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La « laïcité ouverte » est un obstacle à l’intégration
Non à la souveraineté multiculturaliste de Québec solidaire

7 février 2012

par Daniel Baril, anthropologue et militant laïque

Le 25 janvier dernier, le député de Mercier, Amir Khadir affirmait que Québec solidaire était le seul parti capable de réaliser la souveraineté du Québec. Deux jours auparavant, Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire, participait à un débat sur la laïcité organisé par la librairie Paulines avec Jean-Marc Larouche et Guy Rocher, trois des auteurs du livre collectif Le Québec en quête de laïcité.

Les propos de Mme Ghazal sont demeurés dans la droite ligne de la position contradictoire de son parti, c’est-à-dire celle de la « laïcité ouverte », plus précisément ouverte aux accommodements religieux dans les institutions publiques. Est-il encore besoin de préciser que la laïcité a justement pour but d’assurer une séparation entre religions et institutions publiques ?

La « laïcité ouverte » est une chimère créée par l’application du multiculturalisme au domaine de la religion. Si l’on applique cette approche à la religion, comment par la suite ne pas le faire pour l’ensemble des politiques culturelles, scolaires et linguistiques ? C’est d’ailleurs cette approche qui nous a valu le cours Éthique et culture religieuse qui consacre le multiconfessionnalisme d’une école supposée laïque.

La position de Québec solidaire pave ainsi la voie à la consolidation, au Québec, du multiculturalisme déjà bétonné par la constitution canadienne.

La question de l’intégration

Selon ce qu’a mentionné Mme Ghazal, la « laïcité ouverte » mise de l’avant par Québec solidaire est motivée par le souci d’intégrer les nouveaux arrivants. Il s’agit là d’une intention noble mais que personne n’est jamais parvenu à démontrer. L’évidence des accommodements religieux nous montre plutôt le contraire.

Peut-on penser que l’érouv à Outremont avait pour but de faciliter l’intégration des hassidim ? Que le droit de porter un kirpan à l’école ou un turban dans la GRC a aidé l’intégration des sikhs ? Que les revendications de salles de prière dans les lieux de travail et d’étude ont aidé la cause des musulmans ? Que le port du hidjab dans les écoles, dans la fonction publique et autres lieux de travail fait tomber les barrières entre les communautés religieuses ? Que le maintient du crucifix « patrimonial » (!) à l’Assemblée nationale et les prières dans les conseils municipaux sont des messages de bienvenue ?

L’un des plus récents cas d’accommodements religieux, soit celui de la fillette de maternelle à qui on a fait porter un casque anti-bruit pour éviter que les chansons de sa classe ne se rendent jusqu’à ses oreilles, est la plus belle démonstration de l’incohérence de l’argument de l’intégration. Peut-on penser que cette fillette sera un jour intégrée avec une telle mise à l’écart du groupe, avec de telles pratiques en pure violation des objectifs de l’école ?

Gérard Bouchard, l’un des principaux défenseurs de la « laïcité ouverte », définit ainsi l’intégration : « l’ensemble des mécanismes et processus d’articulation (ou d’insertion) grâce auxquels se constitue le lien social, cimenté par des fondements symboliques et fonctionnels » (Revue de droit, 56,2). Comment parler de « lien social cimenté par des fondements symboliques et fonctionnels » lorsqu’on ne partage pas la même notion symbolique et fonctionnelle du lien entre l’État et la religion ?

Les tenants de la « laïcité ouverte » parlent habituellement de l’intégration dans le sens restreint d’accès au marché du travail. En quoi les accommodements religieux lèvent-ils les obstacles à l’emploi ? Aucune étude n’a jamais été soumise à l’appui d’une telle chose. Bien au contraire, il y a tout lieu de craindre que les accommodements religieux, comme celui des salles de prières et du port du hidjab, n’ajoutent de nouveaux obstacles et soient porteurs de discrimination à l’endroit de tout candidat ou candidate au nom à consonance arabe. Plusieurs témoignages en ce sens émanent d’ailleurs des employeurs.

Par ailleurs, le seul accès au marché du travail n’assure aucunement l’intégration, comme nous le rappelle cruellement l’affaire Shafia.

Le port de signes religieux

L’argument de l’accès au marché du travail est surtout utilisé pour justifier l’acceptation du port de signes religieux dans la fonction publique. On cherche ici à nous jeter de la poudre aux yeux en soutenant implicitement que quelques emplois dans ce secteur assureraient l’intégration économique d’une communauté comptant plusieurs dizaines de milliers de personnes, tout en passant sous silence l’énorme coût politique d’un tel accommodement.

La question de la laïcité ne se résume pas à cet aspect, mais il s’agit là d’un enjeu important à cause de la symbolique qu’il revêt. Pour l’instant au Québec, la question ne concerne que le port du hidjab. Selon ce qu’affirmaient avec force quelques intervenantes musulmanes lors du débat à la librairie Paulines, ceux et celles qui en font un objet de revendication ne sont pas des musulmans mais des islamistes.

Si l’on fait passer l’affichage public de sa religion avant toute autre chose, on s’exclut soi-même de nombreux secteurs de la vie sociale et communautaire touchant aux loisirs, aux sports, aux fêtes populaires et, bien sûr, aux emplois où la proscription de ces signes est légitime.

Le hidjab est soit un signe religieux ostentatoire, soit un symbole de l’infériorisation des femmes, soit les deux. Dans l’un et l’autre cas, l’État est légitimé de l’interdire. Les représentants de l’État doivent en effet refléter non pas leurs croyances religieuses personnelles mais les valeurs défendues par l’État et ses lois. Les valeurs mises en cause ici sont celles de l’indépendance de l’État face aux religions ainsi que l’égalité des sexes. L’État doit à tout prix éviter d’être associé à un discours vestimentaire qui nie les valeurs sur lesquelles reposent la démocratie et la modernité.

Comme si elle portait un casque anti-bruit, Ruba Ghazal a fait la sourde oreille à tout argument contredisant les prétentions de la « laïcité ouverte ». Elle reconnaît par ailleurs avoir bénéficié au Québec d’un contexte social sécularisé qui lui a permis un cheminement émancipateur des coutumes religieuses de son milieu familial. Curieusement, en défendant la position multiculturaliste de Québec solidaire qui conduit à l’érosion de nos acquis, elle refuse de protéger cette culture publique laïque dont elle profite aujourd’hui.

Si le Québec doit un jour accéder à la souveraineté, que ce soit pour établir une véritable république laïque, libre et démocratique et non un État multiculturaliste à la canadienne.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 février 2012

Daniel Baril, anthropologue et militant laïque


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