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Exposition "Et voilà ! Le voile musulman dévoilé !"
Lettre au Musée des religions du monde de Nicolet

20 mai 2013

par Michel Lincourt, architecte et urbaniste à la retraite

Monsieur Jean-François Royal, directeur,
Musée des religions du monde,
Nicolet

Monsieur le directeur,

Il y a quelques jours, votre musée a inauguré une exposition sur le voile ‘musulman’. D’emblée, vous affirmez que votre exposition a un parti pris : celui de montrer ‘le côté positif du voile’.

Vous l’avouez vous-même : il s’agit là d’un sujet controversé. Je suis d’accord avec vous sur ce point. Déjà, le titre de l’exposition charrie son lot d’ambiguïté. Que signifie au juste : ‘Et voilà ! Le voile musulman dévoilé.’ Car, dans la vraie vie, ce qui pourrait éventuellement se dévoiler, ce n’est pas le carré de tissu mais la femme qui le porte. Mais ça, vous ne le suggérez pas. Au moins, si vous ‘dévoilez’ le phénomène du voile musulman, n’avez-vous pas l’obligation d’en montrer tous les dessous ?

Quel voile ?

De quel ‘voile’ s’agit-il au juste ? Le hijab, le tchador, le niqab, la burqa ? Ou toutes ces variantes à la fois ? Il importe, je pense, que votre exposition apporte les précisions nécessaires pour que l’on comprenne la différence entre ces formes de ‘vêtement’, de même que la charge culturelle, sociale, historique et idéologique que porte chacune d’elles. Nous présentez-vous la totalité du phénomène ?

Caractère religieux

Qualifiant ce voile de ‘musulman’, vous laissez entendre que ce vêtement possède un caractère religieux. Voilà une affirmation qui m’apparait un peu péremptoire. Il est à espérer que votre exposition nous en présentera les preuves. Si je me souviens bien, le Coran ne formule aucune prescription claire concernant le port d’un voile sur la tête, encore moins d’un voile qui couvre le visage. Deux passages abordent le sujet de la décence féminine (notons en passant que le Coran est plus discret en ce qui concerne la décence masculine). Il s’agit des sourates 24/31 et 33/53-59. Mais aucune ne parle explicitement de l’obligation de porter un voile sur la tête ou de se masquer.

La première sourate dit uniquement que les bonnes musulmanes doivent recouvrir leur poitrine devant des étrangers.

La seconde s’adresse aux épouses du Prophète et leur ordonne, lorsqu’elles sortent, « de ramener sur elles leur grand voile : elles en seront plus vite reconnues ». Donc, encore ici, il n’y aucune prescription précise touchant le port du hijab ou du niqab. Même plus, il m’apparaît abusif d’étendre à toutes les femmes cette obligation qui fut explicitement faite aux épouses de Mahomet et dont le but premier était, pour elles, de se faire reconnaître et respecter. Ce que le Coran demande à ces femmes, c’est de s’enrober le corps d’un grand châle ou d’une mante. Elles pourraient choisir de relever le châle sur leur tête mais ce n’est pas une obligation, même pas un conseil. Et elles ne devaient pas se couvrir le visage car, alors, elles n’auraient pas pu se faire reconnaître.

Oui, je sais, il y a de multiples versions ou traductions du Coran, chacune apportant ses propres interprétations. Et il y a aussi les hadiths et la charia. Mais quelle est l’autorité théologique légitime qui fonde tous ces écrits, qui valide tous ces auteurs ? Doit-on conclure que parce que certains imams décrètent qu’une musulmane doit impérativement porter le hijab qu’ils ont automatiquement raison ?

Il y a aussi l’usage. Le port du voile est fort répandu dans le monde musulman. Alors admettons que cette coiffe féminine est un symbole musulman, c’est-à-dire religieux.

