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Le féminisme n’est plus le mouvement révolutionnaire qu’il a été
Une entrevue avec la féministe hollandaise Cisca Dresselhuys

20 janvier 2012

par Ann Peuteman et Han Renard

Pendant des décennies, elle a été l’une des féministes des plus influentes aux Pays-Bas.

« Mais avec des talons hauts et bien du maquillage », dit-elle. Cisca Dresselhuys parle des hommes qui craignent la révolution, des femmes qui n’arrivent pas à choisir, du féminisme qui s’est essouflé, du port du foulard islamique, de l’affaire DSK et de bien d’autres sujets.

Elle est déjà à la retraite depuis quelques années maintenant, mais elle a dirigé pendant 27 ans le mensuel féministe Opzij (De côté) qui est une publication importante en Hollande. Outre d’avoir été rédactrice en chef, Cisca Dresselhuys est évidemment féministe. « C’était presque un travail à temps plein, dit-elle. C’est comme féministe qu’on me demandait toujours mon commentaire dans les médias. Ce qui faisait que les gens s’intéressaient davantage à mon idéologie qu’à mon métier. Et pour Opzij, c’était évidemment une bonne affaire que j’apparaisse si souvent à la TV. Et si c’était possible, je me rendais toujours à cette sorte d’invitation. À moins, évidemment, que ce fût vraiment idiot (…) »

Aujourd’hui, le journal Opzij existe encore mais il est lu beaucoup moins avidemment qu’il l’était pendant la grande époque de la deuxième vague féministe. En outre, le féminisme n’est pas vraiment dans le vent aujourd’hui, surtout pas aux yeux des jeunes femmes qui commencent leur vie professionnelle.

***

Q : D’après vous, comment cela se fait-il ?

Cisca Dresselhuys - Les féministes ont toujours eu une image négative : haïsseuses d’hommes, lesbiennes, moches, habillées dans des sacs de jute, sans maquillage. On a pourtant tout fait pour aider le féminisme à se débarrasser de cette image. Moi-même, je disais toujours : « Je suis une féministe, mais je suis aussi amateure de maquillage, d’escarpins, de rouge à ongles et de beaux vêtements. De quoi êtes-vous donc en train de parler ? » Mais ce n’était apparemment pas suffisant.

Q : Le cliché est trop opiniâtre ?

Cisca Dresselhuys– C’est parce que, pour beaucoup de gens, il était avantageux de maintenir ce cliché. Il y a bien longtemps, par exemple, je me trouvais pour Opzij à un salon du ménage. On y avait un joli stand entre les rabots à concombre et du matériel pour faire des boucles et nous pouvions distribuer gratuitement des journaux. Soudain, un homme est revenu vers notre stand et il a jeté ces journaux dans notre direction. « Ma femme n’a pas besoin de cela », a-t-il dit.

Sur ce plan, les hommes étaient assez futés. Ils voyaient clairement que le féminisme était un mouvement révolutionnaire, encore plus que le socialisme et le communisme. Seulement nous, nous n’avions heureusement pas causé de morts. Le féminisme était quelque chose qui se déroulait dans sa propre maison : à l’intérieur des murs se déroulait une lutte. Nous voulions des chances égales et à qui devions-nous les exiger ? Naturellement aux hommes, et donc aussi à notre propre homme. Les hommes ont ressenti très vite que cela allait ronger leurs racines, et ils ont donc conservé le préjugé que le féminisme était réservé à des femmes laides qui n’arrivaient pas à avoir un homme. Pour l’image du féminisme, cela ne s’est jamais arrangé plus tard.

Q : Entre-temps le féminisme a échoué dans des eaux très tranquilles. On ne peut tout de même plus parler aujourd’hui d’un mouvement révolutionnaire ?

Cisca Dresselhuys- Pour le moment, c’est en effet plutôt calme sur le front de l’émancipation. Le féminisme se trouve même actuellement presque sous terre. Du moins en Hollande. Autour de 1900, on a eu la première vague féministe, avec le droit de vote comme objectif de lutte. Après cela, il n’y a plus rien eu pendant longtemps. En 1967, on a eu la seconde vague féministe, à laquelle j’ai moi-même appartenu. Celle-là s’est évanouie depuis et maintenant nous sommes en train d’attendre une troisième vague. Parfois on pense qu’on y est, parce que deux ou trois femmes veulent s’organiser, et puis cela disparaît de nouveau.

