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Ça continue
Grève étudiante au Québec – Hypocrisie et mensonge

27 avril 2012

par Micheline Carrier

C’est avec dégoût que je vois et j’entends le premier ministre du Québec, M. Jean Charest, se livrer dans les médias depuis deux jours à des tactiques hypocrites et mensongères pour justifier d’écarter la CLASSE et ses porte-parole d’une hypothétique "commission" sur le financement des universités. L’attitude de Jean Charest est en elle-même porteuse et provocatrice de violence. Que nous continuions de la tolérer, après qu’elle se soit manifestée tant de fois depuis 9 ans (corruption dans la construction, financement des partis politiques, mascarade de la commission Bastarache, gaz de schiste, exploitation des ressources naturelles, surtaxe santé inéquitablement répartie, favoritisme, manipulation) en dit long sur notre passivité collective.

Le premier ministre prétend que les porte-parole de la CLASSE n’ont jamais condamné les actes de vandalisme qui se sont produits récemment en marge de la grève étudiante. C’est pourquoi la CLASSE ne mérite pas, selon lui, d’être invitée à la table des discussions que la ministre de l’Éducation accepterait (j’emploie à dessein le conditionnel) de mener sur le financement des universités. À maintes reprises, pourtant, à moins que je ne rêve éveillée, j’ai entendu les porte-parole de la CLASSE répéter qu’ils n’encourageaient pas la violence et n’utiliseraient jamais ces méthodes dans la lutte qu’ils mènent. Mais ils ne l’expriment pas dans les termes que voudraient le premier ministre, et donc ils "encouragent" la violence. Alors, ils ne participeront pas à cette "commission". La police n’a pas fini son enquête et affirme ne pouvoir encore déterminer quels sont les auteurs des actes de vandalisme, mais le premier ministre a tiré ses conclusions. Et si les casseurs avaient été engagés exprès pour discréditer les étudiants et faire dérailler leur mouvement, dont le comportement a été exemplaire jusqu’ici ?

De l’enfantillage à propos des termes et un pur prétexte pour gagner du temps, que les éditorialistes souligneraient à grands traits, si ce n’était l’oeuvre du premier ministre du Québec. Certain-es accordent crédit à ce verbiage sur les mots et blâment aussi la CLASSE : il faut bien donner l’impression d’être "objectif", n’est-ce pas ? Il fallait entendre Patrice Roy, au Téléjournal de 18 heures, à Radio-Canada hier, essayer de mettre les mots dans la bouche de la porte-parole de la FEUQ pour lui faire dire qu’elle condamnait la CLASSE de ne pas "dénoncer la violence" (elle ne l’a pas fait). Et Anne-Marie Dussault poursuivre, sourire aux lèvres, le travail de division entrepris par la ministre et le premier ministre, en mettant avec insistance la CLASSE sur la sellette au sujet de son "refus" de condamner les actes de vandalisme. Comme si ces médias obéissaient à une consigne de diversion. Pendant cce temps, on oublie la hausse des droits de scolarité.

Non seulement la ministre de l’Éducation et le premier ministre trafiquent-ils la vérité en prétendant que la CLASSE "encourage" les actes de vandalisme par son soi-disant silence, mais ils trompent encore l’opinion quand ils affirment que "c’est la seule association qui n’a pas condamné ces actes". La FEUQ ne l’a pas fait, selon les dires mêmes de sa porte-parole. « On s’est dissociés des actes de violence, a précisé Martine Desjardins, mais on ne les a pas condamnés. On ne veut pas jouer aux juges. » (La Presse, 17 avril 2012). Précisément comme l’a fait la CLASSE.

Mon dégoût tourne à la nausée quand je vois que le premier ministre cherche avant tout, non pas à dénouer la crise, mais à dresser l’opinion contre cette association étudiante dont les jeunes porte-parole sont articulés et cohérents. Justement, c’est parce qu’ils tiennent des propos articulés, cohérents et convaincants que ces jeunes représentent une menace pour la ministre et le premier ministre. Ces jeunes savent ce qu’ils veulent, ne prennent pas des vessies pour des lanternes, ne se soumettent pas facilement quand on les traite en enfants. Donc, ils ne goberaient pas facilement tout ce qu’on voudrait leur faire avaler à une table de discussion. Alors, il faut les en écarter, et pour cela les discréditer.

