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Islamistes au Mali - Les Talibans de Tombouctou

2 février 2013

par Karima Bennoune, professeure de Droit international à l’Université de Californie Davis

La guerre au Mali ne se limite pas à mettre fin au terrorisme ; c’est une lutte pour défendre une société tolérante et laïque.



Avant même que ne commence l’intervention française au Mali, 412 000 personnes avaient déjà quitté leurs maisons au nord du pays, fuyant la torture, les exécutions sommaires, le recrutement d’enfants soldats et la violence sexuelle envers les femmes aux mains des intégristes. À la fin de l’année dernière, en Algérie et dans le sud du Mali, j’ai interviewé des dizaines de Maliens et de Maliennes du nord, y compris nombre de ceux et celles qui avaient fui récemment. Leurs témoignages confirment les horreurs que les radicaux islamistes, autoproclamés guerriers de dieu, ont fait subir à leurs communautés.

Les intégristes ont commencé par interdire la musique dans ce pays qui possède l’une des traditions musicales les plus riches au monde. En juillet dernier, ils ont lapidé pour adultère un couple non marié. La femme, mère de deux enfants, fut enterrée jusqu’à la taille avant qu’un groupe d’hommes ne la mette à mort à coups de pierres. Et en octobre les occupants islamistes ont commencé à compiler des listes de mères célibataires.

Même les lieux saints ne sont pas sûrs. Ces ‘défenseurs de la foi’ d’un style particulier ont démoli les tombeaux des saints soufis locaux dans la légendaire ville de Tombouctou. Les groupes armés ont aussi détruit nombre d’églises dans le nord, alors que des membres exilés de la petite minorité chrétienne m’ont dit qu’ils s’étaient précédemment sentis pleinement acceptés. L’extrémisme religieux et ses tactiques du style El Qaida qu’il engendre sont complètement étrangers à l’islam prépondérant au Mali, connu pour sa tradition de tolérance.

L’ouverture est exactement ce que les djihadistes veulent écraser. « Le fait que nous soyons en train de bâtir un pays nouveau basé sur la charia, c’est quelque chose que les gens qui vivent ici vont simplement devoir accepter », a déclaré en août dernier le commissaire politique islamiste de la ville de Gao. Jusqu’au début de l’opération militaire, ce mois-ci, les citoyennes et citoyens locaux se retrouvaient seul-e-s à résister à l’imposition de la charia – et elles/ils combattirent vaillamment. Un journaliste de la radio fut gravement molesté par des porte-flingues islamistes après qu’il se soit élevé dans une émission contre les amputations. Les femmes défilèrent dans les rues de Tombouctou contre les diktats islamistes sur le voile jusqu’à ce qu’une fusillade mit fin à leur manifestation.

Le principal en exercice d’un collège mixte à Gao me dit que son école avait été occupée par les membres du Mouvement pour l’Unité et le Djihad en Afrique de l’Ouest. Ceux-ci prétendirent venir pour protéger les lieux, mais volèrent immédiatement les ordinateurs, les réfrigérateurs et les chaises. « Nous nous considérons comme sous occupation, me dit le principal. Nous nous considérons comme des martyrs ». Il risque sa vie pour garder l’école ouverte, pour continuer à éduquer les garçons et les filles ensemble, bien qu’il doive maintenant faire asseoir chaque groupe d’un côté opposé de la classe. « Ma présence est une source d’espoir pour mes élèves. Je ne peux assassiner cette espérance », me dit-il.

Depuis la prise de pouvoir par les djihadistes, l’économie de Gao stagne. Chaque jeudi se tiennent des simulacres de procès théocratiques, en arabe - une langue que connaissent peu de résidents. À la population majoritairement musulmane de Gao, les intégristes prétendent enseigner « comment être musulman ». Tout comme El Chabab en Somalie et les Taliban en Afghanistan, ils lancent des milices de moralité patrouiller dans la ville, pour vérifier qui n’est pas suffisamment voilée à leur goût et quel téléphone commet le péché d’avoir une sonnerie musicale. Parler en public à une femme est un crime ; cette interdiction a semé une telle terreur que certains hommes ont fui de peur de simplement voir une femme dans la rue.

Le principal a assisté aux punitions publiques de façon à documenter les atrocités. Cela revient à regarder encore et encore ses concitoyens et concitoyennes subir le fouet. Il a vu de ses yeux à quoi ça ressemble, un ‘coupable’ dont le pied est scié. Au bord des larmes, il dit : « Personne ne peut supporter ça, mais cela nous est imposé. Ceux d’entre nous qui y assistons pleurons. »

Certains opposants locaux ou internationaux à l’intervention militaire ont plaidé pour l’alternative d’une négociation avec les groupes rebelles. Mais négocier avec des groupes qui se croient les représentants de dieu et qui imposent un mode de gouvernance totalement étranger aux gens du Mali du nord a peu de chances de succès, surtout si le nord reste sous occupation. « La population n’est pas pour la charia », c’est le refrain que j’ai entendu et réentendu dans la bouche des personnes déplacées de Tombouctou et de Kidal, qu’ils soient hommes ou femmes, -e ou chrétien-nes. Préserver la tradition laïque malienne est à leurs yeux essentiel.

Les décisions politiques concernant ce potentiel Afghanistan-sur-le-Sahara doivent tenir compte du fait que ce qui arrive là n’est pas simplement une question de sécurité régionale ou mondiale, mais une question de droits humains fondamentaux. L’intervention en cours au Mali pourrait porter un coup décisif à la récente avancée intégriste en Afrique du nord, mais à la condition que les soldats français et d’Afrique de l’Ouest prennent la peine de faire le tri entre les civils et leurs oppresseurs djihadistes qui se cachent parmi les innocents.

Ils devront également éviter de déplacer simplement le problème ailleurs dans la région. Après tout, l’une des causes de l’occupation islamiste le nord du Mali est le déplacement des hommes armés de Libye après le renversement du Colonel Kadafi en 2011.

L’Algérie a perdu des centaines de milliers de ses propres citoyen-nes aux mains des groupes intégristes armés depuis les années 90. Et depuis, de nombreux djihadistes algériens ont traversé la frontière pour entrer au nord du Mali, et y reproduire le problème.

Certains Malien-nes craignaient que l’intervention étrangère n’aient de graves conséquences sur leurs foyers et leurs ressources. Mais la plupart des personnes déplacées du nord du Mali que j’ai rencontrées le mois dernier, avant l’intervention de la France, avaient déjà décidé que « les risques liés à la non-intervention sont 10 000 fois plus élevés que ceux liés à l’intervention », comme me le dit une militante des droits des femmes à Bamako. Ou bien, selon les mots d’un jeune réfugié de Gao que j’ai rencontré en Algérie : « Nous ne voulons pas la guerre, mais si ces gens ne nous laissent pas tranquilles, nous devrons les combattre. »

L’auteure

Karima Bennoune est professeure de Droit international à l’Université de Californie Davis. Elle est l’auteure de l’ouvrage à paraître au printemps 2013 idont le titre sera VOTRE FATWA NE S’APPLIQUE PAS ICI : histoires non dites de la lutte contre l’intégrisme islamiste.

 Publié en anglais par The New York Times, 23 janvier 2013.

 Traduction : Marieme Helie Lucas, de Secularism is a Women’s Issue que nous remercions de partager cet article avec nous. Source originale de

la traduction.

Site de Secularism is a Women’s Issue

© Droits réservés - Karima Bennoune et Secularism is a Women’s Issue pour la version française.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 janvier 2013

Karima Bennoune, professeure de Droit international à l’Université de Californie Davis


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4364 -