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La hausse des droits de scolarité au Québec freinera les femmes et l’égalité sociale

4 mai 2012

par l’Institut Simone de Beauvoir

Nous voulons aujourd’hui faire connaître notre position sur la décision du gouvernement
québécois d’autoriser une hausse de 1 625 $ des droits de scolarité du premier cycle universitaire
qui s’échelonnerait sur les cinq prochaines années.

Les conséquences des politiques sociales néolibérales pour les femmes

L’idée de hausser les droits de scolarité afin de permettre aux universités de disposer des revenus
appropriés est tout à fait emblématique du néolibéralisme ambiant. Le néolibéralisme est un
système social au sein duquel l’État joue un rôle mineur dans la satisfaction des besoins
fondamentaux des citoyennes et citoyens. Il se caractérise par des partenariats publics-privés, le
désengagement de l’État providence (programmes sociaux comme l’assurance emploi),
l’amenuisement de la contribution du gouvernement au financement des institutions publiques, la
déréglementation de celles-ci ainsi que la prestation de services par les organismes
communautaires plutôt que par les institutions d’État. Les politiques sociales néolibérales se
fondent essentiellement sur une logique marchande et sur la recherche de la rentabilité. La
décision d’autoriser la hausse des droits de scolarité est en soi une politique néolibérale en vertu
de laquelle l’État québécois diminue sa participation au financement de l’éducation
postsecondaire.

Les politiques néolibérales sont particulièrement dommageables pour les femmes. Ainsi, lorsque
les hôpitaux donnent rapidement congé à leurs patientes et patients en raison de contraintes
budgétaires, les femmes sont les plus touchées par cette mesure puisque ce sont elles qui,
majoritairement, assurent le soin non rémunéré des malades renvoyés à la maison (1). De même, les politiques sociales sur la hausse des droits de scolarité les affectent de manière disproportionnée.

L’accès des femmes et de leurs enfants aux études universitaires

Les mouvements féministes clament depuis des décennies que, à travail égal, les femmes
gagnent moins que les hommes. Les statistiques récentes viennent corroborer leurs dires : les
dernières données, qui remontent à 2008, démontrent que les femmes gagnent 71 cents pour
chaque dollar gagné par les hommes (2). Par conséquent, demander aux personnes de contribuer
davantage au financement de leurs études universitaires affecte particulièrement les femmes.
Puisqu’elles continuent globalement d’être moins bien rémunérées que les hommes, elles seront
les premières touchées par la hausse des droits de scolarité. Voilà l’exemple d’une politique
sociale qui perpétue les inégalités hommes-femmes.

Prenons le cas des mères cheffes de famille (qui constituent toujours la majorité des familles
monoparentales) : il est clair que ces hausses les affecteront, certes, mais elles toucheront
inévitablement aussi leurs enfants. Selon Éric Martin et Maxime Ouellet, auteurs d’Université
inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, si une famille
biparentale doit allouer 10 % de ses revenus aux études de baccalauréat d’un seul enfant, la mère
cheffe de famille monoparentale, pour sa part, doit en allouer 18 % pour le même diplôme (3).
C’est ainsi qu’une politique de financement des études qui requiert une contribution croissante
des étudiantes et étudiants occulte sans qu’il n’y paraisse le fardeau qu’elle impose
automatiquement aux mères célibataires. La hausse des droits de scolarité vient donc pérenniser
les inégalités à l’égard des mères cheffes de famille et de leurs enfants, les familles
monoparentales devant consacrer une plus grande part de leur budget à l’accessibilité à
l’université publique.

Les conséquences à long terme pour les femmes d’une hausse des frais de scolarité

Certains défenseurs de la hausse affirment que, puisque les diplômées et diplomés d’université
seront avantagés au plan salarial durant leur vie professionnelle, il est normal qu’elles et ils
assument une part du coût de leurs études. Il s’agit là d’une rhétorique marchande qui soutient
que les étudiantes et étudiants doivent « investir » dans leur avenir.

