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Au delà des mythes, légaliser la prostitution est une très mauvaise idée

2 avril 2013

par Jacqui Hunt, directrice du bureau de Londres, Equality Now

On propage souvent bien des mythes au sujet des prétendus avantages d’une légalisation ou d’une décriminalisation de la prostitution. Il faudrait accepter que la prostitution est le « plus vieux métier du monde » et qu’il existera toujours, donc il serait préférable pour les femmes en cause que tout soit bien en vue et réglementé. On fait valoir que, ce faisant, elles seront protégés contre la violence et l’exploitation des prostitueurs agressifs, des proxénètes, des trafiquants et des autres personnes ayant des intérêts commerciaux dans l’industrie du sexe. Cela semble, à première vue, une proposition raisonnable, mais en pratique, cela n’a pas fonctionné et ne peut fonctionner. On peut le constater à la lecture des conclusions auxquelles sont arrivés les États et les territoires où la prostitution a été légalisée ou dépénalisée.

Mythe 1 : La légalisation/dépénalisation de la prostitution rend les choses plus sécuritaires pour les femmes

Dans les pays qui ont légalisé ou dépénalisé la prostitution, les femmes continuent d’être exposées à des actes de violence graves. Selon un rapport produit en 2008 par le gouvernement de la Nouveau-Zélande, « la majorité des travailleuses du sexe interviewées ont estimé que [le fait de décriminaliser la prostitution] ne pouvait presque rien faire à propos de la violence exercée » dans l’industrie du sexe. (1)

L’assassinat non résolu de la victime hongroise de la traite Bernadette Szabó en 2009, poignardée à mort dans un bordel légal du quartier rouge d’Amsterdam, montre que le fait d’être dans un bordel légal ne garantit pas une protection contre la violence. En outre, même si ce crime s’est produit dans une zone dite réglementée, personne n’a encore été tenu responsable, près de quatre ans après, ni pour l’assassinat de B. Szabó, ni pour la traite qui l’avait amenée à Amsterdam.

En Nouvelle-Galles du Sud (Australie), un officier de police enquêteur sur la traite à des fins sexuelles a commenté comme suit les effets de la décriminalisation : « Bien que l’intention était de fournir un environnement de travail sécuritaire aux travailleuses du sexe, c’est l’inverse qui s’est produit, c’est-à-dire que les proxénètes et les exploitants de bordels ont acquis plus de pouvoir et se sont enrichis. » (2) À Victoria (Australie), un policier s’est plaint que « de nombreuses maisons closes n’ont reçu aucune visite de contrôle depuis des années » (3), tandis que le Projet Respect, une organisation d’appui aux femmes dans la prostitution, a suggéré que l’accès aux maisons closes « demeurait limité et à la discrétion de la direction de chaque bordel ». (4)

Mythe 2 : La légalisation/dépénalisation de la prostitution accroît la santé et le bien-être des femmes en cause

En 2008, une étude commandée par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a confirmé que la plupart des personnes dans la prostitution « sentaient qu’il y avait pas eu beaucoup de changement » dans l’accès qu’elles ont aux services de santé et d’information depuis la décriminalisation. Des informateurs et informatrices clés « n’étaient pas au courant d’un quelconque changement significatif dans le recours à des pratiques sexuelles plus sûres par les travailleuses du sexe à la suite de l’adoption [de la loi ayant décriminalisé la prostitution] ». (5) Parallèlement, un rapport produit en 2007 par le gouvernement néerlandais a constaté que le bien-être émotionnel des femmes dans la prostitution était « désormais inférieur à celui de 2001 sur tous les aspects mesurés, et (que) l’utilisation de sédatifs a(vait) augmenté ». (6)

Mythe 3 : La légalisation/dépénalisation de la prostitution améliore la protection sociale des femmes en cause

En Allemagne, un rapport commandé en 2007 par le gouvernement indique que la loi « n’a pas été en mesure d’apporter des améliorations réelles, mesurables à la "protection sociale" des prostituées et que « l’on n’avait observé pratiquement aucun impact positif quantifiable » sur leurs conditions de travail. (7) De plus, le gouvernement a constaté que la majorité des femmes dans la prostitution n’avaient pas – et ne voulaient pas avoir – de contrats d’emploi. En fait, il n’y a presque pas eu de femmes dans la prostitution qui se sont inscrites en tant que travailleuses auprès d’une agence d’assurance sociale ; elles n’ont donc pas eu droit à une plus grande protection sociale ou à des avantages, comme l’assurance santé ou l’assurance retraite.

