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Fiers d’aller aux danseuses ! Vraiment ?

19 janvier 2012

par Katherine Hébert-Metthé, maîtrise en Études féministes

Il est 7 heures du matin, nous sommes la veille de Noël et je suis parmi les retraités de la Floride, dans une communauté québécoise où ma mère et son conjoint habitent. Presque chaque hiver, j’en profite pour aller les visiter, prendre du soleil et, surtout, relaxer.

Bien que j’y sois en vacances, mes oreilles féministes ne sont jamais complètement endormies. Lors de conversations ayant lieu entre ma famille et son groupe d’amis, elles se mettent parfois sérieusement à siller.

Laissez-moi partager avec vous ce qui a attiré mon attention en cette fin d’année 2011.

Au cours d’une soirée bien arrosée, l’un des hommes à la table s’est vanté d’être souvent allé chez O’ Gascon, un club de danse nue, accompagné de ses amis, mais qu’il n’y allait plus parce que tout y était filmé. Plus tard dans la soirée, le même homme a commencé à taquiner la serveuse du restaurant où nous mangions en comparant la qualité de la nourriture à celle d’un autre club de danse nue connu où il s’était retrouvé plus récemment, cette fois-ci en Floride.

À voir la fierté dans son visage, il voulait de toutes évidences que les gens sachent qu’il était allé dans ces endroits. À l’entendre parler, c’est comme s’il était tout à fait banal de payer des jeunes femmes pour qu’elles se déshabillent. Effectivement, nous vivons dans une société qui permet et encourage les hommes à accéder au corps et à la sexualité des femmes en tout temps et à tout endroit, et qui démontre cet accès comme un droit intouchable, venant avec le statut de mâle.

Ce n’est pas la première fois que je remarque cette attitude chez des collègues, des amis et des parents qui pourtant ont été exposé, du moins minimalement, à une autre perspective sur cet enjeu, celle qui démontre la violence inhérente à l’exploitation commerciale du corps et de la sexualité des femmes. Ces hommes vont souvent regarder de haut ceux qu’ils considèrent comme des agresseurs, des violeurs et « batteurs de femmes », des pédophiles, des « clients » de la prostitution juvénile, etc. mais rarement ils se remettront en question face à leurs propres comportements machistes, qui contribuent aussi à la domination des hommes sur les femmes. Dans la campagne des 12 jours d’action pour l’élimination de la violence envers les femmes lancée en décembre 2011, on y dénonce le fait que, souvent, les gens banalisent la violence masculine en faisant cette réflexion : « Oui oui, il a fait ça, mais c’t’un bon gars ! ». Mais oui, ce sont des bons gars…ce sont pratiquement tous des bons gars au sens commun du terme.

S’il n’y a pas un effort minimal d’introspection et de responsabilisation de la part de ces hommes, nous nous n’en sortirons jamais. J’ai le sentiment qu’un des facteurs contribuant à ce manque d’introspection est le fait qu’ils ne se reconnaissent pas dans l’identité monstrueuse de « violeurs » ou de « batteurs de femmes » que leur renvoient souvent les médias. Ce sont les attitudes et les comportements d’une personne qui peuvent être problématiques, et non la personne en soi qui a plusieurs dimensions. Je crois qu’il est important de réaliser que ces hommes que l’on étiquette ainsi sont des êtres humains qui ne sont pas si différents des autres. Un violeur reste un violeur, bien sûr. Toutefois, si nous crions « Alerte aux violeurs ! » et que personne ne se reconnaît tel, nous avons un problème. Il reste à faire un grand travail de démystification de ce que comprennent le sexisme et l’exploitation sexuelle, le harcèlement et les agressions à caractère sexuel afin de ne pas banaliser et passer sous silence le continuum de violence sexiste existant auquel sont confrontées les femmes du monde entier.

Je pense sincèrement que peu d’hommes voudraient voir leur fille, leur sœur, leur mère dans ces clubs de danse nue. Nous vivons en société et faisons partis d’un tout. Nous sommes tous et toutes interdépendants. La question que j’aimerais que les hommes se posent avant même de se rendre dans ces lieux est la suivante : « Est-ce que, en payant une femme pour sa nudité, je participe à son émancipation et au développement de son potentiel, ou est-ce que je l’instrumentalise afin d’en retirer une gratification personnelle, peu importe les conséquences que cela aura sur cette dernière ? » De plus, il ne faut pas oublier que les conséquences de cette instrumentalisation, nous les vivons toutes à différents niveaux, hommes et femmes, dans nos relations, dans nos familles, etc.

En 2012, j’appelle ceux qui se reconnaissent dans cet article à s’arrêter un moment et à réfléchir à une manière constructive d’utiliser leur vécu. Peut-être que ces hommes ne le savent pas, mais ils ont le pouvoir de changer et de faire avancer la mentalité d’autres hommes dans le sens du respect des femmes… de toutes les femmes. Le plus ironique, c’est qu’une fois engagés sur cette voie, je suis certaine qu’ils en retireraient beaucoup plus de fierté.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 janvier 2012

Katherine Hébert-Metthé, maîtrise en Études féministes


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