Le féminisme a naturellement déjà acquis beaucoup. Sinon, je ne serais jamais arrivée à être rédactrice en chef et vous ne seriez pas journalistes. Tout ce que font des femmes, étudier à l’université, aller chez les pompiers ou l’armée, c’est grâce au féminisme. Et justement parce que tellement a été réalisé, le féminisme n’est plus un mouvement aussi florissant qu’il y a 40 ans. Mais en venir à dire maintenant que ce n’est plus nécessaire… Surtout en temps de crise comme maintenant, si on réduit beaucoup les dépenses, on doit en tant que femme rester sur le qui-vive pour qu’on nous ne reprenne pas de nouveau des acquis.

Q : Ne voyez-vous pas aujourd’hui de signes précurseurs de cette troisième vague qu’on attend depuis longtemps ?

Cisca Dresselhuys - J’ai cru pendant longtemps qu’elle naîtrait en Hollande autour d’une femme comme Ayaan Hirsi Ali. Parce qu’il y a évidemment parmi nous un grand groupe de femmes allochtones*, dont une grande partie vit encore au Moyen Âge. C’est pourquoi j’ai cru que Ayaan Hirsi pouvait être la pionnière d’une vague dirigée vers les femmes allochtones. Mais cela ne s’est pas produit, elle est partie. Dans le domaine de l’émancipation des femmes allochtones non occidentales, il doit encore se passer beaucoup de choses.

Q : Certaines coutumes que Ayaan Hirsi Ali met au pilori, comme le port du foulard, ne sont-elles pas trop souvent défendues au nom du féminisme ?

Cisca Dresselhuys- Le foulard est sûrement une question qui fait débat chez les féministes. J’ai bien expliqué déjà 600 fois mon propre point de vue (elle soupire). Pour ne pas m’étendre : je ne trouve pas qu’il faut interdire le foulard, mais j’y suis bien opposée. En Hollande, j’ai un jour provoqué une dispute quand j’ai dit que je ne voulais pas à Opzij une rédactrice avec un foulard. Des masses de courriels furieux, les médias me culbutaient. Pourquoi, à mon avis, ne pouvait-il pas y avoir une femme avec foulard à Opzij ? Parce que nous, comme féministes, nous nous sommes affranchies de beaucoup d’années d’oppression religieuse. Et alors je laisserais aller dans la rue, au nom d’Opzij et du féminisme, une rédactrice ornée de ce que je considère comme un signe d’oppression ? Cela, je ne le voulais pas et on m’en a beaucoup voulu, mais je maintiens encore toujours ce point de vue.

Q : Celles qui ne travaillent pas à Opzij peuvent porter un foulard ?

Cisca Dresselhuys- À part cela, je trouve simplement qu’on doit pouvoir en porter. C’est ce foulard qui permet à beaucoup de jeunes femmes de travailler à l’extérieur. Il est vrai qu’en Hollande, on le voit beaucoup plus qu’il y a quelques années. C’est une sorte de rébellion de jeunes femmes allochtones : je suis qui je suis, et cela je le ferai voir. De plus, les jeunes femmes le portent aussi parce qu’alors on les laisse tranquille, et cela, je ne trouve pas que c’est une motivation élégante.

Les musulmanes doivent porter un foulard, les femmes juives orthodoxes mariées se rasent la tête et mettent une perruque, nos femmes SGP (le parti hollandais réformé orthodoxe) ne peuvent pas se couper les cheveux et doivent porter un chapeau quand elles vont à l’église. C’est donc toujours orienté sur les cheveux des femmes. Pour le dire un peu crûment : nous les femmes devons faire en sorte de ne pas émoustiller les hommes. Cela non plus, je ne trouve pas que c’est un objectif féministe. Si les hommes estiment qu’ils doivent réprimer leur sexualité, qu’ils aillent prendre une douche froide.

Q : Au fond, comment êtes-vous venue au féminisme ?

Cisca Dresselhuys- Via le journalisme. Je suis devenue journaliste dans le journal Trouw (Fidèle) à 18 ans. J’étais la première et l’unique femme de la rédaction. Quand est survenue la seconde vague féministe au milieu des années 1960, je rédigeais la page féminine. Et ainsi, j’allais pour le journal à toutes ces nouvelles initiatives. À un moment donné, je me suis dit : je ne suis pas seulement ici comme journaliste, cela me concerne aussi.

En réalité, on peut arriver au féminisme de deux manières. La première, par la raison : la conviction qu’il va de soi que la moitié de la population mondiale ait les mêmes droits que l’autre moitié. À côté de cela, beaucoup de femmes ont rejoint le féminisme parce qu’elles ont été victimes de violence ou d’inceste. Le mouvement des femmes était la première organisation où elles pouvaient raconter leur histoire.