Mythe 4 : La légalisation/dépénalisation de la prostitution réduit la stigmatisation pour les femmes en cause

Il s’agit d’une hypothèse répandue selon laquelle la légalisation ou la dépénalisation de la prostitution réduit la stigmatisation des femmes concernées. Toutefois, des rapports gouvernementaux et universitaires produits en Nouvelle-Zélande (8), l’Australie (9) et le Sénégal (10) ont montré que ce n’est pas le cas. À Victoria (Australie), un proxénète a indiqué que « les femmes ne cessent de nous dire que leur statut de femme ayant fait de la prostitution est utilisée contre elles ». (11) En Nouvelle-Zélande, un rapport du gouvernement a souligné que « la violence et le harcèlement des travailleuses sexuelles de la rue par des passants ivres est monnaie courante ». (12)

Il est difficile pour la légalisation ou la décriminalisation de supprimer – ou même de réduire – la stigmatisation des personnes dans la prostitution, puisque ces approches ne tiennent pas compte de son caractère d’exploitation intrinsèque. Le statu quo se trouve maintenu et renforcé, dans la mesure où la légalisation et la décriminalisation viennent endosser la relation de pouvoir inéquitable entre une femme et son acheteur. En revanche, même s’il achète l’utilisation du corps d’un autre être humain, l’acheteur de sexe n’est aucunement stigmatisé par de telles mesures. Cela contribue à l’entretien d’un système, où la femme en prostitution continue d’être subordonnée, stigmatisée, exploitée et mal protégée contre les préjudices, alors que son acheteur se voit accorder une quasi immunité.

Mythe 5 : La légalisation/dépénalisation de la prostitution réduit l’activité criminelle dans l’industrie du sexe

Il existe une foule de rapports sur des hausses constatées de traite des personnes et de crime organisé dans les États qui ont légalisé ou dépénalisé la prostitution. Il n’est pas difficile de comprendre que les proxénètes, les trafiquants et les autres profiteurs de la prostitution d’autrui vont affluer vers les environnements qui tolèrent et même facilitent la prostitution, où l’on pourra sans doute trouver une demande accrue et où ils peuvent se draper du manteau de la légalité. En 2003, le maire d’Amsterdam a déclaré que la légalisation n’avait pas réussi à prévenir la traite et a suggéré qu’il était « apparemment impossible de créer une zone sûre et contrôlable pour les femmes à l’abri des violences du crime organisé ». (13)

En 2007, un rapport du gouvernement allemand a également suggéré « l’absence de la moindre indication viable que [la loi] avait permis de réduire la criminalité ». (14) Pendant ce temps, en Australie, une étude de l’Université du Queensland a constaté qu’environ 90% de l’industrie du sexe existait en marge de l’industrie légale, parce que « les formes illégales de prostitution visaient une demande que ne satisfaisait pas le secteur légal de l’industrie ». (15) Le Premier ministre de Nouvelle-Zélande, John Key, a récemment confirmé lui aussi que la dépénalisation n’avait pas fonctionné dans son pays concernant une réduction de la prostitution des mineur-es. (16)

Mythe 6 : En criminalisant l’acheteur, nous ne reconnaissons pas ce que veulent vraiment les femmes dans la prostitution

