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Résistance au sexe en contexte hétérosexuel
Manifeste du Southern Women’s Writing Collective

27 février 2012

Lu à New York, en avril 1987, lors d’une conférence intitulée « Les libéraux sexuels et leur attaque contre le féminisme »



En contrepartie au mouvement pro-sexe, nous avons choisi de nous appeler Women Against Sex (WAS). Pour certaines d’entre nous, cette issue a mis beaucoup de temps ...

Cette analyse est issue de notre travail en tant que féministes radicales dans le mouvement antipornographie. Nous prenons au sérieux les statistiques sur les préjudices faits aux femmes. Les preuves de la souffrance que vivent les femmes dans la sexualité sont incontournables.

Plus précisément, notre analyse reflète la prise de conscience que la pornographie est du sexe. Nous présentons une théorie qui décrit la pratique de la sexualité au plan de l’interaction de classe et du conflit, c’est-à-dire au plan politique. Nous tenons à souligner que, tant dans cette présentation abrégée que dans notre tract « WAS speaks out », nous ne tentons pas de formuler ou de reformuler le vécu sexuel de l’ensemble des femmes (nous sommes conscientes que ces expériences sont vécues de diverses manières, allant de la joie à l’humiliation et au meurtre) et que, pour nous, la réalité politique est liée à l’expérience politique et personnelle de chaque femme et à sa psychologie. Nous ne croyons pas qu’il existe une seule formule statique qui doive rendre compte de ce lien.

Nous offrons à la communauté féministe radicale une analyse d’une pratique : la sexualité, qui constitue, croyons-nous, la cause fondamentale de la subordination politique des femmes.

Nous définissons la pratique de la sexualité comme étant tout ce qui contribue socialement à la possibilité de rapports sexuels ; en d’autres mots, notre pratique de la sexualité est tout ce qui permet aux actes sexuels d’avoir lieu au plan social et d’être réels au plan social.
Cette pratique comprend les rôles de genre : la féminité et la masculinité sociales. Ces rôles fonctionnent de manière à donner aux actes sexuels une apparence naturelle et inévitable, même s’ils ne sont ni l’un ni l’autre. Les actes sexuels sont au cœur de la pratique de la sexualité. Les actes sexuels sont ces actes que les hommes en tant que classe de sexe ont construits comme produisant une excitation ou une satisfaction génitale. Les actes sexuels sont les actes dont la signification sociale avérée produit l’excitation masculine.

Historiquement, ces actes ont inclus : le viol, le viol conjugal, le bandage des pieds, la fellation, le coït, l’autoérotisme, les rapports sexuels imposés, le viol d’enfants, l’inceste, la violence conjugale, la pénétration anale, l’utilisation et la production de la pornographie, le proxénétisme et les autres utilisations des personnes prostituées, le cunnilingus, le harcèlement sexuel, la torture, les mutilations, et l’assassinat.

Pour les femmes, ces actes ont parfois été recherchés dans l’amour et par le désir, et ils ont parfois fait l’objet de tentatives d’évitement et de résistance, dans ce qui était peut-être un début de prise de conscience de leur fonction politique anti-femmes. L’arène matérielle de l’orientation des femmes adultes envers la sexualité en général et les actes sexuels en particulier a habituellement été hétérosexuelle. Nous mettons l’accent dans cet article sur les femmes vivant de tels arrangements hétérosexuels. Nous croyons que la pratique de la sexualité est entièrement construite socialement par le pouvoir des hommes en tant que classe de sexe.

Nous ne croyons pas qu’il s’agit d’une malédiction de la biologie ou d’un don de Dieu. Nous ne croyons pas non plus qu’il s’agit d’un projet sexuel conjoint impliquant les hommes et les femmes. Nous considérons que cette pratique est animée par une dynamique érotisée de domination masculine et de soumission féminine. Ce qui permet à cette pratique d’exister et de prospérer, ce qui en suscite la vie sociale est la hiérarchie des classes, ou l’idéologie du maître et de l’esclave. Nous croyons que l’objectif concomitant – ou, plus correctement, la fonction de cette pratique – est la subordination des femmes. Nous considérons que cette dynamique de domination masculine et de soumission féminine et cette fonction concomitante de subordination des femmes situent cette pratique sur le plan politique. Ainsi, dans notre analyse, tout acte informé par une pratique qui ne présente pas cette dynamique et cette fonction – c’est-à-dire, tout acte informé par une pratique qui ne constitue pas une subordination des femmes – ne serait littéralement pas un acte sexuel, mais quelque chose d’autre. Plus succinctement, si cela ne subordonne pas les femmes, cela n’est pas du sexe.

Le fait de ne pas acquiescer à des besoins construits en fonction des hommes pourrait être qualifié d’évitement sexuel.

Les femmes apprennent à reconnaître même les signes subtils du désir masculin, et elles sont suffisamment nombreuses à avoir appris comment éviter d’y être disponibles que la simple mention d’une « migraine » constitue aujourd’hui une plaisanterie dans le milieu des hommes. Voilà pourquoi les femmes ont bel et bien des maux de tête, et s’habillent et se déshabillent dans des placards, gagnent ou perdent délibérément du poids, deviennent alcooliques, contractent une dépendance à d’autres drogues, ou orchestrent soigneusement leurs horaires pour tenter de bloquer toutes communications qui pourraient suggérer l’intimité.

