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Extrait du Livre noir des violences sexuelles
Les violences sexuelles sont un problème de société et de santé publique

19 mai 2013

par Dre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

Les chiffres noirs des violences sexuelles et la gravité de leurs conséquences sur la santé et la qualité de vie des victimes montrent à quel point elles sont un problème de société et de santé publique majeur. Les connaissances actuelles sur les mécanismes neuro-biologiques impliqués dans les violences nous donnent des outils pour lutter contre les violences sexuelles, les prévenir, protéger les victimes et les prendre en charge. Et il est scandaleux que l’immense majorité des victimes de violences sexuelles, malgré tout le travail remarquable des associations, restent encore en France abandonnées, sans aide, ni justice ni soins appropriés. Il s’agit avant tout d’un problème politique.

Nous vivons dans un monde encore profondément inégalitaire, malgré les progrès faits en matière d’égalité dans les sociétés occidentales. Trop nombreux sont ceux qui restent agrippés à des privilèges, dont celui, exorbitant, d’exercer des violences, et même des crimes comme des viols. Dans nos démocraties, ces privilèges avancent masqués sous couvert de beaux atours. Ils se déguisent en liberté, amour, éducation, sexualité… Il est essentiel de dénoncer cette fausse conception de la liberté, de l’amour, de l’éducation et de la sexualité, qui ne prend pas en compte les droits à la dignité, à l’intégrité physique et psychique d’autrui, et qui se décline en « droit naturel » à posséder l’autre, à le consommer ou à l’instrumentaliser. Droit à posséder un enfant, un conjoint, un corps…

Sous le prétexte que des espaces comme la famille, le couple, l’amour, le sexe seraient des zones intouchables, hors normes, d’une autre essence, elles deviennent des zones de non-droit, des espaces totalitaires où des privilèges inouïs peuvent s’exercer en contradiction totale avec l’inaliénabilité de la personne humaine et ses droits fondamentaux. Pour paraphraser Orwell (« La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force »), nous pourrions écrire, conformément à la confusion de langue et à la vision totalitaire qui colonise la famille, le couple, l’amour et la sexualité : « L’amour c’est la haine, la liberté c’est l’esclavage, la douleur c’est le plaisir, la transgression c’est la loi, le crime c’est le bonheur ! »

Certaines personnes s’autoproclament comme étant au-dessus du commun des mortels du fait de leur pouvoir, de leur richesse, de leurs prétendues intelligence et valeur, parce que ce sont des artistes, des vedettes, des sportifs de haut niveau, des politiques, des guerriers : elles auraient alors accès à des privilèges et pourraient ne pas être soumises aux mêmes lois que tout un chacun. Des mondes hors-la-loi se créent ainsi où la violence devient l’outil nécessaire pour alimenter une mise en scène de toute-puissance, et où des personnes désignées comme inférieures sont choisies pour être enrôlées de force dans cette mascarade de pouvoir. Toute-puissance qui est une telle imposture, une telle baudruche, qu’elle doit sans cesse faire appel à des scénarios de plus en plus transgressifs, consommant un nombre toujours plus important de victimes, pour se perpétuer.

Égalité des droits et violences

La liberté ne s’épanouit que dans des espaces où les droits de tous sont garantis, et sont universels. Et ces droits universels, quand ils sont respectés, sont un rempart très efficace contre les violences. En l’absence de droits fondamentaux à la dignité et à l’intégrité, le consentement n’est pas un outil conceptuel suffisant pour définir s’il y a ou non violence. Le consentement d’une personne à renoncer à ses droits, à être tuée, blessée, séquestrée, torturée, humiliée, souillée, esclavagisée, ne saurait être valide. L’érotisation de la haine, de la domination, de la soumission, ne saurait être tolérée. Une société reconnaissant la déclaration universelle des Droits humains se doit de faire le choix politique de ne tolérer aucune violence et de porter secours et assistance à toutes les victimes, de les protéger, les soigner et de leur rendre justice.

