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L’assimilation viol/prostitution, une violence intolérable, vraiment ?

3 février 2013

par Salomée Miroir

Depuis quelques semaines, je vois régulièrement passer dans ma TL des tweets s’insurgeant avec virulence de l’assimilation viol/prostitution. Ce seraient là des propos d’une violence intolérable qui démoliraient à eux tout seuls la valeur du consentement féminin, et qui plus est, stigmatiseraient gravement les putes et les femmes violées. (Ils dépeindraient les premières comme des irresponsables et amoindriraient les souffrances et violences vécues par les secondes.)

Je suppose que le retour de cette thématique dans le débat prostitution est étroitement lié à son arrivée au coeur des débats abolitionnistes.

Pour les abolitionnistes, l’assimilation viol/prostitution est pertinente, puisque dans le cadre de cette dernière, il s’agit d’imposer un rapport sexuel non désiré et consenti par le pouvoir de l’argent et l’exercice de la contrainte financière sur la prostituée.

La violence intolérable se situe-t-elle vraiment là ?

Les premières fois où j’ai été confrontée à la lecture de propos dénonçant l’intolérable violence de cette affirmation, j’ai ressenti quelque chose d’étrange. Je n’aurais pas tellement su mettre de mots dessus, mais j’avais comme un malaise, et surtout, je ne comprenais pas bien le problème.

Je suis moi-même pute, femme et violée (youhou, j’en ai une chance folle !), et pourtant je ne trouve pas cette affirmation violente, là où cela semble d’une évidence indiscutable pour beaucoup d’autres.

J’ai alors ressenti le besoin de réfléchir et de faire le point sur ces mots que je ressentais personnellement comme une violence un peu partout autour de moi.

L’exercice est difficile, car de la violence dans mes parages, il y en a un paquet. (Les pires n’étant d’ailleurs pas celles s’attaquant à mon "statut" de pute, mais à ma toxicomanie.) De la physique, de la verbale, de l’intentionnelle ou pas, celle que je me dirige toute seule ou celles que me dirigent les autres, et tout cela finit par former un espèce de bruit assourdissant duquel il est parfois très compliqué de comprendre exactement qui, que, quoi, comment, pourquoi.

Et finalement, j’en suis arrivée à la conclusion que les propos qui me heurtaient le plus étaient ceux qui niaient justement totalement la violence de ce que peut être un rapport sexuel effectué par dû.

Tous ces arguments censés défendre mes droits et mes libertés, du genre :
 Les putes proposent un service consenti, donc à partir d’un moment, je n’ai rien à en dire.
(=> Tu proposes tes services, donc voilà, assume. Tu t’engages à baiser, si tu le fais pas t’es vraiment pas une bonne commerçante. Et ouais nan, pourquoi ce serait problématique, c’est que du cul !)

 Les putes se prostituent par choix, je ne suis personne pour leur dire ce qu’elles ont à faire de leur vie.
(=> Cool. Enfin moi, personnellement, je ne suis pas intrinsèquement contre le fait qu’on me fasse remarquer que je vais me faire mal en fonçant dans un mur, et que si je veux, j’ai une main tendue là, pas loin. Non non, franchement, je vais pas me sentir gravement niée dans mes libertés individuelles.)

 Les putes qui chouinent que ce qu’elles font c’est dur/violent, bah elles ont qu’à arrêter : on a toujours le choix dans la vie.
(=> Sans commentaire.)

 Les putes qui chouinent que ce qu’elles font c’est dur et violent sont des opportunistes qui veulent profiter des associations qui sont trop gentilles et se font berner par des feignasses.
(=> Oui parce qu’en fait, se prostituer c’est cool, lucratif, pas fatiguant et pas violent, bref, un truc de feignasses par excellence !)

 On peut tout autant choisir d’être pute que secrétaire ou prof de maths, je ne vois pas le problème.
(=> Ha bon ? Moi j’en vois un à ce qu’on trouve absolument normal de se retrouver dans des situations telles qu’envisager la prostitution soit aussi banal qu’envisager de devenir secrétaire ou prof de maths. Tout simplement car, pardon pour le trop plein de moralité judéo-chrétienne, le cul c’est pas rien.

Contrairement à une idée qui se répand de plus en plus, les actes sexuels ne sont pas anodins, ils laissent des marques, parfois pendant longtemps, et ce serait pas mal qu’on éduque un peu plus les gens – en particulier les hommes – à pas trop déconner avec ça. Mais bon, je dois être coincée, je vois pas autre chose.)

