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Prostitution - Confiance brisée

11 novembre 2011

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Il m’est difficile de dire la vérité sur la traite domestique, difficile de retourner à cet endroit. Mais la nuit dernière, je regardais un documentaire très imparfait qui m’a rappelé que je n’avais que 14 ans quand je suis entrée dans la prostitution.

Laissez-moi vous le redire encore une fois – je n’avais que 14 ans. Autant j’imaginais que j’avais le contrôle, autant j’imaginais être trop endurcie pour être blessée, autant j’imaginais savoir à quel point le sexe était de la merde – je n’avais que 14 ans et, étant jeune, je ne savais rien de la façon dont le commerce du sexe allait me bouffer et me recracher.

Je ne savais rien. J’étais très amochée par l’inceste, très amochée par la négligence affective de ma mère, très amochée par ma connaissance de la porno dure – mais je ne savais rien du fait que j’allais être si amochée que je deviendrais une morte-vivante.

On m’a entraînée à être une marchandise sexuelle, mais, à l’intérieur, j’étais si innocente, et je tentais si désespérément de trouver que la confiance pouvait exister réellement.

Voilà le problème de base, le principal à amener à la prostitution tant de jeunes filles, issues de tous les milieux, de toutes les classes sociales, des filles qui entrent et sortent de foyers d’accueil et établissements de détention – des filles qui veulent simplement de l’amour et n’en ont jamais connu.

C’est à ce point-ci qu’écrire devient particulièrement difficile. Il m’est difficile d’écrire sans détachement et beaucoup de froideur, difficile d’écrire sans dire « ce n’était pas moi mais toujours quelqu’un d’autre ». Dire la vérité exige de reconnaître combien il suffit de peu d’amour factice pour attirer n’importe quelle jeune fille dans le commerce du sexe.

Dire la vérité, c’est-à-dire que je n’avais aucune idée, à 14 ans, à quel point je désespérais de trouver une personne, des gens, à qui je pouvais faire confiance.

La confiance est quelque chose que la plupart des jeunes filles qui entrent dans le commerce du sexe veulent et dont elles ont besoin, davantage même que de manger ou dormir.

Le crime ultime de tout le piégeage des femmes et des jeunes filles dans le commerce du sexe est la façon dont les proxénètes et les prostitueurs manipulent ce besoin pressant pour le fracasser en mille morceaux.

Encore une fois, rappelez-vous que j’avais 14 ans. J’étais si jeune - et souvenez-vous qu’en fait j’étais déjà vieille, puisque en Occident, les jeunes filles sont piégées dans la prostitution à l’âge de 12 ans en moyenne.

Les filles veulent faire confiance, les filles veulent être aimées, et les filles veulent plaire afin d’être aimées. En fin de compte, les filles sont simplement en train d’apprendre comment trouver une place dans le monde.

C’est pourquoi trop de jeunes filles amochées et vulnérables deviennent des cibles faciles pour les profiteurs de l’industrie du sexe et donc il est plus facile aux prostitueurs sadiques de les amener à des actes sexuels terribles.

Comme des millions de jeunes filles prostituées, je voulais désespérément croire leurs fausses paroles amoureuses, je voulais être une adulte en ne refusant jamais de coucher avec leurs « amis », je voulais m’intégrer au milieu en acceptant toujours des consommations et des drogues.

Personne n’a jamais dit le mot « prostituée » : tout argent échangé était simplement un cadeau ou une faveur.

C’était seulement parce que j’étais très sexy que tant d’hommes étrangers voulaient me baiser – je devais m’en sentir flattée.

Seulement, je m’enfonçais dans le silence.

Le silence de savoir que quelque chose, quelque part, n’était pas du vrai sexe. À chaque fois que cela faisait si mal, à chaque fois que les hommes ne me parlaient jamais ou même ne me regardaient jamais dans les yeux, à chaque fois que les seuls mots échangés étaient avec d’autres hommes.

Le silence de voir de petits détails que je n’étais pas censée savoir. Comme de voir des files d’hommes qui attendaient pour me baiser, de voir d’autres filles au regard éteint, de voir des hommes donner de l’argent à d’autres hommes.

Mon silence était ma mort vivante.

Je perdais ma chance d’être jeune, je perdais toute voie de retour vers l’innocence.

Je vais pleurer cette perte jusqu’au jour de ma mort.

Traduit par Martin Dufresne

Version originale : "Broken Trust".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 novembre 2011

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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