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Quand on tolère la violence misogyne pour accommoder l’extrémisme religieux

23 mars 2012

par Micheline Carrier

L’affaire a suscité moins de réactions que celle de la viande halal imposée par certains abattoirs à l’ensemble des consommateurs du Québec à leur insu.

Pourtant, elle est révélatrice de la tolérance que nous avons développée collectivement face à la violence contre les femmes, surtout si des groupes religieux en sont les auteurs.

Le 8 mars dernier, Journée internationale des femmes, une conseillère municipale a été encerclée et prise à partie par une meute d’une quarantaine de juifs hassidiques dans des rues de la Ville d’Outremont.

Fiers de leurs exploits et forts d’une impunité quasi-générale, les intégristes de cette secte ont affiché sur Youtube une quinzaine de vidéos de l’événement.

Ces juifs hassidiques étaient en colère parce que la conseillère indépendante Céline Forget prenait des photos des autobus stationnés en contravention des règlements municipaux lors des célébrations d’une fête religieuse.

Il faut dire que la conseillère insiste depuis plusieurs années afin que la municipalité fasse appliquer les règlements aux juifs hassidiques comme aux autres citoyens et citoyennes.

Pendant des années, la Ville d’Outremont a annulé les contraventions des membres de cette secte pour cause d’"accommodement raisonnable".

Les hommes en colère ont traité la conseillère de nazie, ont craché en sa direction (quels hommes civilisés, vraiment !) et lui ont ordonné de quitter "le territoire de leur communauté".

Ils se disent provoqués et harcelés par elle, alors que la conseillère affirme faire son travail en documentant les manquements répétés de cette communauté aux règlements municipaux.

« Si elle vient chez nous et nous provoque, c’est comme mettre de l’huile sur un feu », a dit Alex Werzberger, membre de ce groupe religieux.

Si elle vient "chez nous" ?

Y a-t-il une partie de la Ville d’Outremont réservée exclusivement aux juifs hassidiques ? Des rues leur appartiendraient-elles en exclusivité lors de leurs fêtes religieuses ? Et où ils seraient libres - et eux seuls - de faire tout ce qu’ils veulent ?

Par exemple :

"J’ai vu des rues bloquées par les autobus arrêtés en double file, des voitures et d’autres autobus stationnés sur les trottoirs, des chauffeurs excités, et peut-être même ivres, roulant à toute allure sans s’arrêter aux intersections, a-t-elle ajouté. Certains circulaient même à contresens des sens uniques. On a même vu la sortie de la caserne de pompiers bloquée sur l’avenue Outremont." (Source : la conseillère Céline Forget en entrevue.)

Un comportement qui vous attirerait des ennuis avec la police si vous vous avisiez de l’imiter.

Mais pensez-vous que la police a réprimandé la meute d’hommes qui menaçaient et intimidaient une femme, élue municipale par surcroît ?

C’est à la conseillère municipale qu’on a fait des reproches, comme on reproche à une victime de viol de s’être trouvée à tel endroit et d’avoir "couru après". Dans cette vidéo, on apprend que la conseillère a refusé de quitter les lieux quand le premier patrouilleur sur place le lui a demandé.

Pourquoi quitter les lieux ? La rue n’est-elle pas un endroit public ? Et qui menaçait qui ?

Les policiers l’ont tout de même amenée au poste de police, "pour sa propre sécurité", en lui reprochant d’outrepasser son rôle de conseillère !

Ces policiers, seulement des hommes (on sait que les juifs hassidiques sont allergiques à la présence de femmes qui exercent des fonctions publiques, et peut-être à la présence de femmes tout court, alors la police les accommode aimablement), n’avaient-ils vraiment rien à reprocher à cette quarantaine d’hommes agressifs et haineux envers cette femme ?

Cela veut-il dire que l’intimidation et la menace sont tolérables quand elles proviennent d’intégristes religieux auxquels on ne voudrait pas déplaire ?

Quel message lance-t-on à la collectivité en fermant les yeux sur une violence aussi flagrante ?

