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Petites sépultures et autres berceaux
III - Le Feu

12 novembre 2004

par Louky Bersianik

Question posée à des écrivains : ‹‹S’il y avait un incendie chez vous, qu’emporteriez-vous ?›› Réponse de Cocteau : ‹‹J’emporterais le feu !››

1

L’Immatériel avance
À grands pas dans la matière
À grands pas dévastateurs
Dans la matière vivante
Dans la matière atroce des cris

Avance dans la matière grise
Férocité voracité
Dans les plis profonds
De la conscience humaine
Dévoration

L’Insatiable s’avance
À grandes enjambées ravageuses
Une très grande forme en mouvement
Dans la matière ligneuse
Jusqu’au ras du sol forestier

Le passe-muraille s’élève
En colossales envolées et fonce
Dans la matière des gratte-ciel
Avalant le verre et l’acier

La fumée en volutes déferlantes
La chute des ailes de suie
Le feu est un grand oiseau
Un grand oiseau de proie

Ce prédateur est un vieux phénix
Qui couve ses renaissances
Sous les cendres de ses proies

Little boy my love
Hiroshima mon amour
Enola Gay Miami Floride :
Maman j’ai peur !
C’est moi tout à l’heure le monde
À feu et à sang
Moi l’éblouissement mortel
À perpétuité

2

L’Insaisissable
Se saisit de tout
Sur son passage
Et l’engouffre
Se saisit de tout
Ce qu’il touche
Et l’anéantit

Il craint l’eau
Qui ne songe qu’à l’éteindre
Il craint la terre
Qui ne songe qu’à l’étreindre
Il craint le vent
Quand le vent souffle la bougie
Il le convoque bruyamment
Quand le vent répand l’incendie

L’Immatériel est sans forme
Sans couleur précises
Il s’en crée sans cesse
Et les abolit aussitôt
L’Impitoyable
N’a qu’une seule odeur
La même pour la peur
Et pour le rucher de la joie
Et pour le lit de satin
Bûcher cruel de la jeune
Veuve sati

Plus implacable
Que le feu meurtrier
Qui consomme et consume
Le mort et le vif est la main
Inhumaine qui l’allume
En tant qu’énigme
Il opérait par magie
Un jour il fut découvert
On alla le chercher
Dans les entrailles de la terre
Et sur la peau du soleil

On l’a trouvé
Entre deux cailloux
Depuis lors il s’est laissé
Peu ou prou apprivoiser

3

Qu’est-ce qui fait bouger les flammes ?
C’est l’oiseau l’Oiseau de feu
Qu’est-ce qui fait voler l’oiseau ?
C’est son rêve intemporel
D’être une forme immatérielle

Le Fuégien bientôt le fugitif
Ma terre de feu mon cerceau
De braises ignition première
De mes adolescences

Sidonie la voleuse de feu
L’oriflamme
De quelques passions
Dans mes vies ultérieures
Le cœur de Lou
Brûlé au dernier degré
À son feu intérieur
Feu ma mère oh !

Où est allée la lumière
Sereine de ses yeux ?
Tandis que la petite lampe
De mon père à ma fenêtre
Brille toujours

Ce vol de lucioles qui m’éclaire
Ces langues de feu qui me lèchent
Et me tiennent bien au chaud
C’est là le constant berceau
De mes naissances

J’ai appris à dormir
Au fond des volcans
Pour entendre battre
Leur cœur nucléaire
Pour éprouver le feu
Qui m’habite et l’effroi

Le grand Romantique
Le grand Rassembleur
Le grand Transformateur
Le grand Artifice
L’Ange exterminateur
Le feu c’est mon soleil
Le feu c’est mon tombeau

Revue Le Sabord, #62, mai 2002

Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 novembre 2002.

Louky Bersianik


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