Autres charges symboliques

Mais est-il uniquement ça ? N’est-il pas aussi une mode culturelle qui remonte à la nuit des temps, notamment en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et dans certains pays d’Asie. La burqa est un vêtement afghan ; le tchador se porte surtout en Iran ; le niqab se voit surtout dans les pays du Golfe. Quant au hijab, de plus en plus populaire depuis vingt ans, il se porte un peu partout. Mais on est en droit de s’interroger : en quoi, ces diverses modes sont-elles pertinentes en Occident ? Au Canada ? Au Québec ? Au XXIème siècle ?

Le voile musulman transporte d’autres charges symboliques.

Nul ne pourra nier qu’il est aussi un instrument de propagande du fondamentalisme islamiste. Vous n’aurez pas à chercher longtemps pour vous en convaincre. Sur Internet, vous trouverez de multiples sites de propagande islamiste dont certains offrent des vidéos s’adressant aux enfants. Et savez-vous quoi ? Dans ces dessins animés, les femmes et les fillettes portent le hijab.

Nul ne pourra nier non plus que le voile musulman est aussi un instrument d’aliénation des femmes. Pourquoi les femmes doivent-elle porter le voile ? À cette question, les imams répondent que c’est parce qu’elles doivent protéger leur chasteté, leur modestie, réserver leurs charmes à leur mari. Car, bien sûr, la vue d’une chevelure féminine constituera une irrésistible tentation pour les hommes. Il faut protéger ceux-ci de leur lubricité. Mais pourquoi s’en prendre aux femmes parce que les hommes seraient des obsédés sexuels ?

Vous n’avez pas à observer le monde bien longtemps pour vous convaincre que le voile musulman est un instrument d’aliénation des femmes. Tout de suite, vous découvrirez une effrayante constante : la prévalence du port du voile est inversement proportionnelle à l’émancipation des femmes. En d’autres termes, plus les femmes sont voilées, moins elles ont des droits.

Une autre façon de dire la même chose est celle-ci : le voile est l’instrument inventé par les hommes pour rabaisser les femmes, pour les enfermer dans leur rôle de servante, d’épouse soumise et d’objet sexuel. Il s’agit d’une obligation vestimentaire qui ne s’adresse qu’aux femmes. Pas aux hommes. Il serait intéressant que votre exposition nous explique le bien-fondé de ce traitement sexiste. Vous n’ignorez pas que toutes les religions dites du Livre proclament la supériorité de l’homme sur la femme. Vous savez aussi que nos Chartes des droits stipulent le contraire, à savoir l’égalité des femmes et des hommes. Que dit votre exposition ? Qu’il est bien de faire fi de nos lois, de mettre de côté nos valeurs, et de nous plier aux préceptes religieux ?

Deux anecdotes personnelles pour illustrer mon argument

Il y a quelques années, mon épouse et moi prenions nos vacances à Parlee Beach, au Nouveau-Brunswick. C’est un endroit superbe où l’eau y est étonnamment bonne. Ce jour-là, il faisait très chaud. Nous étions sur la plage quand nous vîmes arriver une famille de musulmans qui s’installa près de nous, au moins une quinzaine de personnes, des hommes, des gamins, des femmes et des fillettes. Les hommes se mirent en maillot et se baignèrent. Portant le hijab et une espèce de pyjama ajusté au cou et qui leur couvrait les bras et les jambes, les femmes et les fillettes restèrent sur le sable. Personne ne me fera croire que, dans cette famille, les femmes et les petites filles se voilaient par choix, et avaient choisi de bon cœur de crever sous le soleil sans pouvoir se baigner.

Autre petite histoire. Celle-ci se passait à Essaouira, au Maroc, il y a cinq ans. Nous y avions passé quelques jours, mon épouse et moi, avec des amis. Essaouira est un port fortifié sur l’Atlantique, un remarquable site protégé par l’UNESCO. Là aussi, il y a une magnifique plage. Pour quelques dirhams, on y fait une promenade à dos de dromadaire. Comme nous étions vendredi, le jour férié, les Essaouiriens avaient envahi la plage. Plusieurs milliers, ils étaient, à se prélasser sur le sable, à discuter, à rire, à jouer au foot ou au volley-ball. Mais à notre grande surprise, nous n’y vîmes que des hommes et des gamins. Pas une femme, pas une gamine en vue. Ou plutôt si. Deux fillettes de douze ou treize ans, portant le hijab, se tenaient sur la promenade surplombant la plage et observaient ceux qui s’amusaient. Par choix, sans doute.