Encore ici, cet argument se heurte aux faits qui démontrent que, même également munis d’un
diplôme universitaire, les hommes et les femmes ne gagnent pas les mêmes revenus. En
moyenne, une femme gagnera 863 268 $ de moins qu’un homme titulaire du même diplôme, et
ce, pendant toute sa vie (4). Imaginons que deux étudiants (i.e., un homme et une femme) terminent leur baccalauréat avec une dette de 25 000 $ : tous les mois, la femme devra dépenser une plus grande part de son revenu pour rembourser cette dette. Par conséquent, demander aux gens « d’investir » dans leur avenir revient à demander aux femmes de débourser plus que les hommes toute leur vie durant.

En réalité, le gouvernement québécois demande aux femmes « d’investir » dans le maintien des
inégalités pendant les décennies à venir. Nous rejetons cette logique néolibérale et nous
réclamons un régime qui assurera aux femmes et aux hommes du Québec un accès égal aux
études universitaires, dès maintenant et dans le futur.

Les conséquences pédagogiques de la hausse proposée : le point de vue des membres du corps professoral

Les objections à l’augmentation des droits de scolarité font généralement ressortir le point de vue
des étudiantes et étudiants, et avec raison, puisque ce sont elles et eux qui en subissent
principalement les contrecoups. Néanmoins, le corps professoral de l’Institut Simone-De
Beauvoir maintient que cette mesure ne manquera pas de laisser des séquelles généralisées sur
l’enseignement et l’apprentissage. En effet, plus les droits de scolarité sont élevés, moins les
classes sont diversifiées. Les membres du corps professoral croient que la hausse des frais de
scolarité aura un impact négatif sur la capacité des étudiantes et étudiants provenant de milieux
moins favorisés et des minorités visibles d’accéder aux études supérieures. Statistique Canada
confirme que les femmes des « minorités visibles » sont plus susceptibles de disposer de revenus
modestes que les femmes des minorités non visibles (5). De même, par comparaison avec leurs vis-à-vis non autochtones, les femmes autochtones sont moins susceptibles d’obtenir un diplôme
universitaire : en 2006, 9 % des femmes autochtones âgées de 25 ans et plus détenaient un
diplôme universitaire comparativement à 20 % chez les femmes non autochtones (6).

Les membres du corps professoral sont à même de constater que la diversité des vécus est une
composante essentielle de l’enseignement. Leur rôle consiste, d’une part, à préparer les
étudiantes et étudiants à s’engager dans la recherche critique et le dialogue et, d’autre part, à leur
inculquer les compétences et les capacités d’analyse qui les guideront toute leur vie. Or, cette
démarche pédagogique critique s’enrichit de la diversité de nos étudiantes et étudiants. Quand
des politiques sociales entraînent l’exclusion universitaire des femmes et des personnes
témoignant d’antécédents divers, l’enseignement ne peut qu’en pâtir.

Assurer l’accès universel et gratuit aux études ne fait pas qu’aider les étudiantes et étudiants.
C’est aussi une manière d’appuyer concrètement le travail des membres du corps professoral.

Faire de l’accès à l’université une priorité : les fonds sont là

Les défenseurs de l’augmentation des droits de scolarité au Québec présente l’argument que les
ressources financières manquent pour faire de l’accès universel à l’éducation une priorité
politique. Nous soutenons le contraire. Nous pensons que le Québec dispose collectivement des
ressources qui donneront à toutes les femmes et à tous les hommes la possibilité de faire des
études universitaires. L’un des moyens d’arriver à cette fin est la redistribution des ressources.

Voici quelques endroits où ce projet de redistribution pourrait s’amorcer :

• les primes accordées aux dirigeants des sociétés d’État en 2010 ont atteint
105 000 000 $ (7) ;
• l’imposition de redevances aux compagnies minières et aux entreprises industrielles pour
utiliser les ressources hydriques du Québec pourrait rapporter annuellement
775 000 000 $ (0,01 $/litre d’eau utilisée) (8).