Q : Tant d’années après la seconde vague féministe, les femmes ne reçoivent toujours pas un salaire égal pour un travail égal, et il est assez fou que personne ne s’insurge vraiment contre cela.

Cisca Dresselhuys- Les femmes sont naturellement aussi de temps en temps de bonnes bêtes. Elles pourraient faire beaucoup plus de bruit pour beaucoup de choses, mais d’une manière ou d’une autre, cela ne se trouve pas dans leurs gènes – du moins chez beaucoup. Elles se plaignent bien entre elles en faisant leurs courses, mais passer à l’action, holà. J’appartiens naturellement à la génération qui, elle, est passée en action. Je n’ai jamais marché avec des talons hauts derrière un calicot (banderolle) à La Haye, mais on peut aussi passer à l’action dans le journalisme.

Q : N’est-il pas vrai que les femmes négocient moins bien leur salaire ?

Cisca Dresselhuys- Il est vrai que les femmes sont moins sensibles que les hommes au statut que donnent une auto ou des salaires, mais elles ne s’y prennent pas très bien pour solliciter quelque chose. Comme patronne, j’ai toujours dû engager des femmes. Chez moi elles venaient bien sûr dans un endroit convenu – il n’y a pas d’hommes qui travaille dans un emploi permanent à Opzij. Mais alors ces femmes commençaient leur discours de sollicitation ainsi : « Savez-vous ce que je ne connais pas bien. » Alors j’éclatais de rire et disais : « C’est précisément ce qu’il ne faut jamais faire. » Quand des hommes dans une entrevue d’emploi s’entendent dire qu’ils ont besoin d’un permis de conduire spécial, ils pensent déjà : j’irai le chercher demain. Mais les femmes disent : « Oh non, comme c’est dommage, je n’en ai pas ».

Q : Les femmes ne sauraient pas non plus travailler en équipe.

Cisca Dresselhuys- Les hommes qui dirigent une entreprise se sentent toujours comme un poisson dans l’eau. Ils sont souvent entourés d’hommes qu’ils connaissent déjà de leur club étudiant, du golf ou du Rotary. Comme femme dirigeante, on est souvent assez solitaire dans ce milieu. Alors il vaut mieux faire en sorte qu’un homme plus âgé vous prépare et vous soutienne. Les hommes jeunes ne cèdent rien, mais un homme plus âgé qui a déjà fait carrière, oui.

Q : Êtes-vous partisane de quotas pour le conseil d’administration de grandes entreprises ?

Cisca Dresselhuys- Peu à peu, oui. Ce n’est évidemment pas un système idéal – mais on a déjà tout essayé, de l’action positive à la discrimination positive, et tout cela a rapporté trop peu. Certains disent que les quotas ne peuvent pas marcher parce qu’il n’y a pas assez de ces femmes compétentes, mais je trouve qu’on doit l’essayer.

Q : On entend dire souvent que les femmes ont moins d’ambition.

Cisca Dresselhuys- C’est vrai en partie. Aux États-Unis, par exemple, les femmes sont beaucoup plus ambitieuses. L’ancien directeur de KPN, notre grande entreprise de télécom, m’a dit un jour, pendant une interview, que les dirigeants d’entreprise américains ne savaient même pas si les femmes qui travaillaient chez eux étaient mariées ou si elles avaient des enfants. Ce n’est simplement pas un problème là-bas. Elles sont toujours au travail et elles peuvent aussi participer à des voyages à l’étranger. Mais croyez-moi, je ne trouve pas cela si bien non plus. Mais en Hollande, tout le monde en fait une grande affaire, quand on est cadre et qu’on a des enfants. Cela provient peut-être aussi du fait, qu’en Hollande, les femmes pendant longtemps n’ont pas été obligées d’aller travailler, contrairement, par exemple, aux femmes belges. Maintenant 70% des femmes hollandaise travaillent, mais presque toutes à temps partiel.

Q : Trouvez-vous regrettable que des femmes à haute qualification ratent des possibilités de carrière par le travail partiel ou en ne travaillant pas du tout ?

Cisca Dresselhuys- Oui, je trouve cela dommage. J’ai déjà dit souvent que la vie de l’entreprise et la politique devraient s’adresser davantage à des femmes de plus de 40 ans. Elles ont déjà derrière elle toutes ces responsabilités avec les enfants. Pensez à des femmes comme Hillary Clinton.

