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Canada - Le niqab au Tribunal - Une répétition de l’affaire Personne ?

22 décembre 2012

par Diane Guilbault, auteure du livre "Démocratie et égalité des sexes"

L’histoire retiendra que c’est en 2012, au 21e siècle, que la Cour suprême du Canada a officiellement donné droit de cité au niqab.

On a beau relire le jugement (1), prendre connaissance des références jurisprudentielles pointues, suivre l’analyse savante, le malaise persiste.

Photo : site Assour

On a l’impression que les juges font la même erreur que leurs prédécesseurs ont faite en 1927 (2) lorsqu’ils ont jugé que les femmes n’étaient pas des personnes.

Malgré tout le respect que j’ai pour les institutions judiciaires, je me demande comment il se fait que des juges de la Cour suprême, le plus haut tribunal du pays, semblent préférer des discussions mécaniques, souvent plombées par la jurisprudence, au lieu de poser un jugement sur le fond des choses.

Nulle part, dans la décision, il n’est question de l’anormalité du niqab.

La Cour suprême traite cette prison réservée aux femmes comme s’il s’agissait d’une pratique pieuse tout à fait banale, comme le fait d’aller à la messe, faire brûler des cierges ou s’agenouiller pour prier.

« Toutefois, ne jamais autoriser un témoin à porter un niqab pendant son témoignage ne respecterait pas le principe fondamental sous-tendant la Charte selon lequel les droits ne doivent être restreints que par une mesure dont la justification est démontrée », écrit la juge en chef, transformant du coup le port du niqab en droit !

La raison d’être du niqab est qu’une femme n’a pas le droit d’être vue dans l’espace public. Le niqab fait disparaître la femme pour en faire une non-personne. C’est une atteinte à la dignité de TOUTES les femmes.

Même si la femme qui le porte dit le faire de son propre gré, autoriser formellement le niqab devant les tribunaux (et dans d’autres institutions à coup sûr !), sous prétexte de liberté religieuse, est une aberration et un reniement des engagements pris par le Canada face au droit à l’égalité des femmes.

Comme dans l’affaire Personne, les juges examinent la jurisprudence et certains aspects légaux (essentiellement en regard des droits des accusés) et oublient de se pencher sur l’essentiel.

Dans ce cas-ci, avant même de commencer, il aurait fallu poser la question au cœur du litige, à savoir : le port du niqab est-il un droit à protéger ?

Puis en tant qu’institution de justice, la Cour suprême aurait dû aussi se demander si elle peut permettre dans ses murs une pratique irréconciliable avec la dignité humaine et le droit à l’égalité.

Enfin, elle aurait pu aussi se pencher sur des façons de faciliter le témoignage de toutes les plaignantes, et pas seulement les femmes en niqab, dans les cas d’agressions sexuelles.

Dans notre société où l’égalité des femmes est supposée être une loi et un droit, n’a-t-on pas le devoir de refuser des pratiques qui vont carrément à l’encontre de ce droit ?

Les juges n’ont–ils pas toujours le devoir et la responsabilité de garantir le respect de la dignité humaine ?

Le niqab est un instrument d’oppression imposé par des cultures patriarcales, non démocratiques et rétrogrades au regard du droit des femmes.

En refusant de nommer ce qui est, et en permettant dans leurs murs des pratiques contraires à la dignité humaine, les juges de la Cour suprême se rendent complices de ceux qui refusent aux femmes le statut de personne à part entière.

Finalement, peu de choses ont changé depuis 1927.

Notes

1. Jugement de la Cour suprême du Canada
2. Les cinq femmes célèbres et l’affaire « personne »

Photo : site Assour

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 décembre 2012

Diane Guilbault, auteure du livre "Démocratie et égalité des sexes"


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4336 -