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Prostitution - Être transformée en poupée porno

24 mars 2012

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

On m’a réduite au statut d’une poupée porno. Ce n’est pas facile à écrire, et ce n’est jamais facile à reconnaître.

Mais c’est l’amère réalité qui est au cœur de la prostitution pratiquée en secret, derrière des portes closes, l’amère réalité de tout ce qui fait d’une femme prostituée ce qu’elle est, en plus des autres formes de violence sexuelle masculine.

La prostitution est toujours, a toujours été et – si on le lui permet – sera toujours étroitement liée à la pornographie. Il n’existe pas de cloison étanche entre ces deux industries.

La réalité de la personne prostituée est d’avoir pour rôle celui de permettre aux prostitueurs, qui sont surtout des hommes, d’évacuer dans le corps vivant des « putes » tous leurs morbides fantasmes porno.

Il n’y a là rien de nouveau – cette haine et cette violence sont aussi vieilles que la tradition d’acheter du sexe pour les hommes. Elle date des premiers temps où les hommes ont créé des images et des mots servant à dépeindre la torture sexuelle des femmes et des filles. Elle date de la création d’une classe de femmes et de filles qualifiée de prostituées et que l’on peut torturer sexuellement sans la moindre conséquence pour les violeurs.

Par contre, il y a maintenant du neuf : une nouvelle technologie pour implanter dans l’esprit de mille fois plus d’hommes l’idée que cette forme de torture peut constituer un divertissement ; de nouveaux types d’objets ou de machines utilisés pour torturer la classe prostituée ; et une nouvelle perception selon laquelle il est soudainement normal d’avoir accès à de la pornographie et à des personnes prostituées, et que c’est même une sorte de droit humain.

Mais la classe prostituée, elle, a toujours eu le droit de se noyer dans le porno – après tout, il est si rare que quiconque voit la torture de ces femmes, entend leurs cris ou leurs pleurs, voit leur regard éteint… Non, on ne se doute du sort des personnes prostituées que lorsque l’industrie du porno affecte des personnes non prostituées.

Toute ma vie, j’ai vu l’industrie du porno être combattue, mais cette lutte a rarement fait place aux voix de la classe prostituée.

Je n’y entends pas les voix des femmes qui ont quitté le monde du porno courant, ni non plus les voix des femmes et des filles prostituées dont le corps sert de banc d’essai à chacune des plus récentes tendances du porno, ni les voix des prostituées à qui on fait endurer des actes de sadisme sexuel pendant qu’on les filme, et dont on vend ensuite ces images comme du « porno amateur ». Ce ne sont jamais les voix des nombreuses filles prostituées que l’on paie pour les exploiter dans le porno, en leur disant que c’est sans doute plus sûr que d’être dans la rue ou au bordel.

Ces voix étouffées sont pourtant là, en filigrane de chaque image de porno ordinaire présente dans chaque ordinateur, dans chaque magazine spécialisé et projetée dans chaque cinéma de porno minable.

Demandez-vous combien d’entre vous tenez vraiment à entendre les voix de la classe prostituée, si chaque femme parle sans détours de ce qu’elle ressent dans l’univers du porno ? Tenez-vous vraiment à entendre nos voix - ou vous contentez-vous de regarder comment le porno affecte les personnes non prostituées, en abandonnant la classe prostituée ?

Oui, il est horrible de voir des jeunes filles torturées dans le porno, dès leur plus jeune âge, des bébés même… Mais en un sens, c’est aussi plus facile que de voir des femmes adultes torturées par et pour le porno.

Un jeune enfant bénéficie de votre compassion ; sa maltraitance suscite chez vous une juste fureur – vous allez vouloir faire quelque chose pour le protéger.

Mais vous n’aurez pas cette réaction face à une femme adulte prise au piège du porno ou de la prostitution.

Au contraire, vous vous forcez à y voir non de la torture sexuelle, mais une décision prise en toute liberté par une personne adulte. Vous trahissez ainsi la classe prostituée – en refusant de voir son regard, de ressentir sa douleur, d’imaginer sa terreur.

En appelant cela un libre choix, vous venez d’emprisonner les femmes prostituées.

Le porno est considéré comme mauvais s’il ruine la sexualité réelle des femmes qui ne sont pas prostituées. Il a pour effet d’interrompre la communication, d’amener les hommes à voir leur partenaire comme de simples parties du corps ou des poupées de plastique ; il réduit les rapports sexuels à de la performance.

Pourtant tout cela vous apparaît comme acceptable quand des hommes le font aux femmes de la classe prostituée. Quand vous êtes prostituée, c’est votre rôle de n’être que des parties sexuelles où les hommes peuvent évacuer leurs fantasmes de porno.

Et c’est là un langage bien fleuri pour qualifier des rapports sexuels qui sont surtout terrifiants et mettent nos vies en danger.

C’est dans l’univers du porno que la plupart des prostitueurs apprennent tout ce qu’ils font : c’est leur école, leur famille et, trop souvent, leur religion.