Une étude menée en 2003 a révélé que 89% des femmes qui sont dans la prostitution choisiraient de quitter ce milieu si elles se sentaient habilitées à le faire et si d’autres choix leur étaient accessibles. (17) Cependant, malgré cela, les propositions de légalisation et de dépénalisation la décriminalisation échouent à reconnaître – et surtout à appuyer – cette majorité de femmes qui veulent sortir de la prostitution. Selon le rapport de 2007 du gouvernement néerlandais, « seulement 6% des municipalités ont indiqué que leur politique fait place à la possibilité de quitter le milieu de la prostitution ». (18)

Au contraire, aider les femmes à quitter le milieu est un élément clé du modèle nordique, (19) qui, d’une part, criminalise ceux qui achètent du sexe et, d’autre part, abolit les sanctions contre les personnes qui sont dans la prostitution. L’organisation Eaves et la London South Bank University ont lancé récemment une étude qui détaille la manière dont il est possible d’abolir les obstacles à une sortie de la prostitution. (20) Une des principales conclusions de ce rapport est que, munies du soutien approprié, beaucoup de femmes peuvent sortir de la prostitution et le font, pour passer à l’étape de reconstruire leur vie. Les pays qui considèrent la prostitution comme un crime de violence contre les femmes, qui pénalisent les auteurs de ces crimes et qui soutiennent les femmes concernées, ont mis en place des programmes offerts à celles qui veulent sortir de la prostitution. Cependant, l’on reconnaît qu’il reste beaucoup à faire à cet égard.

La légalisation et la dépénalisation ont également le défaut de ne pas tenir compte des circonstances dans lesquelles beaucoup de femmes entrent dans la prostitution, pourquoi elles le font et ce qui pourrait les y maintient. Notre propre expérience de travail avec des survivantes de la prostitution nous a appris qu’une proportion importante de femmes entrent dans l’industrie du sexe avant leur majorité. Pourtant, il ne se fait pas suffisamment de travail de prévention à un stade précoce pour encourager l’estime de soi des jeunes filles et leur offrir une protection contre les violences. Les trafiquants, les proxénètes et les exploiteurs peuvent exercer un contrôle psychologique subtil et "préparer" à la prostitution des jeunes filles vulnérables - en plus d’utiliser contre leurs victimes des violences physiques.

En suggérant que la prostitution est un « métier comme un autre », ceux qui en réclament la légalisation ou la dépénalisation ne tiennent pas compte du nombre important de femmes qui entrent dans le système en tant que mineures et qui n’acquerront pas soudainement une multitude de solutions de rechange le jour de leurs 18 ans. Il y a aussi beaucoup d’autres problèmes qui contredisent le mythe d’un libre choix à s’engager dans l’industrie du sexe. Les femmes dans la prostitution ont tendance à présenter des niveaux élevés de stress post-traumatique ; une récente étude menée dans neuf pays sur la prostitution a suggéré que 68% des répondantes souffraient de stress post-traumatique. (21) En outre, celles qui ne sont pas entrées dans la prostitution pour financer une dépendance à la drogue ou à l’alcool peuvent se tourner plus tard vers ces substances comme mécanisme d’adaptation, ce qui rend difficile leur sortie du milieu.

Conclusion

La prostitution constitue un cycle destructeur de violence et d’abus, où ceux qui ont la capacité d’acheter du sexe conservent à tout moment le pouvoir sur les membres moins privilégiés de la société.

Les apologistes de la prostitution prétendent constamment que la légalisation et la dépénalisation sont les meilleures façons d’en réduire les méfaits. Toutefois, tant les preuves disponibles que notre expérience montrent clairement que ce n’est pas le cas. De telles approches ne réduisent pas la violence contre les femmes dans la prostitution, elles ne contribuent guère à améliorer leur santé, leur bien-être ou leur protection sociale ; elles n’arrivent pas à réduire la stigmatisation des femmes concernées ; elles échouent à reconnaître le contexte dans lequel les femmes entrent et restent dans la prostitution ; elles n’appuient pas réellement celles qui souhaitent quitter le milieu. Au contraire, elles contribuent à entretenir un environnement favorable à l’exploitation et au crime organisé.