Comme les termes "articulé, ferme et déterminé" sont synonymes de "radical", aux yeux de certain-es, alors qualifions les porte-parole de la CLASSE de "radicaux" afin de faire peur au monde et de dresser l’opinion contre eux. "Radical" est au Québec un gros mot qu’une partie de la population condamne à sa seule évocation, parfois sans même en connaître la signification dans un contexte donné. On a fait le coup maintes fois aux féministes pour les discréditer, avec un certain succès. "Radical", donc pour certain-es, "méchant", "dangereux", "extrémiste", donc à rejeter. Moi je dis : « Vive les démocrates radicaux », ce sont presque toujours eux et elles qui font changer les sociétés et les obligent à une plus grande justice sociale.

***

L’hypocrisie gouvernementale se situe aussi à un autre niveau. Je ne crois pas que le gouvernement ait la moindre intention de mener des discussions de fond sur le financement des universités. Je soupçonne que la plupart des gens n’y croient pas vraiment, médias et associations étudiant-es compris, mais ils jouent le jeu pour montrer de l’"ouverture", de la "souplesse" aux yeux de l’opinion publique et essayer de « sortir » de la crise. A-t-on oublié que le premier ministre a déclaré depuis le Brésil, la semaine dernière, qu’on venait de faire au Québec un long débat sur la construction, on n’allait tout de même pas en faire un autre dans d’autres domaines. Et pourquoi pas ? Parce que les débats, ce n’est pas le fort du premier ministre du Québec. Les débats, c’est démocratique, on ne sait jamais ce qui peut découler d’un exercice démocratique...

S’il voulait vraiment dénouer cette crise sans tromper le mouvement étudiant et la population, pourquoi le gouvernement aurait-il attendu deux mois ? La ministre dit que c’est parce que la FEUQ a fait une "ouverture" récente en proposant en fin de semaine une table de discussion sur le financement des universités. À moins que je ne rêve encore éveillée, j’entends depuis deux mois les porte-parole de toutes les associations étudiantes, et en particulier de la CLASSE, marteler qu’il faut discuter de l’ensemble du financement et de l’administration des universités. Pourquoi la ministre prétend-elle avoir une oreille sélective et n’avoir entendu que la FEUQ ? Pour isoler l’association la plus "médiatisée" depuis le début de la grève, la CLASSE, avec laquelle elle ne veut pas discuter, et pour diviser et affaiblir le mouvement étudiant. Pour essayer aussi de se faire du capital politique en vue de la prochaine élection.

Enfin, il y a un autre niveau d’hypocrisie que partagent plusieurs commentateurs/trices : tout le monde sait que si cette commission était vraiment mise sur pied, elle serait dès le départ dans l’impasse. Si l’on discutait de bonne foi du financement et du fonctionnement des universités, il faudrait nécessairement discuter de "la part" des droits de scolarité dans ce financement, car c’est l’argument invoqué par le gouvernement pour justifier la hausse des droits. Or, la ministre a posé à l’avance un interdit de discussion sur la question de la hausse des droits de scolarité, le motif même qui a mené les étudiants en grève. Elle demande donc aux étudiants d’aller discuter avec le bâillon sur la bouche. Et ce serait "tendre la main" de bonne foi ? Sommes-nous si désespérés qu’il faille croire n’importe quoi ?