Libre choix

Vous affirmez haut et fort que les femmes qui portent le voile le font librement. À mon sens, c’est là une affirmation qui ne résiste à aucune analyse sérieuse. En fait, c’est le contraire qui est vrai : dans le monde, l’immense majorité des femmes qui portent le voile le font parce qu’elles sont contraintes de le faire. Cette obligation prend de multiples formes : diktats des maris, prêches des imams, pressions sociales, traditions séculaires, menaces diverses, harcèlement, violences, attaques au vitriol, viol, meurtre d’honneur, etc.

Dans le monde, on dénombre quelque 750 millions de musulmanes. On estime qu’entre la moitié et les trois-quarts d’entre elles portent le voile. Ça fait entre 375 et 562 millions de femmes voilées. De ce nombre, combien sont vraiment libres de le faire ? Je dirais très peu. Peut-être 1%. Peut-être 5%. Mais guère plus. Et la plupart de celles qui ont le choix résident dans les pays démocratiques d’Europe et d’Amérique, et dans certains pays d’Asie du Sud-Est comme l’Australie et Nouvelle-Zélande. Ensemble, ces pays ne comptent que 5% de la population musulmane.

Bien sûr, dans nos pays démocratiques, on trouvera toujours quelques femmes qui affirmeront qu’elles portent le voile en toute liberté. Mais celles-ci sont très peu nombreuses. Au Québec, par exemple, pour une musulmane voilée par choix, vous en trouverez dix non voilées qui vous raconteront des histoires d’horreur à propos de femmes violentées pour avoir refusé de porter le voile. Et vous pouvez être sûr que les femmes voilées par soumission ne viendront pas témoigner.

Si vous creusez un peu le témoignage des femmes qui affirment porter le voile en toute liberté, vous trouverez souvent dans leur entourage des hommes qui les influencent. Et eux aussi jureront que leur femme porte le voile par choix. Mais rares seront les femmes qui témoigneront avoir enlevé leur voile sur le conseil de leur mari.

Récemment, une journaliste indienne a interviewé des jeunes Indonésiennes et Malaisiennes. Pourquoi portez-vous le hijab ? La réponse était la suivante : « Je porte le voile pour qu’on me fiche la paix. Avant, quand je sortais sans le voile, je me fais harceler, partout, sur la rue, dans l’autobus, au marché, dans les boutiques. Sans arrêts, des hommes m’interpelaient, m’insultaient, me traitaient de putain, s’autorisaient de me toucher... Alors, pour qu’on me fiche la paix, je mets le voile. »

Relative liberté

De toute évidence, la liberté de ces femmes de porter ou de ne pas porter le voile est fort relative.

En voulez-vous des exemples ?

Depuis septembre 2004, à Padang, Indonésie, toutes les écolières, peu importe leur religion, ont l’obligation de porter le hijab dans les écoles publiques.

Le 12 décembre 2007, les médias de Toronto rapportaient qu’un homme musulman, Muhammad Parvez, avait été arrêté à sa résidence de Mississauga pour avoir tué sa fille qui refusait de porter le hijab.

En octobre 2009, le site www.violenceisnotourculture.orgrapportaient qu’une Somalienne chrétienne a été assassinée pour avoir refusé de porter le voile.

En avril 2011, le Daily Mail de Londres, en Grande-Bretagne, titrait ceci :
« Wear the headscarf or we will kill you. » Extrait de l’article : “An Asian woman who works in a pharmacy in East London was told to dress more modestly and wear a veil, or the shop would be boycotted. When she went to the media to talk about the abuse she suffered, a man later entered the pharmacy and told her : ’If you keep doing these things, we are going to kill you’ ... »*

Le 29 janvier 2012, à Kingston, Ontario, Muhamed Shafia (de même que son fils et sa seconde épouse) était condamné pour le meurtre de trois de ses filles et de sa première épouse. Quatre musulmanes assassinées de sang-froid. Le refus par les adolescentes de porter le voile était l’un des enjeux.