Résumé et conclusion

Devant l’enjeu de l’augmentation des droits de scolarité dans le réseau universitaire québécois,
les membres de l’Institut Simone-De Beauvoir tiennent à rappeler les éléments suivants :

• Envisager la problématique des femmes dans une perspective de politique sociale
implique de dépasser les questions dites « féminines », comme le harcèlement sexuel et
les garderies. Si de tels enjeux demeurent importants, il est essentiel de bien saisir
l’incidence de l’ensemble des politiques sociales sur les femmes.
• Compte tenu de la disparité des salaires qui sévit toujours entre les hommes et les
femmes, augmenter les droits de scolarité signifie que ces dernières continueront à payer
davantage pour leur éducation et pour le remboursement de leurs dettes d’études pendant
des décennies. Pareille mesure ne fera que perpétuer les inégalités existantes.
• Qui dit hausse des frais de scolarité, dit baisse de la diversité de la population étudiante,
d’où l’amenuisement des possibilités d’apprentissage qui affectent autant les étudiantes et
étudiants que les membres du corps professoral. Nous voulons des politiques sociales
favorisant l’accès universel à l’université, qui amène la diversification des classes et
l’enrichissement des échanges.
• Toute politique sociale qui restreint l’accès des femmes à l’université est à rejeter.
• Le Québec dispose des ressources financières pour favoriser l’accès égal des femmes et
des hommes à l’université. Le temps est venu d’engager un débat de fond sur la manière
dont le gouvernement doit allouer ses ressources en vue de faire de l’accès équitable aux
études universitaires une priorité politique.

Signé : Institut Simone-de-Beauvoir, Université Concordia, Février 2012

Notes

1. Pat Armstrong and Hugh Armstrong, Wasting Away : The Undermining of Canadian
Health Care
, Toronto, Oxford University Press (Wynford Project Edition), 2010.
2. Gouvernement du Canada, L’écart salarial entre les femmes et les hommes, July 29, 2010. Fichier PDF.
3. Eric Martin et Maxime Ouellet, Université Inc. Des mythes sur la hausse des frais de
scolarité et l’économie du savoir
, Montréal, Lux, 2011, p. 16.
4. Fédération étudiante universitaire du Québec, L’éducation universitaire : un outil pour
passer de l’égalité de droit à l’égalité de fait
. Mémoire de la FEUQ sur le renouvellement
du plan d’action gouvernemental sur l’égalité entre les femmes et les hommes, Montréal,
2011, p. p.iii.
5. Chui, T. and Maheux, H. (2011). "Visible Minority Women". In Ferro, V. and Williams, C.,
Women in Canada : A Gender-based Statistical Report, Catalogue no. : 89-503-XIE (sixth
edition). Release date : December 14, 2011. Statistics Canada.
Disponible ici.
6. O’Donnell, V. and Wallace, A. (2011). "First Nations, Métis and Inuit Women". In Ferrao, V.
and Williams, C. Women in Canada : A Gender-based Statistical Report, Catalogue no. : 89-
503-XIE (sixth edition). Release date : December 14, 2011. Statistics Canada. Disponible ici.
7. Omar Aktouf, “La marchandisation de l’éducation et le faux alibi de la pauvreté de l’état au
Québec,” dans Eric Martin et Maxime Ouellet, Université Inc. Des mythes sur la hausse
des frais de scolarité et l’économie du savoir
, Montréal, Lux, 2011, p 143.
8. Solidarités. Édition spéciale. "Éducation publique et gratuite : Un choix de société cher à
Québec Solidaire", novembre 2011, p. A3. Presse-toi à gauche.

Lectures additionnelles / Further Reading

. Eric Martin et Maxime Ouellet, Université inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Montréal, Lux, 2011.
. Fédération étudiante universitaire du Québec, L’éducation universitaire : un outil pour passer de l’égalité de droit à l’égalité de fait. Mémoire de la FEUQ sur le renouvellement du plan
d’action gouvernemental sur l’égalité entre les femmes et les hommes, Montréal, 2011.
. Normand Baillergeon, Je ne suis pas une PME. Plaidoyer pour une université publique,
Montréal, Éditions les poètes de brousse, 2011.

 On peut télécharger la déclaration avec sa version anglaise sur le site de l’Institut Simone de Beauvoir, format PDF.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 février 2012

l’Institut Simone de Beauvoir


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