C’est toujours délicat, car on ne peut pas s’attaquer à ses semblables, mais les femmes doivent naturellement aussi savoir qu’on doit choisir dans la vie. Et qu’on ne doit pas toujours vouloir tout en même temps. Quand on commence une carrière politique alors qu’on veut devenir enceinte, alors je pense qu’il ne faut pas cela en même temps.

Q : Les médias, ces dernières années, se sont en tout cas féminisés. D’après vous, est-ce aussi visible dans les articles de journaux et à la TV ?

Cisca Dresselhuys- Oui, on peut le voir un peu dans certains journaux. Pendant les 20 ans que j’ai travaillé moi-même à un journal, j’ai été souvent frappée du fait que je mettais en évidence d’autres sujets que mes collègues masculins. Ils s’amenaient alors avec des propositions très embrouillées pour des récits sur la situation de notre économie, mais moi je voulais écrire sur les gens. Ils proposaient une comparaison approfondie entre la pensée actuelle et celle des philosophes du 18e siècle, et alors je disais : « Vais-je cette fois écrire un récit sur l’anorexie ? »

Mais depuis, les temps ont changé et les médias ont de toute façon beaucoup plus d’intérêt pour les soi-disant sujets humanitaires. Aujourd’hui, les gens ont envie de lire sur les gens. Ils ne veulent pas seulement entendre que cela va mal en Grèce, non, ils veulent apprendre de la bouche de Grecs à quel point cela va mal. Ils veulent entendre qu’un tel Grec a dû mettre sa vieille mère à la rue avec un verre de lait et une biscotte parce qu’il ne pouvait plus lui donner autre chose à manger. En soi, je trouve que ce n’est que positif que les choses s’humanisent davantage et je crois que cette approche a été en partie suscitée par les femmes.

Q : Comment trouvez-vous que les médias se comportent avec un macho connu comme Dominique Strauss-Kahn ?

Cisca Dresselhuys- Je trouve que cela peut encore aller. En cette année 2011, on n’entend chez nous que peu de bruits concordants sur ce que cet homme a fait. Pas non plus chez les hommes. Peut-être qu’il faut aller en Europe du Sud pour trouver des gens qui trouvent Strauss-Kahn et Silvio Berlusconi des types terriblement piquants. Ce qui me fascine énormément dans cette affaire, est l’attitude des épouses, de femmes comme Anne Sinclair ou Hillary Clinton qui continuent à soutenir leur homme même quand il est en train de baiser énormément autour de lui. Le font-elles par amour ? Pour le pouvoir ? Pourquoi, que diable ?

D’un autre côté, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être et il faut parfois attendre la suite de l’histoire.

Q : Vous voulez dire que ces femmes finalement quittent tout de même leur homme ?

Cisca Dresselhuys- Certaines, oui. Prenez ici en Hollande le mariage entre Bram Peper et Neelie Kroes, tous les deux des politiciens connus. Quand Peper, comme ancien bourgmestre de Rotterdam, a été compromis dans ce qu’on a appelé l’affaire des petits bonnets et a même finalement dû démissionner comme ministre, Kroes a continué à le soutenir. Du moins sous le regard de la caméra. Mais quand toute l’affaire a été derrière eux, ils se sont séparés. Je soupçonne que cela s’accompagne d’un certain calcul. Chez l’une plus que chez l’autre. Prenez Hillary Clinton. Son mari pouvait bien la tromper, cette dame avait elle-même de grandes ambitions et elles savait qu’elle n’arriverait pas à les faire valoir comme femme divorcée.

Q : Certains faiseurs d’opinion se sont moqués de la soi-disant attitude bégueule de toutes sortes de féministes dans l’affaire D.S-K.

Cisca Dresselhuys- Allez vous coucher ! Un sale type comme cela qui s’accroche à une femme de chambre. Bah ! Cela on ne peut tout de même que le désapprouver ? Oui, certains viennent alors avec l’argument de l’accord réciproque. Ridicule ! Cette femme est venue là pour nettoyer la chambre et soudain un homme est sorti en courant, nu de la salle de bain. Qu’est-ce que cela a à voir avec un accord réciproque ? Et il faut encore y ajouter que ce Strauss-Kahn se trouvait bien au-dessus de cette dame en ce qui concerne son statut social. Je trouve que cela sent le rance qu’un homme puisse encore croire que le monde fonctionne ainsi.

Q : Opzij, le mensuel féministe dont vous avez été 27 ans la rédactrice en chef est toujours une valeur sûre en Hollande. Avez-vous une idée pourquoi en Belgique il n’y a jamais eu de demande pour ce journal ?

