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Carnets de campagne #2 - Faire de la politique autrement - Vraiment ?

21 août 2012

par Micheline Carrier

Le Québec a beaucoup changé depuis la Révolution tranquille, mais pas beaucoup concernant le sexisme ordinaire. Je lève mon chapeau aux femmes de tous les partis qui ont le courage de poser leur candidature à des postes politiques. Il leur faut un double talent pour supporter le double standard. Toutefois, les talents d’oratrice et le ton des débats ne sont pas pour l’électorat les seuls ni les principaux éléments à considérer pour élire ou défaire un-e premier-ère ministre.

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Françoise David est assûrément celle qui a livré la meilleure prestation lors du débat des quatre chefs, le 19 août, à RDI et Radio-Canada. Depuis, on l’encense de partout et on la propose comme modèle à suivre dans les futurs débats. En même temps, certains des journalistes et des commentateurs qui vantent à juste titre son talent d’oratrice, son asurance et son calme - et les proposent comme modèles - reprochent à Pauline Marois d’avoir été "trop calme", "passive", de "manquer de mordant", de n’avoir su rendre les coups (à Jean Charest lors du débat à TVA).

Imaginons un peu que Mme Marois se soit montrée une seule fois agressive lors du face-à-face hier à TVA. On lui aurait sauté dessus en faisant oublier que jean Charest l’a été à outrance et sans arrêt. Ainsi le veut la règle du double standard qui est bien ancrée au Québec, quoi qu’on en dise lorsqu’on veut se faire passer aux yeux du monde pour plus progressiste que les autres sociétés.

Aujourd’hui comme dans le temps de Jean Lesage, on n’attend pas la même chose d’une femme candidate que d’un homme. Quand avez-vous vu des critiques sur la tenue vestimentaire et l’allure générale de Jean Charest et de François Legault ? De Pauline Marois, on exige une chose et son contraire. Si elle porte des bijoux et une tenue plus "féminine", on la qualifie de "madame", "bourgoise", "la Marois riche", et autre. Si elle adopte une tenue plus neutre, plus réservée, on la traite de "ma tante" (comme l’a fait récemment l’insipide Jean Lapierre), de "maîtresse d’école", de "travailleuse sociale", et j’en passe.

Alors, aussi bien qu’elle reste elle-même, ce qui a bien réussi à Françoise David qui, faut-il préciser, n’avait rien à perdre et tout à gagner. Si la population élit une femme ou un homme sur son apparence en faisant l’impasse sur la gestion désastreuse de Jean Charest et les relents de corruption, tant pis pour elle : cette population n’aura que ce qu’elle mérite et se plaindra pendant cinq autres années.

Qui est plus souverainiste ?

Françoise David pouvait même se permettre, lors du débat à quatre à Radio-Canada, d’attaquer Pauline Marois sur la question de la souveraineté, et de se faire ainsi de nouveaux "amis" chez les caquistes et les libéraux. C’était un coup bas - mais de bonne guerre - pour essayer de gagner des votes, de seconder ainsi les deux fédéralistes qui voulaient ardemment en découdre sur cette question avec la cheffe souverainiste. F. David mettait en doute la volonté de P. Marois d’aller de l’avant avec son projet de souveraineté et a voulu se présenter plus déterminée qu’elle. L’opportunisme de F. David aux dépens de Pauline Marois a tellement plu à MM. Charest et Legault, qu’ils ne tarissaient pas d’éloges à son égard lors de leur point de presse respectif. Peut-être cela aidera-t-il Mme David à gagner dans Gouin et à arracher des votes au PQ ici et là, et le PQ à perdre une majorité, mais peu importe, chacun-e pour soi, n’est-ce pas ? Il y a de meilleur-es allié-es pour quelqu’un qui se dit souverainiste. Mais la fin ne justifie-t-elle pas les moyens en politique, même au sein d’un parti qui veut faire de la politique autrement ?

Le lendemain, à "24 heures en 60 minutes", comme on pouvait s’y attendre, Mme Courchesne (PLQ) et M. Simard (CAQ) ont fait leurs choux gras pour leur parti respectif des attaques de Françoise David contre Pauline Marois. Il fallait entendre le caquiste parler de "Françoise", comme s’ils étaient copains depuis des lustres.

