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La vérité sur l’esclavage sexuel planétaire, un livre de Lydia Cacho
5 septembre 2011
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Le livre Trafics – enquête sur l’esclave sexuel dans le monde, de la journaliste mexicaine Lydia Cacho, se démarque nettement des autres écrits sur la traite des femmes et des fillettes à travers le monde. Un "commerce" plus rentable, selon l’auteure, que la vente d’armes ou de drogues. Ce livre est poignant, tant par l’extrême courage démontré par l’auteure que par le style clair et vif du récit, direct, révélateur, sans aucune complaisance, qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page.
Cacho réussit à nous faire vivre avec elle le drame insupportable vécu par quelque 1,4 millions de femmes et de fillettes achetées et revendues chaque année sur le lucratif marché du sexe afin d’approvisionner sans cesse les marchés locaux de la prostitution en chair fraiche et de plus en plus jeune.
Durant six ans et sur trois continents - Amérique latine, Asie, Afrique - au risque de sa propre vie, la journaliste traque la vérité sur l’esclavage sexuel planétaire. Elle nous livre une centaine de témoignages bouleversants de femmes et de fillettes enlevées, violées, vendues et trafiquées, comme de simples marchandises, d’un bout à l’autre du monde à des fins de prostitution. Elle donne aussi la parole aux "survivantes" qui ont réussi à s’en sortir et à toutes les militantes qui luttent contre ce fléau apparu sous sa forme actuelle au XXe siècle et dont "le nombre de victimes dépassera bientôt, écrit Cacho, celui des esclaves vendus entre le XVIe et le XIXe siècle dans le cadre de la traite négrière".
Vaincre la peur pour dénoncer les responsables
La journaliste n’hésite pas à recourir à des déguisements et à de fausses identités pour pénétrer ce milieu dangereux. À ses risques et périls, Lydia Cacho interroge même ceux qui tirent les ficelles° : caïds du crime organisé, proxénètes, acheteurs de toutes les classes sociales, mafieux, militaires, journalistes, fonctionnaires et politiciens corrompus jusqu’à l’os. Tous ceux-là qui s’enrichissent au détriment des êtres les plus vulnérables. "La peur, toujours présente, dit-elle, m’a aussi rappelé qu’il est dangereux d’être une femme dans une société patriarcale".
La piste des marchands d’esclaves sexuelles la mène en Turquie, en Israël, en Palestine, au Japon, au Cambodge, au Vietnam, en Birmanie, au Mexique, en Argentine, au Moyen Orient. Douloureux voyage dont personne ne revient indemne. Après une telle lecture, le refus de voir et de dénoncer cette insoutenable réalité du trafic international des femmes apparaît pour ce qu’il est : un crime de non assistance à personnes en danger. Une complicité muette, lourde de conséquences pour l’avenir de l’humanité.
Normalisation de l’esclavage sexuel
Cacho démasque la montée d’une culture qui promeut la chosification humaine comme s’il s’agissait d’un acte de progrès, d’un libre choix, d’une source d’affirmation de soi pour celles qui sont violées à répétition par des hommes qui se croient tout permis du fait qu’ils paient. Ces acheteurs de femmes et de fillettes proviennent de toutes les classes sociales et de partout, de l’Europe et de l’Amérique du Nord, comme de l’Asie et de l’Afrique.
Afin de donner la mesure des enjeux, l’auteure écrit que l’argent, dépensé chaque année par les promoteurs de l’industrie du sexe "pour créer un lobby politique en faveur de la normalisation de l’esclavage, suffirait à nourrir tous les habitants d’un pays". Pour Cacho, "les revendications de celles qui se proclament travailleuses du sexe, reflètent l’intériorisation de la domination masculine et contribuent à celer encore plus l’exploitation d’autres femmes". Une position aberrante qui profite d’abord au crime organisé dont la force repose sur sa capacité de banaliser l’esclavage sexuel, d’acheter et de corrompre le milieu politique et d’investir l’argent sale de l’industrie du sexe dans l’économie légale, dans les banques, la Bourse ou les casinos des pays où il opère.