Cisca Dresselhuys- Nous avions pourtant en Belgique quelques centaines d’abonnements. Dans les années 1990, il y avait aussi dans Opzj pendant un certain temps des pages belges rédigées par d’aimables femmes belges qui étudiaient à l’Université de Louvain. Mais après un certain temps on les a supprimées car elles revenaient trop chères.

Q : Avez-vous l’impression que pendant toutes ces années vous avez écrit pour des convaincues ou avez-vous vraiment exécuté un travail missionnaire ?

Cisca Dresselhuys- Nous avons sûrement eu de l’influence. Quand je suis arrivée à Opzij, le journal avait un tirage de 17 000 exemplaires, mais plus tard dans notre période florissante, il a atteint 94 000 exemplaires – beaucoup plus qu’on avait jamais imaginé. On nous lisait donc beaucoup. Nos propres gens bien sûr, mais aussi La Haye politique. Sûrement ma rubrique interview « Avec la vision féministe », où je présentais souvent des ministres, des chefs de fraction ou des députés connus.

Q : Ces messieurs haut placés osaient-ils laisser mesurer leur bienveillance envers les femmes ou deviez-vous insister longtemps ?

Cisca Dresselhuys- La plupart s’intéressait vite à ma question. Sûrement quand j’étais déjà occupée depuis un certain temps. Alors certains, pour ainsi dire, attendait qu’arrive leur tour. Pendant le conseil des ministres hebdomadaire, ils se mettaient parfois à comparer leurs points. Parce que je leur donnais naturellement un score : entre – 10 et 10. Et j’étais très sévère.

Finalement, j’ai fait quelques 150 interviews, avec des politiciens comme Wouter Bos et Bram Peper, mais aussi avec Jos Brink, le directeur des chemins de fer hollandais et le rédacteur en chef de Gay Krant (Le journal gay). A la fin de l’interview, je leur demandais naturellement toujours des choses concernant le ménage. Je me souviens que le ministre Henk Kamp avait raconté qu’il repassait toujours lui-même ses chemises. « Et comment faites-vous cela ? », lui avais-je demandé. « Par quoi commencez-vous ? » Et lui d’expliquer qu’il commençait pas le col et ensuite les manches. « Mais je suis incapable de le faire sans planche à manches », avait-il dit très sérieusement. Je n’ai pas insisté. Quand je le rencontre encore maintenant, je m’informe toujours de sa planche à manches. (Elle rit.)

Q : Ces hommes avaient-ils peur de vous ?

Cisca Dresselhuys- (Elle ricane) Ils disaient parfois que oui. Quand c’était terminé. Certains demandaient alors aussi une explication concernant leur score et voulaient même une revanche. Ils y en avaient aussi qui étaient vraiment saisis par leur résultat.

Q : Etes-vous toujours une féministe aujourd’hui ?

Cisca Dresselhuys : Oui, mais entre-temps, j’ai laissé derrière moi la lutte des femmes. Je suis maintenant à la pension comme rédactrice en chef d’Opzij, je travaille encore comme journaliste pigiste et j’ai récemment écrit un livre sur le travail après 65 ans. Car les vieux peuvent aussi avoir besoin d’un peu d’émancipation. Ou bien on pense qu’ils sont tous sur une plage lointaine avec à la main un pina colada, ou bien ils sont décrits comme de vieux incontinents qui ne se déplacent plus qu’en chaise roulante. C’est pourquoi je veux faire quelque chose d’émancipatoire sur cette manière de voir.

C’est cela, maintenant, mon combat.

* Le terme allochtone est utilisé aux Pays-Bas (allochtoon) et en Belgique (au départ en néerlandais, mais de plus en plus également en français) pour désigner des personnes ou des groupes de personnes d’origine étrangère, il peut recouvrir différentes définitions, y compris légales. (Wikipédia)

 Extrait du supplément entièrement consacré aux femmes publié par l’hebdomadaire flamand Knack, le 7 décembre 2011, sous le titre : « À quelle émancipation les femmes peuvent-elles prétendre au-delà du plafond de verre ? » Entrevue réalisée par Ann Peuteman et Han Renard.

 Traduction : Édith Rubinstein, de la liste de diffusion Femmes en noir, du 13 janvier 2012, que nous remercions. On peut s’abonner à cette excellente source d’information en allant sur ce site ou par courriel.

Révision : Micheline Carrier, Sisyphe

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 janvier 2012

Ann Peuteman et Han Renard


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