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Pape Benoît XVI - Traduire M. Ratzinger en justice ?

16 février 2013

par Normand Baillargeon, professeur et chroniqueur

Je n’ai jamais fait mystère de mon athéisme et de mon attachement à la libre-pensée.

Mais j’ai aussi toujours affirmé que j’accorde, sur toutes les questions que ces positions engagent, la primauté aux valeurs humanistes au sens large du terme. Pour le dire très vite, entre un athée antihumaniste et un croyant humaniste (ça se voit), je risque fort de prendre plus de plaisir à la compagnie du deuxième – avec lequel, toutefois, je vais sans doute avoir de très nombreux désaccords, pour employer un euphémisme.

Il se trouve que je pense que nous sommes nombreux, dans nos sociétés, à partager, au moins en gros, une telle perspective humaniste.

Le pape vient de démissionner. Eh bien, je l’avoue, je n’arrive pas à comprendre pourquoi, si on partage ces valeurs humanistes, que l’on soit croyant ou non, on ne convient pas de cette évidence qui semble être un sacrilège pour tant de gens : à savoir que la place de cet homme est en cour, et ce depuis longtemps, et peut-être même en prison, puisque tel serait sans doute le jugement que rendrait la cour.

Les griefs levés contre Benoît XVI sont nombreux, on va le voir. Mais il y en a un qui à lui seul justifie la demande de procès, comme on va le voir aussi.

C’est qu’on peut en reprocher des choses au bientôt ex-pape ! Ne sont-elles pas déplorables, ses nombreuses excommunications de partisans de la théologie de la libération – la théologie de la libération étant une incarnation à mes yeux particulièrement belle et vibrante de ces valeurs humanistes au sein de l’Église ?

Et que dire de son élitisme teinté de mépris pour les fidèles. Pour en donner un exemple, dans un sermon sur la condamnation de Hans Küng, en décembre 1979, il écrivait : « Le croyant chrétien est une personne simple : les évêques doivent protéger les petites personnes du pouvoir des intellectuels » !

Sans oublier son passage aux Jeunesses hitlériennes, qu’on peut certes comprendre par l’époque et sa jeunesse. Mais que dire alors de la réhabilitation, durant son pontificat, de l’évêque négationniste Richard Williamson et de Pie XII, le pape que Prévert aimait décrire en disant qu’il avait fait son chemin de croix gammées.

Je passe très vite, tant elle est bête, sur son affirmation selon laquelle le condom est inefficace pour lutter contre le sida, une position non seulement idiote, mais qui a aussi causé des océans de souffrance, tout particulièrement dans les pays pauvres.

Admettons pour un instant ce que certains assurent, à savoir qu’en tout cela Benoît XVI s’est simplement fait le défenseur des enseignements de l’Église et qu’il en a, comme c’était son devoir en raison de sa fonction, défendu les principes.

Bon.

Mais ce qui est et qui reste inexcusable et criminel, qui devrait l’être pour tout le monde, ce sont les positions qu’il a prises sur les crimes sexuels et les viols commis par des prêtres catholiques, et les gestes qu’il a posés pour couvrir ces abominations. Pour en juger, considérez les faits, tout simplement.

Élu pape en avril 2005, celui qui s’appelait jusque-là le cardinal Ratzinger avait, auparavant, à compter de 1981, dirigé la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Crimen sollicitationis, un document datant de 1962 et qui traite de la question de prêtres qui ont été compromis dans des affaires sexuelles avec des fidèles, dont des enfants, recommandait notamment de garder autant que possible le secret sur de tels scandales. Durant près d’un quart de siècle, le cardinal Ratzinger supervisera ce système de justice parallèle, largement inconnu du public, caché aux systèmes judiciaires et aux parlements, un système par lequel les coupables restent impunis et les victimes sont réduites au silence.

Des dizaines de milliers d’enfants, sans doute plus, ont ainsi souffert de torts immenses, dont certains ne se remettront jamais, aux mains de milliers de prêtres qu’un pseudo-État s’est ingénié à protéger, notamment en les cachant à la justice, en ne lui dévoilant pas des informations ou des preuves et en transférant les coupables ou présumés coupables d’une paroisse ou d’un pays à l’autre. Le pape Benoît XVI a joué dans tout cela un rôle de tout premier plan. En 2002 encore, au moment où éclataient les premiers grands scandales, il minorait la situation, et parlait sans rire de manipulation médiatique.

On dit beaucoup, ces jours-ci, que le tort du pape, dans ce dossier, aura été de ne pas avoir présenté d’excuses officielles aux victimes au nom de l’Église. C’est, on le voit, honteusement faux. De plus, le grand tort, dans toute cette histoire, c’est surtout celui de notre lâcheté collective : nous n’avons pas su exiger et obtenir que tous les coupables, le pape compris, soient jugés comme ils doivent l’être, et donc comme n’importe qui d’autre accusé des mêmes crimes.

Mais voilà que si le pape a pu longtemps être protégé par l’immunité que lui confère son statut de chef de (pseudo) État, il ne le sera plus demain, après sa démission. Qu’attend-on ?

Qui sait ? Le goût de demander des comptes aux puissants pourrait nous prendre et on pourrait alors imaginer d’étendre ce principe aux politiciens.

Il y a de quoi faire…

 Texte publié d’abord sur le site Voir, le 14 février 2013.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 février 2013

Normand Baillargeon, professeur et chroniqueur


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