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Insupportables enfermements identitaires
Une intégration réussie, c’est l’adhésion à un socle commun enrichi de diversités culturelles

28 août 2013

par Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe

    "La crainte d’offenser les musulmans et le monde islamique a maintenu l’islam à l’écart de l’examen critique auquel d’autres religions sont soumises. Or, aucun pays ne peut devenir civilisé sans critiques des pratiques dogmatiques de ses religions." Taslima Nasreen

Une intégration réussie, c’est l’adhésion à un socle commun, enrichi de diversités culturelles.

En France vivent des gens qui croient. Ils croient en une force supérieure qui nous aurait fabriqué ce monde, nous y ferait naître et mourir, dans un dessin déterminé.

Ceux qui croient en cette force l’appellent Dieu.

Pourquoi pas, chacun peut bien croire en ce qu’il veut, Dieu, le soleil, les elfes, la matière ou l’Humain, surtout si ça l’aide à accepter la condition humaine, une inévitable solitude intérieure, son insignifiance face à l’immensité de l’univers, la conscience d’une mort inéluctable.

Seulement voilà, rien n’a jamais été avéré, toute croyance relève de l’imaginaire, bref, il ne s’agit en rien de révélations, mais bien d’hypothèses.

Vous en conviendrez, il serait irrationnel d’accorder à de simples hypothèses, une autre place que celle de vivre dans l’esprit et la conscience de celles et ceux qui font le choix de croire.

Pourtant, depuis des millénaires, les religions ont mené le monde ; chacune portée par des hommes convaincus que Dieu, c’est le leur et pas celui du voisin ; toutes liées par d’immenses massacres, toutes en grande partie responsables de l’oppression des femmes, des personnes homosexuelles et autres minorités.

En France, nous avons fini par adopter des règles politiques pour nous permettre de vivre ensemble, athées et croyant-es de toutes confessions confondues.

La religion à l’âme et dans la vie civile, citoyenne et politique, une relative neutralité et la promotion de valeurs républicaines d’égalité, de liberté et de fraternité (au moins en droit, parce que dans les faits, c’est évidemment assez loin du compte).

Depuis 1905, la loi consacre la séparation des Églises et de l’État, et nous vivons dans un État laïc.

La laïcité bien pensée ne veut pas dire que les religions n’ont pas voix au chapitre, mais qu’elles ne doivent pas influencer la vie civile et doivent rester dans la sphère privée.

À l’évidence, des interférences sont inévitables, par exemple, l’État finance une partie des écoles privées religieuses (même si on comprend bien l’intérêt de maîtriser certains cursus et programmes).

Pendant des décennies, tout a semblé s’articuler ainsi, l’État d’un côté, l’Église de l’autre, non sans quelques heurts, mais dans une relative harmonie.

Mais ces dix dernières années, tout va de travers et c’est de pire en pire.
Les enfermements identitaires sont comme d’immenses murailles, de plus en plus infranchissables.

Chacune des trois religions monothéistes, à des degrés différents certes, se radicalise ; la séparation des pouvoirs est de moins en moins une réalité, l’influence des religions dans la vie civile est de plus en plus inquiétante.

Les modéré-es sont en retrait et laissent de plus en plus souvent les intégristes occuper le devant de la scène.

Chaque obédience a son credo, ses obsessions et ses méthodes.

Les uns ne veulent pas de mixité dans les piscines, agressent les médecins masculins qui examinent leurs femmes, marient leurs filles de force ; d’autres débranchent les interphones des immeubles le vendredi soir ; d’autres encore assassinent de jeunes libertaires ; etc.

Indéniablement, les intégristes de tous bords s’accordent pour restreindre les droits et libertés des femmes, qu’il s’agisse de contraception ou avortement, de tenue vestimentaire, de sexualité, etc. Tous et toutes s’entendent aussi, de façon plus ou moins virulente, pour refuser l’égalité des droits aux couples de même sexe.

