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Après la Marche des lesbiennes, un lieu pour répondre à nos questions

7 septembre 2012

par Annick Dockstader, lesbienne féministe

Il faut se l’avouer, les lieux de discussions politiques pour les lesbiennes au Québec sont inexistants. On squatte un café, un bar gai à certains jours ou certaines heures au mieux pour décompresser. Depuis la fermeture des bars sur la rue St-Denis et l’école Gilford, les lesbiennes se rencontrent pour la plupart dans leur cuisine ou leur salon. Lorsqu’elles ne se sont pas tout simplement perdues de vue avec l’épuisement de la lutte et la perte de ses espaces, il y a plusieurs années. En ce qui concerne les lesbiennes plus âgées à tout le moins. Et encore, on ne parle pas des lesbiennes en régions.

Pour les plus jeunes, comme moi, la situation est telle que nous n’avons jamais connus d’espace lesbien. Vous imaginez ? Nous investissons les milieux que nous pouvons au sein de mouvement mixtes : LBGTQ, arnarchiste, anti-impérialiste, et/ou non-mixte ; avec les féministes. Il existe, certes, de petits groupes sociaux pour lesbiennes comme les Chouettes Coquettes, les Elles, Amazones des Grands Espaces, des rencontres lesbiennes dans un centre pour femmes, le Centre de solidarité lesbienne et Facebook. Ces lieux ne peuvent assouvir, vous le comprendrez, notre soif de changement et notre désir d’abolir les systèmes d’injustices.

Dans un tel contexte, il est clair que pour nombre de lesbiennes, cette annonce d’une marche fut un appel à briser notre isolement, nous rappeler que nous sommes également des êtres politiques et nous remémorrer nos luttes passées. Nous étions près de 300, d’une grande diversité d’âges et d’origines. Pour certaines « têtes blanches », ce fut l’occasion de reprendre contact avec de vieilles connaissances, à nouveau dans la rue, après une longue absence sur la place publique. Ceci grâce à l’effervescence du mouvement étudiant, qui a animé les jeunes lesbiennes et divers mouvements sociaux.

Alors, comment restreindre mon enthousiasme de voir s’organiser une Marche des lesbiennes (1) dite radicale ? C’est aussi là, selon moi, que nous sommes rattrapées par le vide politique lesbien. Bien que réunies contre la lesbophobie et l’invisibilité au sein du mouvement LGBTQ, l’appel lancé par le Collectif de cette marche du 14 août 2012 posait la question de l’identité au coeur de son projet. Est-ce que ce projet représente les lesbiennes d’aujourd’hui ?

Une marche identitaire

À la question "qu’est-ce qu’être lesbiennes", l’appel des organisatrices les définit comme toutes personnes « qui s’identifient comme tel », que nous soyons « femmes cisgenres, trans, intersexes, bisexuelles, queer, genderqueer, bispirituellEs, etc. » Nous partageons cette « identité politique commune qui nous est propre et qui ne trouve pas complètement sa place ni dans les milieux queer, ni dans le Village, ni dans les milieux féministes », précise-t-on. À partir de cette définition, cette marche se veut la plus inclusive qui soit. Il est difficile en contre-partie de ne pas admettre qu’elle est à ce point inclusive qu’elle en est évasive et qu’elle nous éclaire peu sur ce qui relie les lesbiennes entre elles, sinon la lesbophobie. Qu’est-ce que la lesbophobie, sans savoir ce qu’est d’être lesbienne ?

Ainsi, je ne pourrais malheureusement pas dire qu’il s’agit d’une marche que de lesbiennes. En fait, il serait plus juste et honnête de dire que cette marche voulait rallier sous l’identité lesbienne, un ensemble d’individu de sexes, de groupes et de classes différents contre la lesbophobie et l’invisilibité des lesbiennes au sein du mouvement LGBTQ. Cette précision est ce qui me semble le seul point clair en ce qui concerne sa base d’unité. Or, notre projet se résume-t-il à lutter contre notre discrimination ? N’avions-nous pas le désir de bâtir une nouvelle société ?

