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Une éducation féministe donne de meilleurs fils

23 avril 2013

par Silvana Mazzocchi, La Repubblica

Histoires et expériences des femmes qui ont transmis leurs valeurs à une génération qui ne comprend pas le père-roi et l’inégalité des sexes.



S’il est vrai que, derrière un homme violent, il y a souvent un père brutal, il est tout aussi clair qu’il y a encore trop de mères complices : ignorant peut-être les dommages d’un modèle archaïque mais enraciné, elles le justifient. C’est le modèle qui fait de l’homme (même en crise) un "roi" et de la femme une créature destinée à rester, même émancipée et plus "avancée", subordonnée à ses pairs, frères et mari.

Mais qu’advient-il lorsque des mères, qui se rappellent fièrement leur passé féministe, forment leurs enfants en contraste d’une société fortement patriarcale et les éduquent selon les principes et croyances qui ont alimenté la seule révolution réussie du XXe siècle ?

Une réponse, positive et qui donne des signaux d’espoir pour un avenir moins marqué par la brutalité de l’homme envers la femme, se trouve dans l’ouvrage Madri (femministe) e figli (maschi) (Mères) féministes et enfants (mâles) (XL Edizioni, Rome, 2013), signé par Patrizia Romito, professeure de psychologie sociale à l’Université de Trieste et auteure de nombreux essais sur des thèmes apparentés, et Catherine Grego, ex-membre de l’organisation "Telefono Rosa".

L’enquête rassemble des témoignages recueillis en Italie, en France et au Québec auprès de plusieurs protagonistes - mères et fils - qui ont accepté de partager leurs expériences avec les auteures. En émerge une impression de tendresse, de courage et d’engagement. Et ces valeurs que les femmes féministes ont voulu et su transmettre, conformément à cette conviction que « le personnel est politique », qui est restée dans leur mémoire et qu’elles n’ont jamais abandonnée. Et le plus important, les enfants disent que, dans l’équilibre entre ce qui est intégré des mères et ce qui est rejeté, ce qui ressort, ce sont de loin les aspects positifs de l’éducation reçue.

On a beaucoup parlé des hommes qui seraient en crise d’identité profonde à cause de la rapidité et de l’étendue de l’émancipation réalisée par les femmes. Et de du fait que les hommes (pas tous heureusement) refusent presque toujours d’admettre comment l’oppression et la violence peut accompagner la frustration résultant de la perte du rôle dominant. Un mouvement de ressac qui empêche de considérer la possibilité de redéfinir son identité, étape essentielle pour parvenir à un nouvel accord avec le sexe opposé. C’est dire à quel point est précieux ce livre qui présente en son centre l’expérience des femmes ayant éduqué leurs enfants suivant des principes simples mais précieux : la justice, le respect d’autrui, la liberté, l’égalité, la non-violence.

. Sylvana Mazzocchi : Patrizia Romito, de quoi bénéficie (en plus) un fils de mère féministe ?

« Tout d’abord, de l’image d’une femme qui se respecte et respecte les autres femmes, qui a un plan et un but qui transcende le quotidien, et qui veut un monde plus juste pour les femmes et pour les hommes. Beaucoup de jeunes répondants disent que d’avoir une mère féministe a permis de mieux comprendre les femmes, d’avoir confiance en elles et de choisir des compagnes fortes et indépendantes, même si certains se plaignent, en plaisantant, qu’ils ont perdu à l’adolescence certaines « bonnes occasions », étant incapables d’adopter cette « stratégie de drague » pratiquée par leurs pairs. La plupart d’entre eux savent comment reconnaître la discrimination contre les femmes, le sexisme et la misogynie, et les jugent inacceptables. Francis et Félix, les enfants de femmes qui ont fondé des centres antiviolence, en Italie et au Québec, sont conscients de la violence masculine contre les femmes et fiers de l’engagement et des actions de leur mère : Francis, 15 ans, voit pour cette raison sa mère comme un « héros ». Félix dit : « Mon éducation m’a rendu plus sensible à la violence contre les femmes ... grâce à elle, je vais avoir des relations plus égalitaires, plus harmonieuses avec ma partenaire. » Certaines des femmes interrogées disent avoir parfois été inquiètes de rendre leur enfant trop différent des modèles machistes dominants, mais c’est une préoccupation que ne reflètent pas nos entretiens avec les enfants. En effet, comme Charles dit : « Ma mère m’a donné plus qu’elle ne pense. »