S’il s’était agi d’une quarantaine d’hommes autres que des juifs hassidiques encerclant et intimidant une femme, les policiers auraient-ils agi de la même façon ?

Et s’il s’était agi d’un conseiller municipal, et non d’une conseillère, la réaction des juifs hassidiques aurait-elle été aussi agressive ?

*

Bien sûr, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (autrefois nommé Congrès juif), condamne l’incident.

« Ce comportement de meute est inexcusable », a dit David Ouellet, responsable des affaires publiques de l’organisme. Pour déplorer aussitôt que "toute la communauté juive pâtisse des tensions à Outremont".

À qui la faute ?

Il n’y a pas que la communauté juive qui pâtit de ces comportements antisociaux d’intégristes hassidiques.

Les dirigeants du Centre consultatif des relations juives et israéliennes ne croient-ils pas que ces intégristes ont une large part de responsabilités dans les tensions qui subsissent depuis des années à Outremont ?

Les comportements des membres de ces sectes ne devraient-ils pas inciter le centre à intervenir auprès de ces individus au lieu de simplement "déplorer" les conséquences de ces agissements ?

C’est l’ensemble de la communauté juive qui en bénéficierait d’abord, puis toute la population d’Outremont.

Ce centre serait le mieux placé pour calmer les ardeurs misogynes de ces sectes et convaincre leurs membres de respecter les règlements municipaux, comme tout bon citoyen ou toute bonne citoyenne.

Et si le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a fait une telle démarche sans succès dans le passé, que suggère-t-il pour la suite des choses ?

Que l’ensemble des citoyens et des citoyennes d’Outremont s’adaptent aux intégristes, ferment les yeux sur leurs exigences et leurs comportements, pour "calmer les tensions", sous peine d’être taxés de racistes ou d’antisémites ?

*

Ce n’est pas la première fois que des intégristes hassidiques expriment leur haine des femmes par des menaces physiques.

En 2007, l’un d’eux avait dit à des jeunes, à Côte-des-Neiges, de ne pas adresser la parole à une agente de police qui leur facilitait le passage à une intersection.

Quand l’agente lui a demandé de circuler, il aurait tenté de la heurter avec sa voiture (Source.).

Cet incident ne semble pas avoir eu de suite.

Et l’on se demande pourquoi il existe encore tant de violence envers les femmes.

Tout simplement parce que la société, et les autorités en tête, s’en font les complices.

Leur refus d’intervenir quand il le faudrait lance le message que la violence envers les femmes est relativement banale. Pour acheter la paix avec les extrémistes religieux, on peut la tolérer.

Il en sera ainsi tant que le simple fait de brandir des croyances religieuses devant les dirigeants politiques et policiers les fera s’agenouiller, de peur de passer pour racistes.

Au Québec, religion et origine ethnique sont commodément confondues, selon l’usage qu’on veut en faire.

Parce que nous portons un sentiment de culpabilité collectif après avoir remis la religion catholique à sa place - c’est-à-dire en dehors de la politique et des affaires civiles - nous nous inclinons trop souvent comme des poupées de chiffon devant les exigences des autres religions, dont les zélotes et les défenseurs n’hésitent pas à recourir à l’intimidation et aux accusations de xénophobie pour museler les critiques.

L’une des solutions serait d’abolir tous les accommodements pour motifs religieux, pour qui que ce soit, chaque groupe pratiquant son culte sans réclamer d’exemptions aux réglements et aux lois de la société.

 Écouter : l’émission de Dutrizac, "Une conseillère prise à partie par des juifs hassidiques...Des insultes, des crachats... elle raconte son histoire."

 Voir : le blogue de Pierre Lacerte, "Accommodements Outremont".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mars 2012


Toutes les chroniques des Carnets de Sisyphe 2012 :

  • Quand on tolère la violence misogyne pour accommoder l’extrémisme religieux.
  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes.
  • Que faut-il célébrer le 8 mars 2012 ?
  • Les Carnets de Sisyphe 2002-2011.

    Micheline Carrier


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