L’indifférence hypocrite des clients
Même si plusieurs pays sont signataires de conventions internationales contre le trafic des êtres humains, leurs propres lois restent en contradiction avec ces résolutions et autorisent la traite et la prostitution, considérées comme une véritable manne pour leur économie. Pourquoi, se demandent certaines femmes interrogées, la police s’en prend-t-elle continuellement aux victimes de la prostitution et de la traite et non aux agresseurs ? Pourquoi les proxénètes et les clients ne sont-ils pas inquiétés dans 90% des cas ?
Il y aurait 70% de clients en Thaïlande, au Cambodge et au Japon, destinations les plus prisées du tourisme sexuel, alors qu’en Europe, c’est l’Espagne qui atteint le plus haut pourcentage de prostitueurs. Elle parle aussi de Cancùn, Playa del Carmen, Acapulco au Mexique, comme destinations recherchées par des Américains et des Canadiens en quête de relations sexuelles avec des femmes de plus en plus jeunes et soumises.
La responsabilité de la mise en marché mondiale des femmes et des fillettes incombe non seulement au crime organisé et aux proxénètes, montre la journaliste, mais aux clients, dont la demande en hausse constante entraîne l’augmentation de l’offre. Responsabilité de tous ces pères de famille qui n’imagineraient jamais un tel destin pour leurs filles et répètent bêtement que "si les femmes sont prostituées, c’est qu’elles aiment ça".
Indifférence hypocrite de ces hommes ordinaires qui ne se posent aucune question sur leur droit inné d’accès aux corps de ces femmes ni sur les violences qu’elles ont dû endurer dans des maisons de dressage, où elles subissent des viols collectifs et sont droguées, pour être "formatées" à leur intention. Comme l’explique à l’auteure un proxénète, il s’agit de transformer le corps féminin en "un corps qui appartient et qui est voué aux autres". Le plus important étant de faire perdre toute estime de soi aux femmes et aux petites filles destinées à la prostitution.
La journaliste n’épargne pas non plus la religion, dont le renforcement de tous les stéréotypes sexistes encourage la subordination sexuelle des femmes, ni l’armée qui transforme les femmes des pays conquis en butin de guerre qu’elle livre en pâture à ses soldats. La réalité, conclut-elle, c’est que "toutes les 15 secondes, un homme choisit de maltraiter une femme".
Capitalisme et patriarcat
Pour l’auteure, ce nouvel esclavage sans frontières prend racine dans « le capitalisme sauvage qui fait qu’une vie humaine n’a pas d’importance ou n’en a que par rapport aux bénéfices qu’on pourrait en tirer, et le fait que l’on vive dans un monde patriarcal où la domination masculine est d’un poids tel que la femme n’est guère plus considérée qu’un objet."
Dans Mémoires d’une infamie (2008), Lydia Cacho a raconté comment sa dénonciation d’un important réseau pédophile au Mexique lui a valu d’être détenue et torturée par la mafia. Au moment même où j’écris ces lignes, cette courageuse journaliste vient de recevoir à nouveau des menaces de mort anonymes, de la part sans doute de ceux qu’elle continue sans relâche à démasquer (1).
Récipiendaire de nombreux prix, dont le Prix national de journalisme en 2002, le Premier prix des Droits de l’homme et le Prix Ginetta Sagan d’Amnesty International en 2007, Lydia Cacho poursuit son travail en donnant droit de parole à celles qui ne l’ont pas, aux côtés de survivantes qui, à l’instar de la Cambodgienne Somaly Mam, "véritable modèle de ténacité et d’astuce", consacrent leur vie à arracher femmes et enfants des griffes des proxénètes, des trafiquants et des clients. En nous incitant à lutter contre la décriminalisation de la prostitution, elle donne à la fin de son livre différents moyens d’action, à la portée de tout le monde.
Trafics – enquête sur l’esclave sexuel dans le monde de Lydia Cacho nous invite à réagir, avant qu’il ne soit trop tard, contre l’inhumanité qui nous gagne au nom du plaisir, du profit et du pouvoir masculin illimité sur les femmes. Un livre incontournable à lire et à faire lire.
Lydia Cacho, Trafics – enquête sur l’esclave sexuel dans le monde, Paris, Nouveau Monde éditions, 2010, 330 p.
1. Lydia Cacho Threatened Again, Amnistie Internationale, 30 juillet 2011.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 août 2011