En ne disant pas que l’affirmation d’être lesbienne est née de la résistance de femmes, et que cette affirmation trouve son sens au sein du rapport de classes H/F, n’ouvre-t-on pas la porte aux hommes de se dire lesbiennes ? Ne serait-ce pas là une réappropriation du système patriarcal ou hétérosocial par le biais de l’inclusion à tout prix. Quelles en sont les implications politiques pour la lutte des lesbiennes, la lutte des femmes et la lutte vers l’abolition des classes H/F ? Qu’en pensent les lesbiennes jeunes et moins jeunes ?

L’absence d’un lesbianisme vivant

Quelque part, l’absence de lieux et d’un pont entre les générations a créé un fossé, voire une méconnaissance entourant les enjeux du lesbianisme d’hier et d’aujourd’hui. Des lesbiennes se sont jointes à la marche suite à l’appel d’un contingent ayant pour vision des lesbiennes des femmes ayant « une position de résistance politique à la domination que la classe des hommes entretient sur la classe des femmes », et ayant comme projet politique de sortir de ce système d’appropriation en transformant la société, pas nos identités ». (2) Alors que les lesbiennes organisatrices de la marche cherchent plutôt à transformer l’identité lesbienne en la rendant plus inclusive. Comment est-on passé de l’un à l’autre ? Le lesbianisme est-il obsolète, inconnu, incompris, délaissé des jeunes ? Pourquoi me suis-je retrouvée la seule jeune de ce contingent ?

Je retiendrai de cette marche, qu’en réponse à leur expérience au sein du mouvement LGBTQ, de jeunes lesbiennes dénoncent leur invisibilité et la lesbophobie. Elles sont attachées ou liées à ce mouvement, mais elles ont une volonté de développer une pensée critique. Cet appel doit être entendu et nous devons en discuter. Sans une communauté forte, peut-on investir des milieux mixtes sans être mises au rancart ? Le discours queer est-il inclusif pour les lesbiennes ayant une conscience forte de leur lesbianisme ? Qu’a apporté le discours queer aux lesbiennes que le lesbianisme et l’analyse matérialiste n’ont pas pris en compte ? Encore faut-il savoir ce que le lesbianisme peut nous apporter.

Aussi, il est temps de faire renaître les débats délaissés et inachevés du mouvement lesbien des années 70-80, revoir les obstacles et les critiques émises et reconnaître le grand potentiel de l’analyse matérialiste des lesbiennes radicales, séparatistes, politiques et des espaces expérimentals et de recherche émergents de cette époque.

Vivement la création ou l’investissement d’un lieu afin que les lesbiennes puissent débattre du lesbianisme.

Notes

1. http://www.cqgl.ca/uploads/files/Appel-MarcheLesbiennes-2012.pdf
2. Appel relayé par le Réseau des lesbiennes du Québec le 8 août 2012.


Appel

Marchons le 14 août : mettons fin au système de classe H/F

LESBIENNES : FAISONS ENTENDRE UNE AUTRE VOIX !

Nous sommes un groupe de lesbiennes qui désire faire entendre une autre voix lors de la Marche des lesbiennes/Radical Dyke March du 14 août prochain. Nous vous invitons à vous joindre à notre contingent :

Au parc Émilie-Gamelin
Angle des rues Maisonneuve et Saint-Hubert
à 17H30 (Métro Berri-UQAM)

Nous marcherons sous deux bannières.

" Transformons la société, pas nos identités ! "

" Abolir le système de classe Hommes/Femmes ! "

Comme lesbiennes, nous considérons que notre lutte a pour but de remettre en question un système social qui opprime les femmes.

Notre position en est une de résistance politique à la domination que la classe des hommes entretient sur la classe des femmes.

Bien que nous reconnaissions l’ensemble des oppressions, notre projet politique consiste à sortir de ce système d’appropriation en transformant la société, pas nos identités.

En effet, comment revendiquer une identité individuelle permet-elle de renverser cette société ?

La question vous est lancée !

Marchons, le 14 août prochain, pour mettre fin au système de classe hommes/femmes.

Merci de diffuser dans vos réseaux.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 septembre 2012

Annick Dockstader, lesbienne féministe


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4279 -