L’évitement historique des rapports sexuels par des femmes peut, avec la conscience féministe, devenir un acte de résistance au sexe. La résistante sexuelle comprend le caractère politique de son acte : son but n’est pas seulement l’intégrité personnelle pour elle-même, mais la liberté politique pour toutes les femmes. Elle résiste sur trois fronts : elle résiste à tous les besoins sexuels construits en fonction des hommes, elle résiste à la fausse représentation de son action comme étant de la pruderie et, surtout, elle résiste aux efforts du patriarcat de se faciliter la subordination des femmes en la convainquant de structurer son érotisme selon les schèmes d’oppression patriarcaux.

On peut lire un bon exemple de tentative réussie du patriarcat pour pénétrer la psyché des femmes et nous baiser/construire de l’intérieur dans la lettre suivante adressée à la courriériste du cœur Ann Landers :

    Chère Ann,

    Une lettre qui a paru dans votre rubrique il y a quelques jours pourrait avoir été écrite par moi : même nombre d’enfants, même nombre d’années de mariage et, hélas, même problème. Aux yeux des autres, nous semblions avoir le parfait mariage, le couple idéal. C’était vrai sauf en matière de sexe. Je l’évitais quand je le pouvais et le tolérais quand il le fallait. Puis l’inévitable se produisit. Au bureau de Tom, une petite traînée se jeta à son cou. Le jour où il me dit que je n’avais plus besoin de m’en faire plus longtemps avec le sexe parce qu’il avait trouvé un bon substitut, j’ai failli mourir. Je suis allée voir mon médecin et lui ai demandé de l’aide. Il m’a recommandé de m’armer de courage et m’a suggéré deux livres qui, il y a dix ans, auraient été bannis comme étant de la porno dure. Eh bien Ann, son conseil a sauvé mon mariage. J’ai décidé de passer à l’attaque, une chose que je n’avais jamais faite auparavant. Puis, j’ai mis en pratique ce que j’avais lu dans ces livres. Mon mari a été étonné et moi aussi. Pour la première fois, j’ai aimé le sexe. Nous avons développé depuis une merveilleuse relation au lit, et la petite traînée a disparu du décor. Je sais aujourd’hui que j’étais frigide parce que j’étais ignorante et puritaine, mais tout cela est bien fini maintenant, et je suis plus heureuse aujourd’hui que je ne l’ai été de toute ma vie. S’il vous plaît, imprimez cette lettre si vous pensez qu’elle aidera quelqu’une d’autre.
    Épouse éclairée

Cette lettre a été imprimée pour la première fois en 1974, et elle vient d’être publiée de nouveau en février 1987. Ni la lettre ni la réponse de Landers ne remettent question la pratique de la sexualité ni la façon dont cette pratique fait obstacle aux choix légitimes de la femme.

Le choix initial autonome de cette femme était l’évitement des rapports sexuels, mais ce choix n’a pas été perçu comme valide. Elle a fait son deuxième choix sous la menace de perdre son mari. On lui a enseigné à désirer un plaisir masculin construit en fonction des hommes. La normalité de cette coercition du désir dément la prétention selon laquelle notre sexualité est la nôtre en propre.

Tant que le prix de ne pas choisir le sexe est ce qu’il est actuellement pour n’importe quelle femme, le sexe est en fait obligatoire pour toutes les femmes. Le sexe est obligatoire pour toutes les femmes parce que le prix de ne pas le choisir est l’absence de valeur sociale et l’exclusion. Il n’existe pas de place sociale valable ou même de lieu neutre pour les femmes qui n’acceptent pas de se rendre disponibles à quelqu’un à un moment donné, d’une façon ou d’une autre. Conçues par et en fonction des hommes, les relations qui servent d’ancrage à notre identité sociale, notre personnalité et notre estime de soi constituent un forfait qui inclut simultanément l’amour, la sécurité, le soutien affectif et le sexe : tout va ensemble. Votre valeur en tant qu’objet sexuel devient claire lorsque vous cessez d’être cet objet. La résistante sexuelle comprend que, sous l’étiquette pratique de l’incompatibilité sexuelle, sous cette mystification, se trouve la vérité de l’équation politique : la femme équivaut à son potentiel comme con. La résistante sexuelle porte au grand jour cette équation cachée, en traînant toute la pratique de la sexualité sous les projecteurs de l’analyse féministe.

La résistante sexuelle refuse d’accepter le désir masculin comme forfait non négociable. Elle revendique le droit de ne pas obéir à l’impératif culturel qui lui impose : « Cède ou fous le camp. » Une résistante sexuelle doit avoir le droit de conserver tous les aspects non sexuels et non subordonnants de sa relation qui ont de la valeur pour elle. La résistance au sexe a été faussement représentée et ridiculisée en étant qualifiée de pruderie, de virginité et d’incompatibilité sexuelle. La résistance au sexe est historiquement en droit d’être reconnue comme signe d’authenticité féministe. C’est ce que beaucoup de femmes ont fait en démontrant nos droits à l’intégrité, à la possession de notre vie et de notre corps. Le reconnaître est une façon de mettre des mots sur le refus silencieux par les femmes de valider et de valoriser un désir construit par et en fonction des hommes.

Poser l’acte politique de la résistance au sexe conteste le déséquilibre de pouvoir et dévoile la pratique de la sexualité. Nous croyons que les actes de résistance au sexe peuvent être un élément du processus de transition qui en viendra à démanteler la pratique actuelle de la sexualité.

* Les Actes de cette conférence ont été publiés trois ans plus tard.

 English version.

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 février 2012




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