. S.M. : La chronique nous montre comment derrière un homme violent, il y a souvent une mère complice…

« Derrière un homme, un garçon violent, il y a plus souvent un père violent, envers leurs enfants ou la femme ! Bref, il y a un enfant qui a "appris" la violence, en prenant le père comme modèle. Cela dit, nous devons reconnaître que beaucoup de mères sont solidaires des enfants quand ceux-ci expriment un comportement machiste, voire violent. Dans ce domaine, les mères n’échappent pas aux préjugés misogynes et sexistes partagés par une grande partie de la société. Qu’il suffise de rappeler le cas de la jeune fille violée par ses pairs à Montalto di Castro (petite ville dans le centre de l’Italie) : toute la communauté (y compris les mères de violeurs et le maire) ont minimisé le fait ("une farce") et s’est prononcée contre la victime. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que les mères, en tant que telles, soient meilleures que le reste de la société, ou soient moins marquées par les préjugés. Mais peut-on s’attendre à ce que les femmes et les hommes féministes voient les choses différemment ? Par exemple, l’une des personnes interrogées, Caroline, parle de la peine d’amour de son fils quand une fille l’a quitté en disant : « Je l’ai invité à vivre sa douleur, en lui rappelant toutefois qu’il n’avait pas le droit de mettre de la pression sur cette fille, de la harceler ou la dénigrer. »

Un conseil à toutes les mères pour élever de "nouveaux" hommes ?
« Je ne veux pas donner des conseils ! Nous citons volontiers, cependant, ce que disent les femmes que nous avons interrogées. Annick, dans une période difficile pour son fils, s’est efforcée de maintenir le contact avec lui : « Je n’ai pas manqué une occasion de lui expliquer comment le machisme enferme les hommes et les femmes dans des catégories arbitraires. » Marie-Rose, qui vit en campagne, s’est engagée à éviter que ses enfants ne deviennent des « coqs irresponsables » et les interroge, parfois au grand étonnement des spectateurs, sur la responsabilité de l’homme dans la conception et la nécessité de l’accord profond de la femme dans une relation sexuelle. Toutes les femmes semblent communiquer aussi aux enfants, en mots et en actions, la nécessité d’être indépendants dans les soins personnels et dans la maison, et de savoir comment prendre en main tous les travaux ménagers.

Les enfants de Marie-Rose, qui sont à l’école primaire, préparent le déjeuner et accueillent parfois maman et papa avec un menu imprimé : « Ils ne s’attendent pas à ce que la mère (ou une femme) soit à leur entière disposition. » Cette prise en charge est partagée par son mari, selon qui le travail domestique peut être fait par chacun d’eux, tant au niveau de la préoccupation que de l’exercice. Florence enseigne à ses filles et fils les mêmes leçons sur les tâches domestiques, en tenant compte de leur âge. Chaque tâche est un droit, et Renaud, attentif aux promotions, est immensément fier quand, à trois ans, il peut débarrasser la table ! D’autre part Anne, quand elle se rend compte avec horreur que son fils adolescent s’attend à ce que sa mère soit "à son service", met en œuvre des stratégies déterminées comme de laisser la vaisselle sale dans sa chambre et refuser de préparer à manger "à la demande" (en dehors des heures prévues).
En résumé, il s’agit pour les femmes de s’aimer et de se respecter, et ne pas considérer l’homme -. le mari, le fils - comme un roi. »

 Patrizia Romito et Caterina Grego, Madri (femministe) e figli (maschi), XL Edizioni, Rome, Rome, 2013, 232 pages, € 15,90.

© Tous droits réservés : Silvana Mazzocchi

  Article original, La Repubblica, 15 avril 2013.
 Traducteur : Martin Dufresne, révisé par Patrizia Romito

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 avril 2013

Silvana Mazzocchi, La Repubblica


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