Pour lutter contre les violences et leur reproduction de proche en proche et de génération en génération, il est temps de garantir l’égalité des droits de tous les citoyens, mais il est temps aussi que les « blessures psychiques » des victimes de violences et leur réalité neuro-biologique soient enfin reconnues, comprises, prises en charge et traitées. Il est temps de considérer enfin que ces « blessures psychiques » sont des conséquences logiques d’actes intentionnels malveillants perpétrés dans le but de générer le maximum de souffrance chez les victimes, et d’organiser délibérément chez elles un traumatisme qui sera utile à l’agresseur pour s’anesthésier et mettre en place sa domination. Il est temps que les victimes soient enfin réellement secourues, protégées et soutenues. Il est temps d’être solidaires des victimes, de s’indigner de ce qu’elles ont subi et de dénoncer les coupables. Il est temps de leur redonner la dignité et la valeur que leur a déniées l’agresseur. Il est temps de leur rendre justice et de les soigner.

Or c’est aujourd’hui possible, grâce aux progrès faits dans la reconnaissance des violences et la compréhension des mécanismes psychotraumatiques. J’espère vraiment pouvoir y contribuer avec mes recherches personnelles sur l’articulation entre la mémoire traumatique et tout un ensemble de conduites élaborées pour y échapper, comme les conduites de contrôle et d’évitement dont la plupart n’étaient pas identifiées par les soignants, et les conduites à risque qui jusque-là paraissaient paradoxales et que j’ai nommées conduites dissociantes. Ces conséquences psychotraumatiques, comme nous l’avons vu, deviennent compréhensibles et accessibles à un traitement spécifique et efficace, à la lumière de toute une suite logique d’effets psychologiques, neurobiologiques et de réponses auto-traitantes qui en découlent logiquement. Il est alors possible de libérer les victimes de la colonisation opérée par l’agresseur et par les violences commises, il est possible de leur permettre de reprendre leur chemin et de retrouver leur place, d’être à nouveau en sécurité et en harmonie chez elles, dans leur tête, dans leur corps et sur terre.

Et ces nouvelles connaissances peuvent être utilisées comme des outils majeurs de prévention primaire, secondaire et tertiaire, montrant à quel point lutter contre toutes les violences, ne plus tolérer aucune des violences les moins dénoncées, celles commises sous couvert d’amour, d’éducation et de sexualité, à quel point identifier, protéger et soigner toutes les victimes, particulièrement tous les enfants victimes ou témoins de violences sexuelles, a un impact considérable et permet d’éviter de nouvelles violences, tout en préservant l’état de santé de ces mêmes enfants à court, moyen et long terme. Il est donc essentiel de diffuser le plus possible ces connaissances auprès du grand public et de militer pour une formation de tous les professionnels qui sont susceptibles d’accompagner des victimes.

L’auteure

Muriel Salmona est psychiatre, spécialisée dans la clinique des psychotraumatismes. Chercheure et formatrice, elle est responsable de l’Institut de victimologie du 92. Elle a fondé l’association Mémoire traumatique et victimologie et son site d’information http://memoiretraumatique.org. Extrêmement active, elle mène un combat largement relayé par les médias. Elle anime plusieurs blogs dont Stop aux violences conjugales, familiales et sexuelles

Fiche technique du livre :

Le livre noir des violences sexuelles
Muriel Salmona
Collection : Hors collection, Dunod
2013 - 360 pages - 155x240
EAN13 : 9782100589203
Et le contact de presse pour Dunod :
Elisabeth Erhardy Attachée de presse, 01 40 46 35 12, presse@dunod.com

Avec son site (informations, articles, nombreux témoignages, ressources, bibliographie, vidéos .

Sommaire

  • Penser les violences sexuelles (un non sens traumatisant ; les mécanisme à l’origine des violences ; pourquoi les violences ne sont pas dénoncées ; le cycle infernal des violences).
  • Les pathologies liées aux violences sexuelles (la mémoire traumatique ; la dissociation et l’anesthésie émotionnelle ; l’hypervigilance ; les conduites de contrôle et les conduites d’évitement ; les conduites dissociantes ; les autres conséquences psychotraumatiques).
  • Survive à la violence (pourquoi est-on choisi comme victime ?
  • Pourquoi commet-on des violences ?
  • Comment gérer sa mémoire traumatique ?
  • Comment survivent les victimes ? Prise en charge et traitements.
  • Glossaire. Bibliographie.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 mai 2013

    Dre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie


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