 On peut toujours dire non, stop, partir et rendre l’argent.
(=>Prostituez-vous un mois et on en reparle. Nan parce que, entre les fois où le produit de la prestation est essentiel à votre survie, les fois où ça commence à déraper alors que vous avez déjà été pénétrée, les fois où vous vous savez face à un client très influent sur internet, dire non, stop et se barrer en rendant l’argent (‘tention, faut pas déconner quand même, on est prestataires de service hein, donc normal, le client est roi !), c’est pas si évident. Pas impossible, bien sûr - je l’ai déjà fait moi-même -, mais pas si évident.)

 ETC.

Ça c’est putain de violent.

Cette surdité entretenue, cette indifférence, cette responsabilisation, cette normalisation de ce que je (et plein d’autres) vis(vent), c’est pire, tellement pire, qu’une surestimation de la violence prostitutionnelle.

Parce que bon, effectivement, assimiler de façon systématique le viol et la prostitution est peut-être un peu surestimé.

M’enfin, c’est quand même étrange que toutes les putes soient d’accord pour dire que l’important c’est que « ça dure le moins longtemps possible », ou encore qu’elles se réjouissent de l’existence de ces mythiques clients qui ne viendraient que pour parler.

Dernièrement, en faisant un tour sur le forum prostitution de Doctissimo (le haut du panier des forums comiques du net, ça vaut le coup d’oeil), une jeune fille a déclenché l’hilarité de plusieurs putes en exprimant clairement qu’en gros, elle voulait connaître toutes les combines possibles pour ne PAS baiser en se prostituant. « On en est toutes là », s’est elle vu répondre.

Oui c’est vrai, on en est toutes là.

Tout simplement parce que baiser par dû, c’est violent, pénible et écoeurant.
Sur le moment il y a tellement d’autres choses sur lesquelles se concentrer qu’on ne se rend pas forcément compte du caractère violent de ce qu’on est en train de vivre.

Il faut rester aux aguets et surveiller son argent et ses affaires, les capotes du client, le temps qui s’écoule, le comportement du type, ce genre de trucs.

Mais a posteriori, ça laisse parfois un goût bien amer de repenser à certaines « prestations de service ». Ce goût qui tord les tripes et qu’on se sent illégitime de ressentir, parce que bon, on était là, c’était notre choix, faut assumer...

Étrange comme ça me rappelle quelque chose.

Les grandes absentes...

Et puis comme d’habitude dans cette histoire, il y a ces grandes absentes, celles dont on ne parle jamais parce que bon, on est tous bien d’accord sur cette question alors c’est pas la peine hein.

Les putes forcées, macquées, en réseaux, appelons ça comme on le voudra.
On accuse souvent les abolitionnistes d’avoir l’esprit fermé, mais ne débattre qu’au sujet de la prostitution considérée libre et choisie, qu’est-ce que c’est sinon une belle grosse paire d’oeillères ?

Qu’est-ce que la prostitution pour ces femmes-là sinon du viol rémunéré ?
Comment peut-on s’insurger de l’intolérable violence de l’assimilation viol/prostitution sans prendre ce problème en considération rien qu’une seconde ?

Inversion des priorités...

Ce qui est tout de même étrange dans ce « débat », c’est justement cette inversion des priorités.

On s’esclaffe de la violence (contradiction = violence ?) que pourraient représenter certains propos sur une minorité avant de penser à ce qu’ils dénoncent pour la majorité.

On s’insurge au nom des quelques-unes qui vivraient leur prostitution comme un épanouissement, voire un amusement (je veux bien qu’on m’en présente, mais pour de vrai hein, pas des qui une fois qu’elles sont en privé confient des trucs épouvantables), sans considérer celles pour qui c’est une répétition de violences et de traumatismes à retardement, et encore moins de celles qui sont forcées.

On s’inquiète pour les clients, les pauvres, qui se retrouvent stigmatisés par de tels propos, alors qu’il faut les comprendre, la misère sexuelle c’est si triste.

Et finalement, on ferme les yeux, on normalise, et on devient sourd.

Non vraiment, l’intolérable violence n’est pas celle que l’on croit.

Source : blogue Le Mélange Instable de Salomée : « L’assimilation viol/prostitution, une violence intolérable, vraiment ? »

© Droits réservés - Salomée Miroir, janvier 2013.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 31 janvier 2013

Salomée Miroir


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