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Visite canadienne au "Morong 43" (Philippines) - "Mon coeur appartient réellement à ces communautés"

25 mai 2012

par Dyan Ruiz, The Philippine Reporter

En février 2010, l’armée philippine a procédé à l’arrestation illégale de 43 professionnel-les de la santé venu-es assister à Morong à un séminaire de formation pour les premiers intervenants organisé par le Conseil pour la santé et le développement (CSD). Ces professionnel-les de la santé étaient accusé-es d’appartenir à la Nouvelle armée du peuple, un mouvement rebelle.



L’une des professionnel-les de la santé illégalement détenu-es, du groupe surnommé les 43 de Morong, la Dre Merry Mia Clamor, a récemment donné une entrevue au journal The Philippine Reporter (TPR), à la suite de l’événement « Our Voices Will Not Be Silenced » (« On ne nous fera pas taire ») qui a eu lieu à l’Ontario Institute for Studies in Education (OISE) de l’Université de Toronto.

En février 2010, Clamor dirigeait un séminaire de formation en santé communautaire à Morong dans la province du Rizal quand des soldats de l’État philippin l’ont arrêtée, ainsi que d’autres professionnel-les de la santé. On les a soupçonné-es d’appartenir à la Nouvelle Armée du peuple, à laquelle Clamor et ses compagnons ont toujours nié appartenir, en dépit de la torture et des menaces proférées contre de leurs proches durant leur emprisonnement.

En mai 2010, TPR a interviewé les 43 de Morong au camp Bagong Biwa à Taguig dans la région de Manille. L’article « Canadians visit Morong 43 » fait suite à cette visite en prison. À la suite du soutien massif, tant national qu’international envers les 43 de Morong, on les a relâché-es, après 10 mois de détention, en décembre 2010.

L’événement du 31 mars 2012, à l’OISE, avait ceci de particulier qu’il présentait des conférenciers-ières en tournée (canadienne) venu-es témoigner de la violation des droits humains aux Philippines.

Pourquoi vous êtes-vous engagée en santé communautaire ?

Même avant que je ne termine mes examens de médecine, j’étais avec une ONG qui travaille dans des régions paysannes. Mon travail auprès d’eux m’a passionnée. Immédiatement après avoir réussi mes examens finaux, je me suis rendue dans une région éloignée au Nord, travailler en tant que médecin communautaire pour deux ans. Je suis retournée chez moi et j’ai essayé le travail en milieu hospitalier, mais, mon coeur appartenait réellement à ces communautés. Donc en 2005, je me suis jointe au Conseil pour la santé et le développement, une organisation comprenant 60 programmes de santé communautaire.

Étant donné le manque de ressources, quels sont quelques-uns des défis rencontrés par un-e intervenant-e en santé communautaire ?

Au début, c’est difficile parce que tu es habituée au milieu hospitalier. Dans les régions rurales, il n’y a même pas un centre de santé. Nous faisons nos consultations et traitons nos patients dans les maisons. Quelques organisations vont fournir un espace ou une petite chambre faite de bambou et en faire un centre de santé où les gens peuvent se rendre.

Mais, devez-vous apporter tout votre équipement avec vous ?

Oui, mais, nous n’apportons que les outils essentiels, comme un stéthoscope et un stylo. Habituellement, dans les régions lointaines nous n’avons pas d’électricité ni d’eau courante. On ne peut donc que faire des examens médicaux de base.

C’est pourquoi nous nous concentrons sur la formation des intervenant-es en santé communautaire - les mères, les paysans, quelques enfants, adolescents - sur la façon d’identifier les maladies et de prendre soin de leur propre santé, à l’aide de remèdes-maison. Ces communautés se trouvent généralement, très très loin des institutions médicales. C’est donc la meilleure chose que l’on puisse faire pour eux. Nous les formons et lorsqu’elles sont prêtes, nous retournons chez nous, tout en restant en contact avec elles et, par la suite, nous continuons leur formation en vue d’augmenter leurs capacités d’intervenir. Nous leur apprenons les règles d’hygiène. Nous enseignons l’écriture à quelques jeunes enfants parce que l’école est trop loin.