Quand on est seule avec un prostitueur, il y a toujours un silence redoutable alors que la femme prostituée s’efforce d’incarner ce fantasme porno, essaie de lire dans l’esprit de cet homme, pour tenter de se protéger un peu.

Un phénomène très courant est la tentative de cet homme de rendre la femme invisible – il évitera de la regarder dans les yeux, lui poussera le visage contre un mur ou dans le lit ; il la sodomisera pour s’assurer de ne pas voir son visage ; il lui imposera des fellations à n’en plus finir, en lui arrachant les cheveux à poignées.

Le prostitueur déteste le visage de la prostituée : ce visage peut refléter une terreur dont il veut rester inconscient, ou une indifférence alors que lui veut s’imaginer en « dieu du sexe », ou des ecchymoses lui rappelant qu’il est peut-être, en fait, un simple salaud.

On m’a tellement infligé de sodomies – le viol et la torture anale sont monnaie courante pour les prostitueurs dopés au porno.

C’est l’acte le plus destructeur pour des femmes prostituées. Le sexe anal est infligé aux prostituées de façon à leur faire aussi mal que possible, sans les tuer. Le viol et la torture anale datent d’aussi longtemps que le porno et la prostitution.

Cet acte est toujours infligé à la prostituée pour la faire saigner, pour la faire s’évanouir de douleur.

Le viol anal, c’est de la haine et rien d’autre.

Les viols collectifs de prostituées ont toujours existé. En fait, dans la plupart des lieux de prostitution intérieure, on fait depuis des siècles un « raffinement » des nombreuses façons de violer à plusieurs la femme prostituée.

Mais chaque nouvelle génération découvre le viol collectif quand il est infligé aux femmes non prostituées, et exprime son indignation. Elle s’indigne qu’on s’en serve comme crime de guerre, s’indigne de le voir pratiqué par des gangs urbains, s’indigne de voir des femmes et des filles « honorables » y être soumises.

Mais on voit peu de compassion ou d’indignation, et certainement pas d’intervention, face aux viols collectifs qui sont courants dans le monde du porno ou de la prostitution.

On semble avoir décidé que les femmes prostituées ont si peu accès à la condition humaine que, dans leur cas, les viols collectifs doivent être agréables ou de la simple routine – de sorte que ce serait être moraliste que d’avoir une opinion sur le sort des femmes placées dans ces situations.

Pouvez-vous me dire par quelle déformation de l’esprit vous arrivez à penser qu’il existe quelque part un groupe de femmes et des filles qui adorent la violence, la douleur, la terreur et l’impression de mort imminente associées au viol collectif ?

La plupart des femmes qui font ce choix de dire que le viol collectif est bien pour la classe prostituée sont des femmes qui mènent des luttes contre la violence sexuelle faite aux non-prostituées, mais pour qui il n’y a aucun problème si l’on est payée.

Si vous saviez comment il est difficile de ne pas vous détester pour cette attitude… J’essaie de comprendre, mais pour parler franchement, une énorme partie de moi est dégoûtée de constater que ce sont toujours les personnes prostituées à qui l’on demande d’être raisonnables et de comprendre des opinions aussi haineuses.

Pensez à ce qu’est le viol collectif – pensez-y réellement – et ayez l’honnêteté de vous demander si vous placeriez n’importe quel être humain dans une telle situation.

Être violée collectivement, c’est connaître une douleur qui vous arrive de partout simultanément, sans avertissement ni suffisamment de temps pour la bloquer.

Être violée collectivement, c’est chercher à se rappeler d’une façon ou d’une autre, de continuer à respirer, même si l’on est toujours assez désespérée pour vouloir mourir.

Être violée collectivement, c’est être tellement avilie qu’on en perd tout ce qu’on a d’humain.

Pourquoi diable est-ce que cela est terrible pour les femmes et les filles qui ne sont pas prostituées, mais peut être vu comme correct pour la classe prostituée ?

Ne répondez pas à cette question parce que cela pourrait me forcer à vous frapper.

Sachez seulement que les viols collectifs des femmes prostituées ont été rendus si invisibles qu’ils sont devenus la norme dans la plupart des aspects du porno et de la prostitution.

Il est aujourd’hui devenu normal de voir sur votre ordinateur des viols collectifs dans n’importe quel matériel porno ordinaire vendu sur n’importe quel marché.

C’est normal dans la plupart des bordels ; c’est normal de forcer les prostituées à servir plus d’un prostitueur à la fois ; beaucoup d’escortes sont amenées par tromperie dans des situations de viols collectifs – cette pratique constitue le pain et le beurre de l’industrie du sexe, parce que les viols collectifs sont très lucratifs.

Que faites-vous pour mettre la classe prostituée à l’abri des viols collectifs ?

Je ne peux en écrire plus - j’ai tellement de choses à écrire – c’est un nouveau début qui s’entame pour moi.

Mais n’abandonnez pas la classe prostituée.

Version originale : , « Being Made a Porn-Doll ».

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mars 2012

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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