre de l’équipe, mère de cinq filles. Elles m’ont demandé hier de quitter le boulot. Elles ont eu si peur. »

« J’étais sans emploi quand j’ai appris que le NPA recrutait des femmes pour une équipe de déminage et j’ai posé ma candidature sans le dire à personne, pas même à mon mari. Quand il l’a découvert, il ne voulait pas que je le fasse. J’avais peur aussi. Rien que d’entendre le mot « bombe », on a déjà peur. Mais quand j’ai commencé à travailler, cela a été différent, surtout si on est prudent tout le temps et qu’on suit les règles. On doit être attentives et se concentrer quand on est dans un champ, et on doit examiner le sol lentement. »

Zein aussi a dit que sa famille n’a commencé à accepter son boulot qu’après qu’elle ait été quatre ans dans les champs. « J’ai été professeure d’anglais pendant huit ans. J’avais envie d’un changement, et ceci ne pouvait pas être plus différent que d’enseigner. » « Ma famille, bien sûr, était inquiète, mais maintenant elle me demande chaque jour combien de bombes à fragmentation j’ai trouvées et combien j’en ai détruites. »

Elle est la seule femme à avoir reçu une formation pour détruire des explosifs et, à la fin de la journée, elle fait exploser les petites bombes qu’elles ont trouvées. « Je suis si heureuse quand on les trouve et que je peux exécuter ce pourquoi j’ai été formée. »

Elles ont trouvé 38 petites bombes dans le champ dans lequel elles travaillent depuis mai, et deux sur la route allant au site, que des véhicules utilisent tous les jours. D’autres personnes, qui se sont trouvées aussi près de petites bombes, n’ont pas eu autant de chance. Il y a eu environ 400 victimes, dont 50 morts, depuis 2006.

C’est un an après la guerre que Rasha Zayyoun s’est retrouvée sur la liste des victimes. La vie était redevenue normale pour la jeune fille alors âgée de 17 ans et sa famille, après la dévastation de l’été précédent. Son père avait ramené à la maison, pour qu’elle le nettoie, un boisseau de thym qu’il avait récolté mais aucun des deux n’avaient remarqué une petite bombe cachée dans les feuilles. En commençant à travailler, ses doigts ont touché l’engin, et pensant que c’était une saleté, elle l’a jeté de côté. En atteignant le sol, il a explosé. Rasha a perdu la jambe gauche en dessous du genou. « C’était si douloureux, c’était de la torture, a-t-elle dit dans la maison familiale du village de Maarakeh où elle essaie de se faire une vie comme couturière. Maintenant, j’ai une prothèse mais je ne peux marcher avec que quelques minutes. »

Des histoires comme celle de Rasha sont ce qui fait chanter et danser Asaad quand elle trouve une petite bombe. « J’ai le sentiment d’avoir sauvé une vie », dit-elle, rayonnante. « Quand je trouve une bombe à fragmentation et que je l’enlève, elle ne fera plus de victimes. Ce sentiment est indescriptible. »

« Nous sentons que nous faisons quelque chose pour le Liban », dit Zein. Nous permettons aux enfants de jouer en sécurité dans les champs et aux paysans de retourner dans leurs champs afin de gagner de l’argent pour leurs familles ».

Le Liban essaie de convaincre plus de pays de signer un traité international pour interdire les bombes à fragmentation et, le mois prochain, il accueille une convention internationale pour promouvoir la cause.

Mais pendant que le débat sur l’usage de bombes à fragmentation se poursuit, pour les femmes de l’équipe 4 du NPA, une autre journée se termine. À 15h, avec une température supérieure à 40°, les femmes emballent leur matériel, le placent dans une camionnette et retournent dans leur famille.

Zein compte leurs réalisations de la journée : 330 mètres carrés nettoyés, une petite bombe à fragmentation trouvée et détruite, toute l’équipe rentrée indemne. Cela a été une bonne journée, mais il reste 18 mètres carrés encore à nettoyer, il y en a encore beaucoup plus à trouver avant que leur boulot ne soit terminé.

* Voir la vidéo.

 Version originale : « ’I feel like I’ve saved a life’ : the women clearing Lebanon of cluster bombs », The Guardian, 12 août 2011.

 Traduction : Édith Rubinstein, liste des Femmes en noir, le 17 août 2011. Pour s’abonner à cette liste, voir ici. Révision : Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 août 2011

Rachel Stevenson, The Guardian


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