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La syndicaliste et féministe Madeleine Parent est décédée

12 mars 2012

par Lia Lévesque, La Presse Canadienne

La militante et syndicaliste Madeleine Parent, figure de proue des mouvements progressistes et féministes des 50 dernières années au Québec, est décédée lundi à l’âge de 93 ans, ont indiqué des proches à la CSN.

Madeleine Parent est née en 1918 dans la paroisse Saint-Louis-de-France, à Montréal. Fait inusité pour l’époque, elle fréquente le couvent Villa-Maria, une « école anglaise », avant de se diriger vers l’Université McGill.

En parallèle à ses études universitaires de sociologie, elle s’implique dans la Canadian Students Assembly, où elle milite pour que les enfants de familles défavorisées puissent obtenir des bourses d’études.

Au terme de ses études, elle rencontre Léa Roback, une autre militante infatigable, qui la convainc de se consacrer à l’organisation syndicale. Jamais elle ne déviera ensuite de sa route : la lutte pour améliorer les conditions de vie des travailleurs -et surtout celle des travailleuses- sera au coeur de sa vie.

« À ce moment, j’ai décidé que c’était ce que je voulais faire, que j’allais consacrer ma vie à me battre », disait-elle. Son engagement sociopolitique l’amènera à organiser certaines des plus importantes grèves de l’histoire du Québec.

En 1942, elle est portée à la tête du mouvement de syndicalisation des usines de Valleyfield et Montréal de la puissante Dominion Textile. Lorsque la grève éclate, quelques années plus tard, elle fait preuve de courage, de leadership et de détermination contre des ennemis de taille. En 1946, les grévistes ont finalement gain de cause et plus de 6000 ouvriers du coton se syndicalisent.

À l’époque, ses pires ennemis ont cependant toujours été le clergé et le gouvernement. Elle était l’ennemie jurée de Maurice Duplessis, qui l’a accusée de communiste et l’a fait arrêter cinq fois - il a même fait condamner la militante pour « conspiration séditieuse » en 1948.

Pourtant, Madeleine Parent ne fait, selon elle, qu’aider les ouvriers en les « écoutant, en les encadrant et en les encourageant à articuler leur condition, leur pensée (...) Ils prenaient ainsi conscience qu’ils n’avaient pas à souffrir des injustices qu’on leur infligeait ».

En 1952, les ouvriers québécois sont toutefois trahis par la direction des Ouvriers unis du textile d’Amérique, qui conclut avec la Dominion Textile un accord qui reflète étroitement les exigences de Duplessis. Devant cette trahison, Madeleine Parent contribue à fonder le Conseil des syndicats canadiens, voué au rapatriement au pays des syndicats d’allégeance américaine.

La détermination et la patience de Mme Parent et de ses alliés portent ses fruits : en 1998, seulement 30 pour cent des ouvriers québécois cotisaient à un syndicat américain, comparativement à 70 pour cent en 1968.

En 1967, elle s’expatrie en Ontario pour continuer son oeuvre de syndicalisation. Ses combats se poursuivront jusqu’à sa retraite, en 1983, mais elle continuera sans relâche à appuyer diverses causes. Elle est notamment restée impliquée dans le Comité canadien d’action sur le statut de la femme, et militait pour l’avancement des femmes immigrantes et autochtones.

Elle disait, en 1996, que « c’est aussi difficile aujourd’hui de se battre pour la justice que cela l’était autrefois : quand on lutte pour garder et améliorer les acquis sociaux, on se trouve toujours devant une coalition de gros financiers qui ont beaucoup d’influence sur nos gouvernements ».

Elle trouvait aussi aberrant que les gouvernements songent à privatiser certains services publics pour renflouer leurs coffres. « À la fin, ça va nous coûter plus cher, car les compagnies sont là pour faire des profits, pas pour servir le public (...) Les multinationales et les grosses compagnies n’ont qu’une idée en tête : gober, gober et gober encore plus », prévenait-elle.

Pessimiste, elle affirmait aussi qu’« à moins que les forces populaires s’unissent et continuent à faire pression, le système lui-même ne trouvera pas de solutions ». Enfin, elle reconnaissait avoir perdu espoir dans les partis traditionnels, critiquant violemment en mars 2001 le gouvernement péquiste. « (Le PQ) porte sa mante sociale-démocrate quand ça le sert. Autrement, il est toujours du côté du patronat, de l’Organisation mondiale du commerce, pour mieux trouver sa place dans le cénacle de ceux qui mènent le monde. »

Encore il y a cinq ou six ans, elle continuait d’être active politiquement, socialement et syndicalement. Coprésidente d’honneur, en mai 2006, à une conférence organisée par le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ-Libre), elle déplorait la division des voix souverainistes entre le Parti québécois et Québec solidaire.

« Qu’on veuille un meilleur souverainisme ou un moins bon souverainisme, toutes ces discussions nous divisent. Avec deux partis souverainistes, il y a un risque que le Parti libéral puisse se glisser entre les deux et gagner les élections », avait-elle soutenu, invitant à la solidarité pour la cause de l’indépendance du Québec.

 Élaine Audet, Madeleine Parent - Tisserande des solidarités, Sisyphe, 26 avril 2004.
 Josée Boileau, "Madeleine Parent - L’inspirante", Le Devoir, 13 mars 2012.
 Andrée Lévesque, "Madeleine Parent, 1918-2012 - L’engagement et la persévérance", Le Devoir, 13 mars 2012.
 Yves Alavo, "Ardente militante", Le Devoir, 13 mars 2012.
 Françoise David, "Lettre à une femme remarquable", Le Devoir, 13 mars 2012.
 "Madeleine Parent, une âme de militante", Radio-Canada.
 "L’ennemie de Duplessis.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mars 2012

Lia Lévesque, La Presse Canadienne


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