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Colombie-Britannique - L’égalité des femmes et le contexte socio-économique absents du rapport Oppal sur les femmes disparues

19 décembre 2012

par Hilla Kerner, pour le collectif de Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter

Le rapport Oppal, qui vient d’être rendu public, ne peut être qu’incomplet et biaisé : l’enquête sur les femmes disparues a écarté un large pan du contexte socio-économique de la Colombie britannique, où le meurtrier Pickton a tué des dizaines de femmes autochtones avant que la police ne l’arrête. Des groupes qui auraient pu lui donner un éclairage important sur la situation des femmes, notamment L’Association des femmes autochtones du Canada, ont aussi été écartés de l’enquête.

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En dépit de plusieurs témoins, documents et journées d’audiences, les 1 500 pages du rapport final de la Commission d’enquête sur les femmes disparues (rapport Oppal) ne vont même pas réclamer – et encore moins faire progresser – l’égalité des femmes.

En excluant les groupes de lutte pour l’égalité des femmes – l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) et la Women’s Equality and Security Coalition (WESC) – la Commission d’enquête sur les femmes disparues a éliminé l’analyse féministe de la violence anti-femmes, y compris la prostitution, la responsabilité de l’État (dans ce cas, la province ) pour la pauvreté des femmes et donc pour leur vulnérabilité face aux hommes violents, ainsi que les échecs du système de justice pénale à protéger toutes les femmes contre toutes les formes de violence masculine.

En conséquence, il est prévisible que les conclusions du rapport de Wally Oppal seront à courte vue et ne s’attaqueront pas aux causes profondes de la prostitution :

99% de la richesse mondiale est entre les mains des hommes.

Ce fait incontestable atteste de l’inégalité des femmes en général et de l’infériorité économique des femmes en particulier. La puissance économique que les hommes en tant que classe possèdent sur les femmes se reflète dans la relation qui s’établit entre chaque homme et chaque femme.

La plupart des hommes ont plus d’argent que leur épouse. La plupart des femmes ne gagnent pas suffisamment à elles seules pour répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants. Beaucoup d’hommes violents refusent de soutenir financièrement leurs enfants en guise de représailles envers leur femme quand elle ose partir. Même si une femme qui quitte un conjoint violent a droit à un soutien au revenu, le peu que l’État lui accorde ne suffit pas à ses besoins de base tels le logement et l’alimentation (et encore moins à un logement adéquat et à des aliments nutritifs). Trop souvent, elle devra retourner chez son mari violent, ou ne pourra même pas le quitter, parce que ce qu’elle reçoit du système provincial est loin d’être suffisant pour elle-même et pour ses enfants.

La définition que donnent les dictionnaires du « bien-être » parle du « bonheur » et de la « sécurité » d’une personne ou d’un groupe. Wikipedia définit le bien-être comme « la fourniture d’un niveau minimal de confort et de soutien social pour tous les citoyens ». Des définitions certainement prometteuses... Hélas, en Colombie-Britannique, sous la houlette d’un gouvernement néolibéral, le système actuel d’aide sociale n’a rien à voir avec le bien-être de ses bénéficiaires. Il s’agit au contraire d’un système tyrannique qui gère et contrôle les pauvres tout en refusant de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.

Les femmes sont poussées à la prostitution et y restent piégées en raison de la violence et de la pauvreté. L’homme, le prostitueur, a de l’argent – de l’argent qu’elle n’a pas, mais dont elle a besoin pour survivre. Son « consentement » à l’acte sexuel est contraint parce qu’elle a désespérément besoin d’argent. Le consentement donné sous la contrainte est un principe clé dans la compréhension et la définition du viol. La prostitution est un viol rémunéré. Ce n’est pas un hasard si tant de prostitueurs commettent d’autres actes de violence contre les femmes prostituées. Payer pour l’utilisation du corps de la femme la déshumanise, la réduit à une marchandise, un objet qu’il peut utiliser de la manière qu’il souhaite. En refusant de remédier à la pauvreté des femmes, le Canada et de la Colombie-Britannique sont directement responsables de la vulnérabilité des femmes à la prostitution et à d’autres formes de violence masculine.

Alors que l’indifférence de la police à la vie des femmes prostituées du quartier Downtown Eastside de Vancouver était au cœur de l’Enquête sur les femmes disparues, celle-ci n’a aucunement fait référence au fait que la police échoue à réagir à tous les cas de violence masculine contre les femmes, y compris la violence conjugale et le viol. Beaucoup de femmes qui sont prostituées sont victimes d’inceste, violées et battues avant d’être prostituées. Nous avons examiné les appels logés en l’espace d’un mois au service téléphonique d’urgence de Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter. Sur 115 de ces femmes, 17 ont appelé la police, mais il n’y a que dans un de ces cas que l’homme a été accusé et reconnu coupable. Une conversation en table ronde entre travailleuses antiviolence de première ligne organisée en commémoration du Massacre de Montréal, le 1er décembre 2012, a conclu que, malheureusement, il n’y a peu ou pas de justice pour les femmes victimes de la violence masculine dans le système provincial de justice pénale. Plus souvent qu’autrement, la police n’arrêtera pas les hommes violents et induira les femmes en erreur en leur disant que c’est à elles et non à la police de décider si une accusation sera portée.

Quand la police intervient à la suite de signalements de violence conjugale, c’est habituellement pour conclure que la violence était réciproque, et dans les cas extrêmes, ils vont même jusqu’à arrêter la femme pour avoir tenté de se défendre. Dans la plupart des cas de viol, la police ne mène pas d’enquête approfondie, mais est prompte à décider qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour porter l’affaire au tribunal. Dans tous les cas de violence contre les femmes, la Couronne choisira le plus souvent de surseoir à l’instance ou de laisser tomber les accusations sans révéler les éléments de sa décision discrétionnaire.

En ce qui concerne la prostitution, la police a refusé d’appliquer les lois sur la prostitution en arrêtant les clients et les proxénètes pour les infractions de communication, de présence dans une maison de débauche, ou de vivre des produits de la prostitution d’autrui. Ils ne font rien pour empêcher les hommes d’exploiter sexuellement les femmes et de tirer profit de leur corps. En fin de compte, les hommes les plus violents ne passeront jamais devant un juge et ne seront jamais tenus responsable par le système de justice pénale.

La violence contre les femmes est une expression et un renforcement de l’inégalité des femmes. Des individus masculins commettent ces violences, mais il relève de la responsabilité de l’État de prévenir la vulnérabilité des femmes à la violence des hommes et d’empêcher les hommes violents d’attaquer les femmes.

La Commission d’enquête sur les femmes disparues – par son processus et son résultat – a commis l’erreur cruciale d’exclure les groupes revendiquant l’égalité des femmes. Ce faisant, l’enquête sape et entrave la lutte féministe pour la sécurité, l’égalité et la liberté de toutes les femmes.

 Version originale : "What is not in Oppal’s Report"

Traduction : Martin Dufresne

© Tous droits réservés : Le collectif de Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter

* Lire aussi : "AFAC et FAFIA répliquent au rapport Oppal sur les femmes disparues en réclamant une enquête publique nationale et un cadre d’action pour mettre fin à la violence"

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 décembre 2012

Hilla Kerner, pour le collectif de Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4334 -