Relisez l’article d’Agnès Gruda, dans La Presse du 6 mai dernier. Rentrant de Tunisie, la journaliste nous fait le récit de bandes de salafistes, ces fous de Dieu, qui prennent d’assaut des lycées, y sèment la terreur et y forcent la charia. Et quel est leur premier diktat ? Le port obligatoire du voile. Le voile comme symbole d’oppression.

Épanouissement des Québécoises

Dites-moi : aujourd’hui, au Québec, en quoi le port du voile contribue-t-il à l’épanouissement des Québécoises ?

Il n’y a pas si longtemps, les Québécoises n’étaient pas des citoyennes à part entière. Elles vivaient sous l’autorité du mari. Elles ne pouvaient pas contracter un prêt à la banque sans la signature de leur tuteur. Leur vie intime était contrôlée par le curé. Elles devaient absolument enfanter, même au péril de leur vie. Elles n’avaient pas le droit de vote. Et si je me souviens bien, le Cardinal Villeneuve s’était farouchement opposé à ce qu’elles l’obtiennent. Longtemps, les filles-mères étaient ostracisées. Puis vint la Révolution tranquille et, de peine et de misère, les Québécoises se sont émancipées. Aujourd’hui, on peut dire qu’elles sont l’égale des hommes. Mais cette égalité est encore fragile. Par exemple, les religions ne cessent de remettre en question le droit à l’avortement.

Alors, quel est le but de votre exposition qui ne montrera que ‘le côté positif du voile musulman’ ? Est-ce de ramener les Québécoises en arrière ? Est-ce de leur faire accepter ce symbole d’aliénation en le banalisant ? Est-ce de les culpabiliser ? Est-ce de leur faire admette l’inadmissible, à savoir que ce seraient elles, par leur supposée immodestie, en exhibant leur chevelure, qui seraient responsables de la lubricité des hommes ? De leur faire comprendre qu’elles doivent accepter des contraintes vestimentaires qui ne s’appliquent qu’à elles ? Parce que ce serait la volonté de Dieu.

Conclusion

Aujourd’hui, le 18 mai 2013, l’actualité nous parle encore du voile musulman. L’histoire se passe en Afghanistan. Vous voyez l’Afghanistan ? Ce joyeux pays qui fait le bonheur des femmes en les recouvrant de la burqa. Eh bien, le Parlement afghan vient de rejeter une loi sur les droits des femmes. Expliquant le rejet, les Parlementaires de la majorité ont dit qu’ils le firent au nom de l’islam. Pensez donc, une telle loi ne devait absolument pas être adoptée parce qu’elle empêchait de traîner en justice une femme violée. Et ça, Allah ne le souhaite pas. Là-bas, on viole les femmes, puis on les condamne parce qu’elles ont entaché l’honneur de la famille, puis on les lapide. Ou bien, on les force à épouser leur violeur. Et, bien sûr, ces femmes violentées, comme toutes les femmes d’Afghanistan, on les ensevelit sous la burqa.

À vrai dire, monsieur le directeur, j’ai beaucoup de difficulté à trouver « le côté positif du voile musulman ».

Cordialement vôtre,
Michel Lincourt PhD

PS. Cette lettre a été affichée aussi sur le site de l’auteur.

Note

* « Porte le voile ou on te tuera. » Extrait de l’article : « Une femme asiatique travaillant dans une pharmacie du « East London » fut intimée de s’habiller plus modestement et de porter le voile sous peine que le magasin soit boycotté. » « Après qu’elle se soit plainte aux médias de ce comportement abusif, un homme entra dans la pharmacie et lui dit : ‘Si tu continues comme ça, on va te tuer. »

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mai 2013

Michel Lincourt, architecte et urbaniste à la retraite


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