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Prostitution - Je rêve de tout cœur

5 janvier 2012

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je pourrais écrire avec détachement, mais le chagrin me prend au cœur et tout ce qui me reste est d’expliquer pourquoi je dois rêver très fort.

Je n’ai aucune idée de la façon dont j’ai survécue à la prostitution. Tout ce que je sais tient à cette survie et au fait de me réapproprier lentement mes souvenirs et d’apercevoir mes vérités, que je dois transcrire pour faire partie du mouvement de libération de la classe prostituée.

Je n’ai pas d’autre choix que de dire mes vérités, même si cela m’impose des souvenirs corporels horribles, même si la mémoire fait resurgir la haine et la violence véritables que d’innombrables prostitueurs et profiteurs m’ont mises dans l’esprit et le corps, et même si ce travail d’écriture m’épuise et me rend malade.

Je n’ai pas d’autre choix que de dire mes vérités, car je ne peux pas et ne veux pas permettre que les mensonges et la propagande des partisans du commerce du sexe contrôlent toute l’information diffusée au sujet de la classe prostituée. Ma propre voix est l’alliée de celles des millions de femmes et de filles prostituées qui sont encore captives de l’enfer de la prostitution, comme de celles des nombreuses femmes qui ont quitté le milieu et qui vivent avec un traumatisme extrême. Je ne peux rester silencieuse en sachant que, à toute minute du jour, des prostituées sont sexuellement torturées, violées, mises au rebut, contraintes à tourner des scènes de porno dur et même assassinées.

J’écris pour la grande majorité des femmes et des filles prostituées, qui se sont fait voler l’espoir et leur essence même. J’écris à partir d’un lieu de douleur et de chagrin – mais je suis toujours reconnaissante d’avoir eu la force intérieure de conserver ma voix, alors que tant de brillantes femmes et filles prostituées ont vu leur voix volées.

Alors je rêve très fort.

Je rêve que le modèle nordique devienne la façon convenue d’entamer l’itinéraire menant à l’abolition de la prostitution. Je rêve que les hommes se demandent un jour, avec horreur et dégoût, pourquoi tant d’entre eux se sont crus par le passé en droit d’acheter et de vendre les personnes de la classe prostituée. Que cela sera vu comme barbare, comme un élément particulièrement stupide de l’ancienne nature masculine". (Lien.)

Je rêve qu’en vivant, un jour, dans un monde où la prostitution aura disparu, nous tirions des leçons de cette époque d’insensibilité, nous apprenions à ne jamais transformer quelqu’un en objet sexuel, nous apprenions à ne jamais reconnaître le soi-disant « besoin » des hommes d’acheter du sexe.

Je rêve que nous jetions toutes les excuses aux poubelles.

Que ce soit de comparer la prostitution à un service social – lorsqu’on nous fait penser à tous ces hommes laids ou handicapés ou qui ne peuvent pas communiquer avec les « vraies » femmes.

Que ce soit de prétendre que la prostitution prévient le viol de « vraies » femmes – ce qui rend acceptable le fait de torturer sexuellement une prostituée.

Que ce soit d’affirmer que la prostitution est acceptable si elle est légalisée et repoussée à l’intérieur – parce que, bien sûr, aucun homme ne pourrait jamais battre et violer une prostituée lorsqu’il est enfermé dans une pièce seul avec elle. Bien sûr que les profiteurs du commerce du sexe sont soucieux des lois et si respectueux de leurs marchandises prostituées.

Que ce soit d’affirmer que la prostitution ne pose aucun problème du moment que la femme a plus de 18 ans – comme si on ne voyait jamais de haine et de violence infligées aux prostituées adultes par les prostitueurs et les profiteurs. Et même si elle a pu entrer dans la prostitution comme mineure, on nous dit qu’elle acquiert subitement à 18 ans le contrôle total de sa vie et sera donc suffisamment en sécurité pour que la société lui tourne le dos.

Je pourrais continuer, mais je réponds déjà dans mes textes à ces excuses à n’en plus finir, à ces épanchements de sympathie pour les profiteurs et les prostitueurs.

Je rêve de pouvoir habiter un monde où ces excuses sont détruites, créant un espace où l’on pourra entendre la voix de la classe prostituée.

Il faut que je rêve – parce que la colère, le chagrin et la douleur ont besoin de rêver qu’il existe un espace sur cette planète pour les personnes prostituées – nous ne pouvons demeurer perpétuellement des personnes jetables.

Il me faut rêver plus fort.

Version originale en anglais.

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 janvier 2012

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4069 -