La ferveur souverainiste de la coporte-parole de Québec solidaire a peut-être grandi à la faveur de la campagne électorale, car elle n’a pas toujours été aussi ferme. Il me semble que ce sont des militant-es - surtout des membres de l’UFP, parti qui a fusionné avec Option citoyenne pour donner Québec solidaire - qui ont insisté à la création du parti pour qu’il endosse officiellement une position souverainiste. Les coporte-parole n’y voyaient pas autant d’urgence. Et les propos d’Amir Khadir la semaine dernière n’indiquent pas qu’il soit pressé et que Québec solidaire s’orienterait vers un référendum plus tôt que le PQ de Pauline Marois s’il accédait au pouvoir - ce qui n’arrivera pas le 4 septembre, et donc, il peut se permettre de dire n’importe quoi.

Amir Khadir a déclaré, dans une belle formule comme il les affectionne : « L’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance. Et surtout, surtout, nous pensons que c’est au peuple québécois à décider de manière démocratique sans que ça soit le gouvernement qui essaie de le prendre au piège. » (http://www.youtube.com/watch?v=1pE60yPttjI). Pas de quoi faire la leçon à Pauline Marois, il me semble.

C’est le PLQ et la CAQ qui doivent être battus, pas le PQ, peut-être QS devrait-il se le rappeler s’il ne veut pas que le Québec se retrouve à nouveau avec un gouvernement libéral ou un gouvernement caquiste.

Françoise David a aussi déclaré à quelques reprises que le PQ aurait dû lui laisser la voie livre dans Gouin, et s’il manque un comté au PQ pour former un gouvernement majoritaire, QS pourrait l’aider. Drôle de raisonnement : le PQ devrait abandonner un comté sûr, détenu par un député exemplaire, pour se faire aider par l’adversaire de ce député s’il lui manque un comté pour une majorité parlementaire.

François Legault, un sexiste tout à fait ordinaire

François Legault n’est pas misogyne, il a simplement intégré le sexisme ordinaire qui sévit toujours au sein de la société et de ses institutions. Pour lui, les femmes sont si différentes des hommes qu’il faut leur expliquer son programme deux fois plutôt qu’une et d’une façon particulière. Pour les rejoindre, peut-être lui faut-il "mettre une cravate", avance-t-il en badinant. Sous-entendu : les femmes se soucient d’abord de l’apparence. Il ne lui vient pas à l’esprit que les femmes puissent ne pas vouloir du changement qu’il propose : coupe sauvage de personnel dans des services essentiels et abolition de postes, comme l’a fait Harper, tripotage des programmes sociaux pour des "gains d’efficacité", autoritarisme et arrogance qu’annonce lui-même M. Legault pour le "grand jour" de son hypothétique élection. Je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres femmes, mais moi, les rouleaux compresseurs que promettent d’être le Dr Barrette, Jacques Duchesneau et M. Legault lui-même, je n’en veux pas. Ils me font penser à des hommes qui s’attaquent aux mauvais herbes avec une grue et ne se soucient pas de détruire le potager sur leur passage.

M. Legault propose aussi une drôle d’analyse des écarts entre les revenus des femmes et ceux des hommes. Les femmes seraient moins intéressées à l’argent que les hommes. C’est toute une conception de l’égalité et de la justice sociale que soustend une pareille affirmation. Ne comptons pas sur François Legault pour se soucier de la discrimination en emploi. Les entreprises auraient toujours de bonnes raisons de ne pas mettre en oeuvre l’équité salariale.

M. Legault n’est pas seul de son espèce. On constate ce sexisme ordinaire un peu partout, et même dans les médias. Un journaliste de Radio-Canada demande à Mme Marois s’il ne serait pas excessif de vouloir appliquer le principe de l’égalité femme/homme quand des hommes ne veulent pas être servis par une femme dans les services publics. On pourrait peut-être n’engager que des hommes, tiens, pour prévenir ce genre de situation. Aux yeux de certains, le principe de l’égalité femme/homme n’est qu’une belle formule et il serait abusif de le faire respecter.

Je passe sous silence les propos de commentateurs de radio, de télé et de certains forums internet, c’est parfois à désespérer de l’espèce humaine.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 août 2012

Micheline Carrier


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4264 -