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France : Un mois, quatre familicides

8 janvier 2013

par Sabine Aussenac, écrivaine, poète et journaliste

En France, en 2012, en un mois, quatre hommes, maris et/ou pères de famille, ont joué les justiciers, les redresseurs de torts, les pater familias aveuglés par leur toute puissance.

Ces familicides, que j’ai déjà évoqués dans diverses tribunes, comme ici dans Tes enfants tu ne tueras point (1), me semblent être le triste écho de ce qui se passe à l’autre bout de la planète, en Inde, où cette jeune étudiante victime d’un viol collectif vient de décéder, alors qu’une autre jeune fille de 17 ans s’est, hier, suicidée devant le refus de la police de recueillir sa plainte – on lui avait même proposé d’épouser l’un de ses violeurs…

Ne nous leurrons point : dans le monde entier, dans toutes les civilisations, depuis la nuit des temps, les femmes, loin d’être les égales des hommes, subissent des violences répétées, dans leur corps, leur esprit, jusque dans la chair de leur chair lorsque un compagnon ivre de vengeance ou de jalousie tue ses enfants innocents.

L’Inde, enfin, est dans la rue. Sur les réseaux sociaux européens fleurissent les lieux communs quant à cette "civilisation moyenâgeuse" qui opprime les femmes et, en un sens, on ne peut qu’approuver ces réflexions : je me souviens de discussions houleuses avec un ami passionné par ce pays, qui y allait chaque année, fou des couleurs, des ambiances, des folklores, même pas dans un esprit ésotérique, non, juste parce qu’il était fasciné. Lorsque je tentais d’évoquer le sort de la "femme indienne", de ces veuves jetées aux bûchers ou dans des villages de recluses, de ces fillettes assassinées et de ces fœtus avortés, des dizaines de filles vitriolées…., il me riait au nez : "Tu ne peux pas comprendre, c’est une autre civilisation…"

Ok. Je ne peux pas comprendre. Juste me réjouir de la prise de conscience de nos "sœurs indiennes" devant ces atrocités. Juste me réjouir aussi que les femmes du monde arabe prennent conscience, elles aussi, des dangers de l’islamisme, ou que la petite fille afghane qui avait lutté pour le droit à la scolarisation soit pressentie pour le Nobel de la paix.

Mais nous ? Nous, femmes d’Occident, femmes d’Europe, femmes de France, dites-moi, quand allons-nous réagir ? Quand descendrons-nous dans la rue pour dénoncer ce qui n’est rien d’autre que de la barbarie, répétée, semaine après semaine, et qui s’ajoute à ces chiffres glaçants d’une femme qui, dans la France de 2012, meurt tous les deux jours et demi sous les coups d’un compagnon, à ces chiffres du viol, à ces chiffres des femmes battues ?

J’ai interpelé le gouvernement dans le texte précédemment cité, et déjà le gouvernement précédent. J’ai eu des réponses de l’Élysée, des secrétariats de ministres, et je sais que ce n’est qu’une goutte d’eau dans la lutte magnifique que les associations mènent depuis des années. Je sais aussi qu’il y a des avancées, un ministère des droits des femmes, un décret porté à bout de bras par l’avocate Yaël Mellul, en juillet 2010, concernant le délit de violence psychologique.

Mais au sujet de ce que les médias s’obstinent à nommer pudiquement des "drames familiaux", rien.

Ce ne sont pas des drames familiaux. Ce sont des familicides, le mot existe, même si Word et le Wiki français ne le connaissent pas. Il est utilisé jusque dans les romans policiers, et largement diffusé dans les chaires de psychologie américaines, où ce problème est connu, analysé, traité (2).

Oh, je vous vois sourire, lecteurs et lectrices, et repenser à ces enfants américains de l’école de Sandy Hook. Et me reparler de la paille et de la poutre, etc.

Il n’empêche que nos pouvoirs publics n’ont toujours rien entrepris, alors que les solutions que j’avais proposées seraient aisées à mettre en place : éduquer, éduquer nos enfants et nos adolescents, les garçons comme les filles ; convoquer solennellement les futurs époux ou "pacsés" devant un psychologue et un juriste, qui leur expliqueraient et martèleraient l’évidence : on ne tue pas sa femme et ses enfants ; former des assistants sociaux spécialisés et repérer, dans les écoles, les entreprises, les enfants et les femmes en difficulté, les mettre à l’abri en cas de menaces avérées ou possibles…

Quand descendrons-nous dans la rue, nous, femmes de France, pour que cesse le massacre ?

"… égorger vos fils, vos compagnes..."

Allons ! Enfants de la Patrie !
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L’étendard sanglant est levé ! (Bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes
Aux armes, citoyens !

Car voilà un pays dont l’hymne national se retourne contre lui-même. Les Français égorgent leurs compagnes, poignardent leurs enfants, les font brûler vifs dans des voitures, les étouffent, les pendent.

L’Inde est à nos portes. Nous aussi sommes violées, assassinées, mutilées. Alors agissons, ensemble, enfin.

Notes

1. Sabine Aussenac, "Tes enfants, tu ne tueras point", Huffington Post, 24 juillet 2012.
2. Wikipedia

Sources

 C.B. et AFP, "Blanc-Mesnil : un drame familial", Europe 1, 28 décembre 2012.
 Romain Cadepon, "Drame familial à Salon : la lettre laissée par le père n’évoque pas la tuerie", La Provence, 20 décembre 2012.
 Ronan Tanguy, "Plouescat. L’hypothèse d’un drame familial", Le Télégramme, 7 décembre 2012.
 Le Parisien, " Drame familial à Crouy-sur-Ourcq : il tue sa femme et se suicide", 9 décembre 2012.

Site Sabine Aussenac

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 janvier 2013

Sabine Aussenac, écrivaine, poète et journaliste


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