Parlez-moi de votre arrestation et de votre détention.

Bien sûr que c’était une surprise parce que c’était tôt le matin et nous nous préparions à la prochaine session. Ces hommes en uniforme se sont précipités autour de nous, pointant leurs armes sur nos têtes, et nous ont dit de ne poser aucune question.

Mon mari travaille pour la défense des droits humains, alors j’ai appris quels étaient mes droits. Je leur ai demandé : « Qu’est-ce qui se passe, quelles sont les accusations, pourquoi nous arrêtez-vous, à qui dois-je parler pour qu’on me réponde ? »

Mais, ils ne vous donnent aucune chance. Ils posent leurs armes sur toi et te dises de te taire. À ce moment, j’ai vraiment perdu toute la force que j’avais. Que puis-je faire ? Ils ont tous des armes.

Je me souviens que lorsque je suis allée vous visiter en prison, vous étiez davantage préoccupée par les gens que vous aidiez que de vous-même.

Oui, la plupart de mes compagnes et compagnons interviennent principalement en région rurale, ils comptent donc sur ces mères et ces paysans pour leurs soins de santé. Et lorsque nous avons été amené-es au loin, ils se demandaient qui allait prendre la relève ? Le gouvernement ne fait pas son travail quand il s’agit de santé. En prison, nous savons qu’il y a des gens qui vont prendre soin de nous mais, il n’y a personne pour prendre soin de nos malades. La plupart nous ont rendu visite et nous ont demandé de retourner dans leurs communautés.

Comment cela vous affectait-il quand vous receviez leur visite ?

J’étais déchirée parce que j’avais des malades également en prison. Puisque la plupart n’ont pas de médecin, je suis également devenue la leur en prison.

Mais, bien sûr, je voulais sortir. Il était aussi très inspirant que les personnes, que nous avions aidées, nous rendent visite. Et nous savions qu’elles étaient là dans les rues tous les jours à se rassembler pour nous. À chaque événement de notre campagne, elles étaient présentes, ça m’allait droit au coeur. Nous n’avons jamais perdu espoir qu’un jour prochain nous allions être libéré-es grâce à ces personnes.

Il y eut un immense soutien pour les 43 de Morong aux Philippines, mais aussi au niveau international. Pourquoi pensez-vous ?

C’était un flagrant cas de violation des droits humains à la suite du massacre d’Ampatuan. Et aussi, au lieu de quitter le pays pour un travail « dans de plus verts paturages », nous avons opté pour rester. C’est ce qu’ils font à ceux qui restent. Ils nous ont toujours dit que nous sommes des héros, mais je leur ai répondu que non, nous faisons notre travail parce que nous l’aimons et que nous voyons la nécessité de rester.

Quelle importance a eu l’appui international ?

Le soutien international fut un facteur très important pour nous faire sortir de prison. Et aussi, cela démontrait que nous faisions la bonne chose. Mais, je pense que ce n’était pas que la pression qui était importante. C’était de faire comprendre aux gens ce qui se passait et de les amener à agir.

Dans votre discours d’aujourd’hui, vous avez parlé de votre timidité, mais vous êtes devenue une figure de proue pour les 43 de Morong et vous dénoncez maintenant les abus au niveau international.

(Rires) C’est pourquoi j’ai choisi de travailler dans les communautés éloignées, pas de caméras, pas d’entrevues. Je le fais parce que je me sens responsable. Je dois parler de façon à ce que cela ne se reproduise plus.

Avez-vous peur que votre visibilité vous mette en danger à nouveau ?

Avant, je n’étais pas visible et je me suis fait arrêtée également, alors quelle est la différence ? Les gens nous encouragent à raconter nos histoires et faire quelque chose pour les centaines d’autres prisonniers-ières politiques ou ceux et celles dont on a violé les droits. Donc, non, je n’ai pas peur. Il est important pour moi de prendre la parole dans différents endroits pour amener les gens à comprendre, à s’unir et à agir à ce sujet.

Traduction : Annick Dockstader

Article original en anglais, The Philippe Reporter, le 13 avril 2012.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 mai 2012

Dyan Ruiz, The Philippine Reporter


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