Plutôt que d’appuyer les femmes dans la prostitution, les approches de légalisation et de dépénalisation légitiment un système dommageable et dangereux, où l’exploitation d’une partie de la société par une autre est non seulement tolérée, mais endossée. Cette formule est contre-productive, non seulement pour les femmes dans la prostitution, mais parce qu’elle suscite, appuie et maintient l’inégalité des sexes, que vivent les femmes et les filles dans l’ensemble de la société. Il ne s’agit pas d’une question de morale, il s’agit de commencer à s’attaquer à ces inégalités fondamentales, de façon à faire place à des choix véritables.

Nous vous invitons à réfléchir au genre de monde où vous aimeriez vivre et à la façon dont vous aimeriez voir traitées les personnes. Est-ce que le droit d’acheter et d’utiliser le corps de quelqu’un d’autre figure dans votre vision du monde ? Veuillez prendre le temps de regarder en détail ce que nous proposons. (22) Veuillez aussi prendre le temps de lire les « récits de survivantes », que nous lançons aujourd’hui (des témoignages de première main par des femmes ayant quitté la prostitution).

Notes

1.
http://www.justice.govt.nz/policy/commercial-property-and-regulatory/prostitution/prostitution-law-review-committee/publications/plrc-report/documents/report.pdf
2.
http://www.smh.com.au/nsw/licensing-law-to-tighten-screws-on-brothel-chiefs-20111010-1lhm7.html
3.
http://www.parliament.vic.gov.au/images/stories/committees/dcpc/Trafficking_Final_full_report_with_cover.pdf
4. http://projectrespect.org.au/
5.
http://www.justice.govt.nz/policy/commercial-property-and-regulatory/prostitution/prostitution-law-review-committee/publications/plrc-report/documents/report.pdf
6. http://www.wodc.nl/ob249a_fulltext_tcm44-83466.pdf
7. http://www.cahrv.uni-osnabrueck.de/reddot/BroschuereProstGenglisch.pdf
8.
http://www.justice.govt.nz/policy/commercial-property-and-regulatory/prostitution/prostitution-law-review-committee/publications/plrc-report/documents/report.pdf
9.
http://www.parliament.vic.gov.au/images/stories/committees/dcpc/Trafficking_Final_full_report_with_cover.pdf
10. http://www.ajol.info/index.php/ajar/article/view/63160
11.
http://www.parliament.vic.gov.au/images/stories/committees/dcpc/Trafficking_Final_full_report_with_cover.pdf
12.
http://www.justice.govt.nz/policy/commercial-property-and-regulatory/prostitution/prostitution-law-review-committee/publications/plrc-report/documents/report.pdf
13.
http://www.expatica.com/nl/essentials_moving_to/country_facts/why-street-walkers-are-getting-the-boot-2958.html?ppager=1
14. http://www.cahrv.uni-osnabrueck.de/reddot/BroschuereProstGenglisch.pdf
15.
http://www.law.uq.edu.au/documents/humantraffic/reports-presentations/UQ-HTWG-Ten-Years-of-Prostitution-Regulation-in-Qld-Sep-2009.pdf
16.
http://www.odt.co.nz/news/politics/234736/prostitution-law-reform-hasnt-worked-pm
17. http://www.prostitutionresearch.com/pdf/Prostitutionin9Countries.pdf
18. http://www.wodc.nl/images/ob249a_fulltext_tcm44-83466.pdf
19. http://www.equalitynow.org/sites/default/files/Nordic_Model_EN.pdf
20.
http://i1.cmsfiles.com/eaves/2012/11/Breaking-down-the-barriers-a37d80.pdf
21. http://www.prostitutionresearch.com/pdf/Prostitutionin9Countries.pdf
22. http://www.equalitynow.org/sites/default/files/Nordic_Model_EN.pdf
23. http://www.equalitynow.org/survivorstories/

 Version originale.

 Traduction : Martin Dufresne, avec l’autorisation d’Equality Now.

© Jacqui Hunt, Equality Now

Mise en ligne sur Sisyphe, le 5 mars 2013

Jacqui Hunt, directrice du bureau de Londres, Equality Now


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4388 -