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Le viol de Steubenville - C’est de la masculinité qu’il s’agit

25 mars 2013

par Meghan Murphy, journaliste et écrivaine, Feminist Current

Deux joueurs de football de l’école secondaire de Steubenville, dans l’Ohio, ont été reconnus coupables du viol d’une fille de 16 ans dimanche dernier, le 17 mars (1). Le tribunal a reconnu qu’ils avaient pénétré digitalement la victime, et l’un a été reconnu coupable d’utilisation illégale d’une personne mineure dans du matériel à base de nudité.

Les allégations portées contre les jeunes hommes, Trent Mays, 17 ans, et Ma’lik Richmond, 16 ans, l’ont été après la divulgation d’une série de photos, vidéos, textes et messages affichés sur des médias sociaux en août dernier. Une photo montrait la victime étendue sur le sol lors d’une fête, avec du sperme de l’un des accusés sur sa poitrine » (2). Une autre, qui a été largement diffusée, montrait la jeune fille que l’on portait par les bras et les jambes (3). Mays et Richmond ont été condamnés à au moins un an de centre de détention juvénile, mais pourraient rester en détention jusqu’à l’âge de 21 ans.

Ces jeunes hommes ont été à la fois pris en pitié et vilipendés (mais surtout pris en pitié, notamment par le réseau CNN) (4). Par ailleurs, quiconque a suivi de près les réactions affichées en ligne après l’annonce du verdict, dimanche, aura sans doute constaté en partie l’horrible blâme qui s’est alors produit (et qui se poursuit) à l’endroit de la victime (5). Matt Binder a recueilli et assemblé certains des nombreux « tweets » où l’on est allé jusqu’à soutenir que la victime devait être accusée de consommation d’alcool en tant que mineure, que si « vous ne voulez pas faire violer, ne buvez pas jusqu’à perdre conscience », ou que « il est évident que la fille va crier au viol une fois que ses parents apprennent la situation, parce que les vidéos circulent massivement » (6). Les choses ont même été beaucoup plus loin. Deux jeunes filles ont été arrêtées aujourd’hui après voir adressé des menaces de mort à la victime (7).

Pour ma part, je ne plains pas ces garçons. Pour une fois, des hommes sont tenus responsables de leur comportement. Il est anormal, c’est sûr. Pas étonnant que les gens soient choqués. Après tout, nous sommes habitués à voir des « têtes de nœud » régner en toute impunité. Nous sommes habitués à entendre des récits – que ce soit dans les médias ou dans nos propres vies – de viols qui demeurent impunis. Ce qui est stupéfiant n’est pas que ce crime soit arrivé, mais que ces jeunes hommes aient été reconnus délinquants (l’équivalent au tribunal de la jeunesse d’une reconnaissance de culpabilité).

Mais je ne suis pas non plus intéressée à vilipender ces individus. Ce que nous devons comprendre, je pense, c’est que, oui, ce comportement était absolument répugnant et horrible et il doit absolument être considéré comme un crime, mais que ces jeunes hommes ne sont pas des monstres. Ils sont tout simplement des gars ordinaires. Des gars qui jouent au football, vont à l’école secondaire et vont à des fêtes avec leurs amis. et qui ont appris, en grandissant en tant qu’hommes dans une culture masculine de viol et de pornographie, que les femmes ne sont pas de véritables êtres humains à part entière. Ils ont appris, comme beaucoup de garçons l’apprennent en tant qu’hommes, que les femmes existent pour le divertissement des hommes ; que ce soit sur scène dans un club de danseuses, sur l’écran dans de la pornographie, ou ivre-morte à une fête.

La transcription des messages texte qui a permis les condamnations dans le procès pour viol de Steubenville a été mise en ligne (8) (avertissement - cette transcription est très explicite). La conversation entre ces jeunes hommes est très difficile à lire. Ils s’amusent du viol de la jeune fille avant de réaliser que le partage des photos de l’agression pourrait s’avérer incriminant. Leur principale préoccupation n’est pas le bien-être de la victime, loin de là. Elle ne compte presque pas pour eux. C’est pour eux un jouet dont s’amuser et à ridiculiser. Leur véritable préoccupation est de se faire prendre. Ils savaient très bien que ce qu’ils faisaient était mal :

. Sean McGee à Trent Mays : T’aurais pas dû le faire si elle était aussi saoule.

. Trent Mays : C’était qu’une branlette.

. Sean McGee : J’ai vu les photos, mon frère. Ne mens pas.

