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Algérie - De quelle démocratie nous parlent-ils ?

31 mai 2012

par Salima Deramchi, féministe et laïque

Quelle bonne nouvelle ! L’Algérie marque des avancées démocratiques ! Nous demande-t-on de nous réjouir, de nous illusionner ou simplement de réaliser que la démocratie serait un vain mot que l’on vide de son sens au gré des intérêts ?

Comment croire que le simple fait de mettre en avant l’ "épouvantail" de la parité, acquise dans les démocraties au prix des luttes féministes, signifierait que le pouvoir change de cap et de couleur ?

Si, par naïveté ou par aveuglement, nous arrivions à croire que les pourcentages de femmes et d’hommes déterminent à eux seuls une démocratie, cela signifierait que notre genre détermine nos valeurs. J’irai plus loin en me posant cette question : est-ce à dire que les femmes « élues » seraient porteuses de démocratie ?

La démocratie n’est pas un habit que l’on endosse à la veille de chaque évènement et à chaque visite internationale. Elle est l’expression de valeurs, de symboles, de décisions et de comportements. Elle comporte l’égalité des droits entre tous les citoyens (hommes ou femmes, riches ou pauvres), la liberté d’expression, la liberté de conscience et de religion, l’absence de religion, la liberté de disposer de soi et de son corps, la démocratie est garante de la justice sociale et en est le symbole.

Comment les partenaires internationaux peuvent-ils se permettre de féliciter le pouvoir, se contenter des apparences ou d’ignorer à ce point ce qu’est la vie du peuple algérien, en général, et des démocrates en particulier ? Leurs discours politiques, entraînant dans leurs sillages les instances internationales, ne correspondent, en vérité, qu’à leurs intérêts économiques.

Qui se contenterait de croire, dans un pays qui respecte ses citoyens et ses citoyennes, qu’un taux aussi élevé de votes blancs et d’abstentions n’est rien d’autre qu’un acte non patriotique, ce qui signifierait que plus de 60% des Algériens et Algériennes ne sont pas patriotes ?

Pourquoi un pouvoir qui a fait du discours nationaliste sectaire son fond de commerce pour se maintenir aux commandes cherche-t-il aujourd’hui à satisfaire la communauté internationale et à se féliciter des encouragements reçus ici et là ?

Comment croire qu’un pouvoir qui enfante, à chaque rendez-vous électoral, des femmes et des hommes lui ressemblant et lui obéissant, ait atteint comme par enchantement la proportion de 30% de femmes, proportion « décidée », et que de ce fait il est la « démocratie » de la région.

Comment faire croire cela à toutes les personnes âgées que l’État accompagne mal dans leur vieillesse, aux personnes en situation de handicap non intégrées, aux jeunes se réjouissant dans l’espoir d’un départ, aux malades se tournant vers les charlatans comme seul recours à l’absence de l’État, à ces jeunes filles reniées et vouées à la prostitution pour avoir désiré, aux autres victimes de violences quotidiennes, à celles dont la société et les médias (télévision et radios) contrôlées par l’État n’offrent que le mariage comme finalité à leur vie, à celles et à ceux qui sont condamnés et désignés ennemis populaires pour leur liberté de conscience, à ces associations citoyennes contraintes à la disparition ou l’aliénation au pouvoir, à toutes et tous ces journalistes poursuivis et emprisonnés pour avoir osé dire, à tous ces jeunes et moins jeunes qui ne trouvent la solution à leurs problèmes que dans le suicide ou dans la tentative de suicide par l’immolation, à celles et ceux qui se demandent tous les matins pourquoi leur dignité est bafouée, et à bien d’autres ? La liste est trop longue.

Aujourd’hui comme hier, on voit bien que les luttes dispersées pour une démocratie réelle en Algérie font seulement le jeu de ceux qui veulent se maintenir au pouvoir. Alors, démocrates amoureux de la liberté, ne nous laissons pas entraîner dans l’officiel et l’officieux, dans les rapports de force au sein du pouvoir, dans les décryptages des rumeurs et des manipulations, et traçons le chemin ensemble.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mai 2012

Salima Deramchi, féministe et laïque


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