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Un grand moment de féminisme en milieu universitaire

2 mars 2012

par Marie-Ève Coderre, étudiante en Études féministes

Dans un cours d’analyse sociologique des rapports de sexe, nous avions un débat sur un texte paru dans Québécoises Deboutte ! il y a plusieurs années. Ce débat a inévitablement dérivé vers des propos sur le patriarcat et la dominance féminine et autres féministes frustrées. J’étais désemparée. Je crois que j’avais nettement surévalué le féminisme universitaire. Je croyais vraiment que dans un cours universitaire, nous allions dépasser le discours masculiniste que les médias ne cessent de répéter. J’avais cette citation de je-ne-sais-plus-qui qui défilait sans cesse dans ma tête : « À force de répéter un mensonge, il devient une vérité », quelque chose du genre.

Je me considère comme privilégiée. Ma mère m’a appris à parler plus fort que tout le monde et à argumenter. Dans ma famille, il y a toujours place à l’argumentation sans que ce soit nécessairement pris comme une attaque personnelle. Pour n’importe qui d’autre, on a l’air d’une bande d’enragés qui passent leur temps à s’engueuler. À table, on parle de politique, autant québécoise qu’internationale, du capitalisme, de hockey, de féminisme, de patriarcat, de législation, name it ! C’est comme ça que j’ai appris à ne jamais laisser quelqu’un me rabaisser ou essayer de me faire taire lors de débats, et que de débattre, ça permet d’évoluer.

Dans la classe, nous sommes tombés sur le sujet des féministes qui sont « trop dans l’idéologie du patriarcat et qui voient le mal partout » ; de « celles qui remarquent que les discours ne sont pas féminisés alors que toutes les autres ne l’ont pas remarqué », etc. Quand j’ai raconté ça à mes amies, elles ont toutes dit : « Maudit gars, toujours là pour faire taire les femmes ou les traiter de folles ». Malheureusement, ce sont des femmes qui ont dit ça. Je ne peux m’empêcher de lever la main et de répliquer que c’est impossible d’être « trop féministe » ou trop « dans l’idéologie du patriarcat ». Que, même quand on est féministes, on est tout aussi aliénées que les autres, mais que plusieurs ont une conscience différente ou plus élaborée de leur aliénation que d’autres. Elles ou ils se rendent donc plus facilement compte de certaines injustices.

J’ai aussi demandé aux gars présents dans la classe d’arrêter de se prendre pour le patriarcat. Le féminisme, ce n’est pas contre les hommes, contre chacun d’eux individuellement mais bien contre un système d’oppression, qui n’est pas nécessairement un avantage pour eux puisqu’il les force à entrer dans le moule du père pourvoyeur qui ne montre pas ses sentiments. J’ai dit ce que je connaissais, ce qui me faisait mal d’entendre, ce que j’avais appris grâce à mon ancienne coloc de 51 ans qui vivait du féminisme. Du haut de mes 5 pieds 3 et de mes 21 ans, parfois je me sens vraiment petite, dans ces débats. J’avais vraiment l’impression d’être comme les 300 spartiates devant l’armée perse. Au bout d’une heure, je continue d’argumenter, avec l’aide de quelques personnes, contre les propos antiféministes et masculinistes quand soudain, au fond de la classe, je vois un gars agiter les mains pour manifester son approbation. Wow. Enfin !

Les prochains arguments sont aussi déplaisants. « J’ai l’impression que parfois on oublie tous les gains que les femmes ont faits depuis le temps. Il en reste à faire mais il ne faudrait pas oublier le passé ! ». Comment l’oublier ? Si nous l’avions oublié, nous ne serions pas autant de femmes dans cette classe en ce moment, nous n’aspirerions pas à devenir sociologues et nous ne demanderions pas non plus l’égalité et le respect. À chaque fois qu’on me dit ça, je me sens un peu comme si on me disait : « Tu trouves pas que t’en a eu suffisamment là ? Slack un peu sur les revendications ! » Et non, ce n’est pas un homme qui a dit ça, encore.

Nous continuons d’argumenter, et je continue à défendre mon point de vue. Non, je ne crois pas qu’il faut arrêter, je crois plutôt que chaque fois que nous vivons un moment d’inconfort, que nous nous demandons quelle est la place des femmes dans n’importe quel domaine, que nous avons l’impression que nous ne sommes pas respectés, il faut poser la question haut et fort, pour en avoir le cœur net, dire ce que nous en pensons, même si les autres sont tannés d’en entendre parler, et à la limite, se faire répondre qu’on en a rien à foutre des femmes. Ça nous donne juste une autre raison pour continuer à nous battre. Peu de gens semblent d’accord avec moi, je suis quand même convaincue de ce que je dis, mais je commence à être vraiment fatiguée de recevoir les flèches.

La pause arrive, mon amie Julie me remercie d’avoir pris la parole quand des arguments antiféministes ou blessants sont lancés parce qu’elle, elle n’a pas le courage de prendre la parole. Déjà là, ça me fait un petit baume, ça me donne un peu d’énergie, comme mon expresso du matin. Puis, une autre femme que je connais peu part du fond de la classe et vient me voir. Elle me remercie elle aussi, elle trouvait ça difficile d’entendre tout ce que les autres disaient et, comme moi, elle avait été un peu utopique quant au féminisme à l’université. Elle me dit aussi qu’elle m’est profondément reconnaissante que j’aie pris la parole, car elle aurait été trop émotive pour le faire et elle n’aurait fait que « sacrer » parce qu’elle était personnellement touchée par les idées véhiculées lors du débat. Je ne savais pas quoi lui dire vraiment, j’étais bouche bée.

Parfois, je me fatigue, mais je suis une femme confiante, je n’ai pas peur de dire mon point de vue, je suis capable de recevoir les idées des autres, même quand elles sont contre moi, même quand elles vont à l’inverse de mes convictions et de mes valeurs. Je suis capable d’être à contre-courant. Mais là, j’ai des gens avec moi, dans mon bateau, qui m’aident à ramer. Je l’ai remerciée, en contemplant toute la sincérité dans ses yeux.

C’est là que ce qu’on pourrait croire un petit geste prend toute son importance. Cette femme, qui dit ne pas prendre souvent la parole, est venue me voir pour me remercier et, surtout, m’exprimer son appui. Mes arguments, et mes raisons de continuer à argumenter, ont pris leur sens. J’ai senti la solidarité féminine et féministe. Je l’ai dit, je suis privilégiée.

J’ai vécu un grand moment du féminisme dans une classe de sociologie à l’UQÀM.

 Texte publié d’abord sur Je suis féministe et sur Sisyphe avec l’accord de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2012

Marie-Ève Coderre, étudiante en Études féministes


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