. Trent Mays : Elle était nue tout le temps, mais elle était comme morte.

. Sean McGee : Si elle parle à quelqu’un, cela pourrait revenir à ses parents, puis revenir contre toi.

. Trent Mays : Elle sait ce qui s’est passé.

. Sean McGee : Non, elle ne le sait pas.

La conversation se poursuit : MMS multimédia de Trent Mays envoyé à Anthony Craig et Mark Cole : (l’image est celle de la victime, nue, avec comme légende) « Les chiennes sont des chiennes. Baisez-les. »

. Les garçons tentent de couvrir leurs traces.

. Trent Mays à Evan Westlake : Enlève ça de You-tube. L’entraîneur Sac est au courant. Vraiment, enlève-le.

. Evan Westlake : Nier jusqu’à la mort.

. Trent Mays : Son père le sait, et si nos noms sont cités, dites qu’elle était seulement très saoule si on vous le demande.

. Trent Mays : Ils savaient qu’elle est restée chez Mark. Tu dois juste dire qu’elle était endormie au moment où tu es arrivé.

. Trent Mays à Cody Saltsman : Nodi ne cesse se faire aller la gueule à dire à quel point elle était morte. Si quelqu’un nous le demande, on l’a simplement amenée chez Mark, et elle s’est endormie.

. Trent Mays à Mark Cole : Contente-toi de dire qu’elle s’est évanouie chez toi si quelqu’un te le demande.

. Mark Cole : Je ne sais pas – elle a merdé. C’est de sa faute si elle a merdé.

. Cody Saltsman à Trent Mays : Je t’entends, mon vieux. Je vais dire que vous preniez simplement soin d’elle.

Ils ont bien appris l’art de blâmer la victime.

Si je vous cite cette conversation, ce n’est, je le précise encore, pas pour les dénigrer. Ces garçons ne sont pas des monstres. Ce sont des hommes que j’ai connus. Des hommes avec qui je suis allée à l’école secondaire. Des hommes avec qui je suis allée à des parties. Des hommes qui ont violé mes amies. Ces jeunes hommes ne sont pas une anomalie. Voilà ce qu’est la masculinité. Ce qu’est la culture masculine. La culture masculine ordinaire, « normale », quotidienne.

Je n’ai aucunement l’intention de dire que chaque homme et garçon se comportent de cette façon. Ce n’est pas le cas. Tous les hommes ne sont pas des violeurs. Tous les hommes individuellement ne voient pas et ne traitent pas littéralement les femmes comme des jouets sexuels. Je connais beaucoup d’hommes, dans ma vie, que j’aime profondément et qui traitent les femmes comme des êtres humains. Mais ces jeunes hommes de Steubenville sont aussi des hommes qui ne sont pas anormaux. Ils n’ont rien de « croche ». Ce ne sont pas des malades mentaux. Il s’agit de la culture dans laquelle nous vivons où la vie est un film porno. Où le viol est une punition pour les femmes qui ont trop bu. Où des actes sexuels sont filmés et mis en ligne afin que le monde puisse voir ce à quoi servent vraiment les femmes. Afin que les femmes puissent être ridiculisées et blâmées et agressées simplement du fait de leur existence dans une culture de viol.

J’ai connu des hommes comme ceux-là. Ces conversations citées dans la transcription sont des conversations qui ont eu lieu à plusieurs reprises. Ce qui arrivé à cette jeune fille est arrivé à plusieurs reprises. À des femmes que nous connaissons. Si vous avez réussi à ne pas assister à des manifestations de la masculinité et de la culture masculine sous cette forme, vous avez de la chance. Je ne peux qu’en déduire que vous n’avez jamais été à un party de collégiens, un club de danseuses ou regardé de la porno. Que vous n’avez jamais été à l’école secondaire. Ou, si vous l’avez fait, que vous avez été d’une façon ou d’une autre protégé-e contre ces comportements et ces conversations. Vous avez de la chance si la conversation vous choque. Parce qu’elle n’est pas choquante. Il ne s’agit pas d’une sous-culture sordide. Il s’agit de notre vie, notre monde, nos hommes et nos garçons.

Notes

1. Lien.
2. Lien.
3. Lien.
4. Lien.
5. Lien.
6. Lien.
7. Lien.
8. Lien.

 Original : « The Steubenville rape case : This is masculinity », 19 mars 2013, Feminist Currents.

 Traduction : Martin Dufresne

©Meghan Murphy, 2013.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 mars 2013

Meghan Murphy, journaliste et écrivaine, Feminist Current


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