Le gouvernement du Québec est en train de détourner et de défigurer un important exercice démocratique – pacifique en plus - entrepris par le mouvement étudiant. Le parti au pouvoir veut gagner du temps, à la veille d’une élection, et laisse croire à son ouverture pour amadouer l’électorat. Il fallait entendre le premier ministre faire dévier ses propos vers Pauline Marois, hier, dans les entrevues sur la grève étudiante, comme si elle était responsable et de la grève et des actes de vandalisme. Si cette "commission" était vraiment créée afin de faire en sorte que les étudiants mettent fin à leur grève, elle mourrait probablement dans l’oeuf à cause de l’élection. Alors, il n’y a pas grande conséquence pour le gouvernement à faire semblant de vouloir discuter du financement des universités deux mois après que les associations étudiantes l’aient réclamé à cor et à cri.

L’optimisme de façade affiché par certain-es critiques devant la soi-disant "main tendue" de la ministre de l’Éducation ne serait-il pas tout simplement le renoncement, par lassitude ou pire, à soutenir un exercice critique et démocratique face au pouvoir politique qui entraîne le Québec depuis près de neuf ans dans toutes sortes de dédales que réprouve la population, pour laquelle le gouvernement prétend gouverner ?

Que la manipulation soit devenue un mode de gouvernance étatique aurait de quoi dégoûter de l’engagement social nombre de jeunes qui se sont engagés sincèrement dans cette cause étudiante. Que des médias soutiennent ce mode de gouvernance ajoute au dégoût.

Je souhaite que les étudiants et les étudiantes resserrent les rangs et fassent échec à cette tentative de les diviser pour mieux les soumettre, et que la population les soutienne. Car au-delà ou à travers cette contestation étudiante, la population aurait tant de messages à transmettre au gouvernement en place.

La seule question qui importe, au fond, est celle-ci : « Quel Québec voulons-nous ? » La situation de l’enseignement à tous les niveaux et l’avenir des étudiant-es font partie de la réponse.

Addendum : un sympathisant des fascistes employé dans la haute fonction publique du Québec se prononce sur la grève étudiante.

Dans un article de son blogue ("Voix publique") du journal Voir, Josée Legault rapporte qu’un haut fonctionnaire au ministère des Affaires municipales à Québec a publié un article dans Le Soleil incitant "les opposants à la grève étudiante à s’inspirer des « mouvements fascistes » des années 1920-1930 pour administrer « aux gauchistes » ce que l’auteur nomme « leur propre médecine »." Le Soleil a retiré l’article à la suite de nombreuses protestations de lecteurs, le ministre Lessard a déclaré que l’auteur de l’article, Bernard Guay, a été sanctionné. Mais il n’a pas voulu dire comment, ce qui serait pourtant d’intérêt public. Le premier ministre Charest, qui s’est acharné sur les porte-parole de la CLASSE parce qu’ils ne dénonçaient pas suffisamment, selon lui, les actes de vandalisme commis dans le contexte de la grève étudiante, condamnera-t-il aussi un employé supérieur du gouvernement qui prône des actes fascistes ? Lire l’article de Josée Legault, ainsi que le texte de Bernard Guay dont il est question. Ce texte est enregistré en cache, il ne sera donc pas toujours en ligne.

 18 avril 2012 - La CLASSE répond à l’ultimatum de la ministre de l’Éducation : « un manque de respect pour les étudiants et les étudiantes ».

 18 avril 2012 - Entrevue de "24 heures en 60 minutes" avec Claude Castonguay, qui affirme que la ministre Beauchamp n’a pas réussi à régler le conflit. C’est maintenant Jean Charest qui devrait prendre le dossier et convoquer, dans un esprit de dialogue, les porte-parole des trois associations étudiantes. Il pourrait aussi reporter la hausse des droits de scolarité d’un semestre sans que les finances du Québec en souffrent. Il déplore que les quelques "ouvertures" se fassent une à une et trop tard, et que les policiers soient dans les universités.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 avril 2012

Toutes les chroniques des Carnets de Sisyphe 2012 :

  • Grève étudiante - Hypocrisie et mensonge
  • Politique - Des "effets de toge" pour manipuler l’opinion.
  • Quand on tolère la violence misogyne pour accommoder l’extrémisme religieux.
  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes. 
  • Que faut-il célébrer le 8 mars 2012 ?
  • Les Carnets de Sisyphe 2002-2011.

    Micheline Carrier


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