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Cabinet de Pauline Marois – À quand la parité ?

20 septembre 2012

par Micheline Carrier et Élaine Audet

La première ministre du Québec, Pauline Marois, a présenté le 19 septembre son premier conseil des ministres. Une présentation originale qui rappelait les engagements du Parti québécois lors de la récente campagne électorale. Pour tous les ministères, la première ministre a situé le contexte dans lequel elle confiait des responsabilités et des mandats spécifiques aux titulaires. Pour tous, sauf celui de la condition féminine, se bornant dans ce cas à une idée générale qui tient en une demi-phrase. Ce conseil des ministres se distingue par beaucoup de compétences, certains ministres nettement surchargés, et l’absence de parité hommes/femmes.

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D’un point de vue féministe, Agnès Maltais représente un choix judicieux comme ministre responsable des dossiers de la condition féminine. Avec la responsabilité du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, de la région de la Capitale-Nationale et de Chaudières-Appaches, on peut toutefois se demander quel temps elle pourra consacrer au volet condition féminine de son ministère.

Alors qu’elle a précisé les mandats confiés aux titulaires des autres ministères, la première ministre a semblé à court d’idées en matière de condition féminine.

« La ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, et ministre responsable de la Condition féminine, Agnès Maltais, aura le mandat de poursuivre le travail du gouvernement précédent pour faire en sorte que l’égalité entre les femmes et les hommes devienne égalité de fait, une réalité de plus en plus concrète. »

Bel hommage au gouvernement Charest en matière de condition féminine, mais qui ressemble à un simple voeu pieux pour la suite des choses. Quelles mesures la première ministre préconise-t-elle pour poursuivre le chemin parcouru par son prédécesseur sur la voie de l’égalité de fait ? On dirait qu’elle n’y a pas réfléchi.

Plusieurs dossiers relevant d’autres ministères touchent les femmes en particulier, par exemple, les garderies, la santé, le travail, la fiscalité, la solidarité sociale. Pourtant, la première ministre aurait eu plusieurs mandats précis à confier à la ministre de la condition féminine, dans des dossiers spécifiques qui nécessiteraient des actions novatrices et immédiates.

La violence masculine envers les femmes ne recule pas, elle est de plus en plus banalisée dans l’opinion publique. Un désengagement ou le statu quo de l’État en ce domaine serait inacceptable. L’équité salariale n’a pas été mise en place dans toutes les entreprises et il s’impose de faire appliquer plus rigoureusement la loi. Et que dire de la place des femmes dans les institutions publiques et dans la politique ? Le Conseil du statut de la femme a élaboré des avis très importants au cours des dernières années, notamment sur l’égalité, la laïcité, l’hypersexualisation, la polygamie, et le dernier en date concerne la prostitution. Le moins qu’on puisse attendre du nouveau gouvernement est qu’il s’en inspire.

À quand La parité ?

Puisque la première ministre demande à la ministre Maltais de suivre les traces du gouvernement Charest en matière de condition féminine, elle aurait pu elle-même donner l’exemple en nommant un conseil des ministres paritaire, comme l’avait fait Jean Charest. Ce geste aurait contribué à faire avancer le dossier de l’« égalité concrète » dans un domaine où seule la première ministre a le pouvoir d’agir.

Le conseil des ministres de Mme Marois compte deux fois plus d’hommes que de femmes. Du côté des adjoints parlementaires, la disproportion est plus importante. Les partisan-es justifient ici et là cette décision par le fait que plus d’hommes que de femmes ont été élus sous la bannière péquiste. Jean Charest avait lui aussi fait élire plus d’hommes que de femmes, et il dirigeait un gouvernement minoritaire quand il a instauré un conseil de ministre paritaire. S’il n’a pas maintenu la parité tout au long de son mandat ultérieur, il n’en était pas loin. On avait perçu dans ce geste une direction claire sur la place des femmes en politique. L’adoption d’une loi sur la parité dans les conseils d’administration des institutions publiques avait ensuite suivi (1). Qu’une femme première ministre ne puisse pas en faire autant que son prédécesseur, en comptant autant d’élues compétentes, est discutable.

