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Les femmes et la carrière universitaire : deux poids, deux mesures ?
Réponse à Nathalie Dyke

2003

par Robert Leroux, professeur adjoint

À la lecture du texte de Nathalie Dyke, "Comment inciter les femmes à devenir des professeurs à l’université ?", plutôt que de m’insurger, je n’ai pu m’empêcher de sourire. Car non seulement il évoque un lyrisme juvénile qui fait parfois songer à une dissertation de cégépien, il repose surtout sur un sophisme douteux où les clichés se succèdent les uns aux autres : les femmes qui concilient carrière intellectuelle et vie de famille doivent donner "150 % d’elles-mêmes" ; "l’université fonctionne désormais sous le règne de la performance" ; en conséquence, la culture organisationnelle de l’université peut être "une véritable broyeuse et rendre malades certains professeurs", etc. Dans ce contexte, largement dominé par la compétition, les femmes hésitent pour diverses raisons à s’engager dans des études doctorales. Résultat : elles sont moins nombreuses à occuper des postes de professeur d’université. En fait, elles ne représentent que 30 % du corps professoral de nos universités. Que faire devant cette supposée injustice ?



Niveler par le bas

Le refrain qu’entame Nathalie Dyke nous est bien connu. Tout au long de son texte, les femmes sont présentées comme de superbes victimes - victimes d’une université oppressante, victimes d’un monde compétitif, victimes aussi de leur sens inné de la famille : les femmes, écrit-elle, "continuent d’être plus présentes auprès de leurs enfants et de leurs parents vieillissants, y compris, dans certaines familles, auprès de leurs beaux-parents". L’argument est tout autant fallacieux que loufoque. On a souvent évoqué le fait que les femmes s’occupaient davantage des enfants, ce qui est généralement vrai, mais c’est la première fois, à ma connaissance, que les obligations domestiques des femmes s’élargissent aux parents... et même aux beaux-parents ! (de fait, puisque plusieurs femmes renoncent à la vie affective pour avoir une carrière universitaire, comment font-elles, du même coup, pour avoir des beaux-parents ?)

Cet altruisme, vraisemblablement plus marqué chez le sexe féminin, est une raison suffisante, parmi d’autres, pour que les exigences s’agissant des femmes ne soient pas les mêmes que pour les hommes. En effet, "pour plusieurs femmes, le rapport à la création intellectuelle sort du cadre dominant de la recherche scientifique pure et dure, et, contrairement à d’autres, elles valorisent davantage l’enseignement que la quantité de publications à leur feuille de route".

Sur cette base, Nathalie Dyke propose donc de redéfinir l’université. Pourtant, il faudrait peut-être lui rappeler que ceux (et celles) qui ne peuvent supporter la pression de l’université et de la recherche ont tout le loisir de se cantonner dans une carrière d’enseignant au cégep ou au secondaire. Pourquoi, et au nom de quel principe, devrait-il y avoir deux ou plusieurs types d’universitaires ?

Afin de permettre aux femmes d’embrasser la carrière universitaire plus facilement, Nathalie Dyke envisage des solutions navrantes qui attaquent le coeur même du projet universitaire : offrir un véritable soutien financier aux femmes qui ne les endettera pas jusqu’à 40 ans, "réduire la durée et les exigences des études doctorales [sic], garantir un meilleur encadrement et offrir des perspectives d’emploi". Il est difficile d’imaginer un système d’aide financière qui viendrait en aide seulement aux femmes. Cette mesure serait tellement discriminatoire et tellement difficile à appliquer que je n’ai pas besoin de m’étendre là-dessus. Quant à la réduction de la durée et des exigences des études doctorales, j’aimerais savoir comment on pourrait appliquer cette étrange solution. Les femmes auraient-elles à écrire une thèse plus chétive que celles de leurs collègues masculins ? Auraient-elles à éviter de longues prémisses théoriques et méthodologiques que l’on trouve à l’orée d’une thèse ? Ou auraient-elles simplement moins de cours à suivre ? Et que serait un meilleur encadrement pour les femmes ? Plus d’heures passées en compagnie de son directeur de thèse ? Un jury de thèse plus vigilant ? Est-ce dire, enfin, que les professeurs féminins devraient donner des cours de deux heures par semaine au lieu de trois ? Ce n’est pas ce misérabilisme qui me dérange le plus, même si je le trouve indigeste, c’est plutôt le fait qu’au nom de la diversité et de la liberté d’expression, on propose d’ériger la médiocrité en système.

L’inégalité des chances

Faire un doctorat est un pari. Personne n’est assuré d’avoir un poste de professeur d’université au sortir de ses études doctorales, mais quiconque connaît nos universités sait très bien que le marché, depuis 15 ou 20 ans, favorise nettement les femmes par rapport aux hommes. S’il n’est pas rare de voir des femmes être embauchées sans publication et même parfois sans que la thèse ne soit terminée, il est fréquent, en revanche, de trouver des hommes qui ont un curriculum garni de stages postdoctoraux, de livres et de nombreux articles scientifiques et qui n’ont pas (ou n’auront jamais) la chance d’obtenir un poste de professeur d’université. Et souvent, pour un homme, le fait d’avoir un meilleur dossier que celui d’une femme en lice ne lui suffit même pas pour décrocher un poste. Dans certains cas, pour être certains d’écarter les candidatures masculines, des départements de sciences sociales ouvrent des postes dans des domaines bien précis du "savoir" féministe. En sociologie, et dans d’autres disciplines gangrenées par le féminisme radical, le postmodernisme et le relativisme, certaines femmes pratiquent un terrorisme intellectuel qui rend plusieurs hommes hésitants à appliquer des règles fondées principalement sur le mérite et l’excellence.

Je m’abstiendrai ici de relever les cas d’horreur dont j’ai été témoin depuis le début de ma jeune carrière, mais il me semble pour le moins paradoxal que Nathalie Dyke se plaigne des perspectives d’emploi des femmes à l’université quand on sait que celles-ci jouissent déjà d’une situation relativement enviable. On pourrait prendre pour exemple, parmi d’autres, le cas des instituts d’études des femmes que l’on trouve dans à peu près chaque université du pays, qui visent essentiellement, outre la promotion d’objectifs idéologiques précis, à assurer et à réserver des postes de professeur et des chaires à des femmes. Et je ne parle pas ici de certaines bourses et subventions réservées exclusivement à la promotion de projets féministes.

Qu’on me comprenne bien. Je ne prétends absolument pas que les femmes sont moins habilitées que les hommes à remplir des fonctions de professeur d’université - dans des disciplines scientifiques qui se portent bien, comme la psychologie et la science économique, elles jouent déjà un rôle actif et très important -, je dis seulement, et tout simplement, que les femmes doivent être évaluées selon les mêmes critères que les hommes, qu’elles doivent somme toute jouer le jeu de la compétition et de la coopération, qui est une caractéristique fondamentale du progrès du savoir. "Peut-être aurait-il lieu de revoir les exigences requises pour être professeur d’université ?", demande Nathalie Dyke. La question mérite en effet d’être posée. Mais je crois cependant que les exigences devraient être revues à la hausse, non à la baisse.

Ce texte a été publié dans Le Devoir, le 7 mars 2003. L’auteur a autorisé sa diffusion sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 avril 2003

Robert Leroux, professeur adjoint


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