On aurait bien vu Carole Poirier à la fois ministre de la Condition féminine et responsable d’élaborer une charte de la laïcité. Elle a de l’expérience dans les deux domaines ainsi qu’une expérience parlementaire. Mais Mme Marois n’a pas appelé Carole Poirier au conseil des ministres, alors que certains ministres cumulent de trop nombreuses fonctions. Peut-être lui réserve-t-elle un mandat particulier. Bernard Drainville aurait pu partager une partie des responsabilités de Stéphane Bédard ou d’un autre ministre surchargé. Ce ne sont pas deux ou trois ministres de plus qui auraient fait s’écrouler les finances du Québec.

Parmi les huit femmes ministres, trois n’ont pas de ministère en titre, elles sont ministres déléguées, elles relèvent donc d’autres ministres (des hommes, en l’occurrence). Véronique Hivon, par exemple, aurait pu assumer des fonctions plus importantes que celles de ministre déléguée à la Santé publique et responsable de la Protection de la jeunesse. Élaine Zakaïb est ministre déléguée à la Politique industrielle et à la Banque de développement économique du Québec, et Élizabeth Larouche, ministre déléguée aux Affaires autochtones.

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Quand la seule ambition d’un nouveau gouvernement en matière d’égalité semble de suivre les traces de son prédécesseur (qu’il a par ailleurs conspué, souvent à raison, lorsqu’il formait l’opposition), on est proche de l’improvisation ou d’un intérêt mitigé pour l’égalité « réelle ». Quelle influence ce choix de la non-parité aura-t-il dans tous les ministères et dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental ? Par exemple, incitera-t-il, dans un contexte de gouvernement minoritaire, à négliger l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) lors de l’élaboration et de l’application des politiques ? (2) Une analyse qui est loin d’avoir été effectuée avec constance sous le précédent gouvernement.

Les femmes ont l’habitude de se sacrifier – plutôt, ON a l’habitude de LES sacrifier – dans des contextes difficiles. Il semble toujours y avoir un contexte difficile quand il s’agit de rendre justice aux femmes. Si l’on perpétue trop longtemps cette fâcheuse habitude, on finira par tuer à petits feux la confiance et l’espoir.

Meilleurs vœux de succès à la première ministre Pauline Marois et à son conseil des ministres *(3).

Notes

1. "Jean Charest et Pauline Marois : les personnalités politiques les plus utiles à l’égalité des femmes en 2008"
2. L’analyse différenciée selon les sexes (ADS) est un processus d’analyse favorisant l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes par l’entremise des orientations et des actions d’instances décisionnelles de la société sur les plans local, régional et national. Secrétariat à la condition féminine.
3. Composition du Cabinet de Pauline Marois : première partie et deuxième partie.

Autres lectures suggérées

. Micheline Carrier, "Carnet de campagne #5 - Aujourd’hui peut-être, un autre événement historique au Québec", Sisyphe, le 3 septembre 2012.
. Bernard Descôteaux, "Gouvernement Marois - Parité obligée", Le Devoir, 8 septembre 2012.
. Pascale Navarro, "Pauline Marois première ministre - Bienvenue aux dames", Le Devoir, 8 septembre 2012.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 septembre 2012

*Mise à jour, le 23 septembre 2012

Dans un excellent article de l’Actualité, Noémi Mercier qui a suivi Pauline Marois pendant toute la campagne décrit la dernière journée de la future première ministre. Elle mentionne un fait éclairant sur la proportion de candidates péquistes à l’élection du 4 septembre. La première ministre aura à vaincre la résistance à une place plus équitable pour les femmes au sein des instances du PQ.

Noémi Mercier écrit : « La chef péquiste regrette de n’avoir pu présenter davantage de femmes candidates (le PQ en comptait 27 %, les libéraux 38 %). "J’aurais pu en avoir au moins deux de plus  ; des femmes de grande qualité, dont une a une très grande notoriété. Mais je n’avais pas de circonscriptions à leur offrir. Je n’ai pas eu la collaboration de certaines circonscriptions. J’ai demandé à des candidats de se tasser, ils n’ont pas voulu. J’ai fait avec. "
"Le jour où Pauline Marois est devenue première ministre", l’Actualité, le 20 septembre 2012.

Micheline Carrier et Élaine Audet


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