Des quartiers, des rues ou parties de rues, autour d’une église, d’une mosquée ou d’une synagogue ; des immeubles entiers se transforment en ghettos quasi intégristes de l’une ou l’autre religion. Chacune dans son style, la tenue de sortie de messe est tout aussi stéréotypée à St-Nicolas du Chardonnay qu’à la Synagogue de la rue des Tournelles ou autour d’une mosquée de la Goutte d’or.

Il est désormais impossible de se promener dans un des bois de la capitale le dimanche en été, sans tomber sur des pique-niques familiaux regroupant sur des emplacements bien délimités des femmes et des hommes qui semblent sortis d’un autre siècle.

Les hommes s’en sortent un peu mieux, mais les femmes sont couvertes de la tête aux pieds, arabes, comme juives, l’idée étant de les protéger des regards masculins concupiscents, un peu comme on leur attacherait autour du cou un écriteau « propriété privée, ne pas regarder » !

Et d’une année sur l’autre, c’est de plus en plus imposant et pesant.

L’Église catholique a perdu de sa superbe en France, après les années 70, ses groupes intégristes n’ont pour autant jamais disparu. Ils se fondaient dans la population des beaux quartiers et rendaient de temps à autres de menus services, à l’extrême droite notamment, agressant de temps à autres, tantôt des étudiants, tantôt des minorités. Ils ont démontré leur capacité à se mobiliser à l’occasion des débats sur le mariage pour tous, où ils se sont illustrés par une violence misogyne et homophobe, mais jusqu’alors, leurs interventions étaient plutôt marginales.

Bien entendu, la religion catholique est instrumentalisée politiquement, notamment par une partie de la droite, et par l’extrême droite, nous l’avons bien vu lors des évènements déplorables du mariage pour tous, mais une grande majorité des catholiques modérés s’était jusqu’alors clairement démarquée des agissements violents des intégristes.

Dans tous les cas, la critique de l’Église catholique et de ses prises de position a toujours été libre et vivace en France. Un certain anticléricalisme ayant même plutôt bonne presse.

Le mot « catholicophobie » n’existe pas.

Le judaïsme en France m’avait toujours semblé être plutôt discret, tolérant et bien intégré à la société française. En outre, cette religion concerne un peu plus d’un pour cent (1%) de la population française, elle est donc très minoritaire. Les rares fois où elle fait parler d’elle, c’est lorsque l’un-e de ses membres est agressé-e.

Je me souviens avoir croisé pour la première fois des femmes habillées comme des paysannes, avec des bas, longue jupe et tête couverte, et des hommes en costume traditionnel, c’était en 2006 lors d’un voyage en Israël, à Mea Sharim, dans le quartier intégriste de Jérusalem. Aujourd’hui, à Paris, j’en croise chaque jour.

Dans certaines rues de Paris, il n’y a plus d’autres commerces, écoles, crèches, cantines, que kasher et/ou israélites.

Comme en écho au radicalisme musulman, un radicalisme judaïque se développe.

L’antisémitisme est toujours bien prégnant en France, il doit être combattu sans relâche.

Les critiques émises contre le judaïsme, ses dignitaires et ses pratiques ne soulèvent pas l’indignation ni des communautés juives, ni des intellectuels ou des politiques français ni étrangers.

Le mot « judaïsmophobie » n’existe pas.

Depuis que je suis arrivée à Paris, à l’âge de 24 ans, j’ai des ami-e-s maghrébin-e-s, j’ai partagé 5 ans l’intimité d’une algéroise dont je connaissais la famille, à Paris et en Algérie, et j’ai toujours habité dans l’est parisien où les immigré-es sont en grand nombre.

Il y a 20 ans, beaucoup d’entre eux étaient athées, certain-e-s musulman-e-s, mais très peu pratiquaient le ramadan, et aucune femme n’était voilée. Cette religion concerne un peu plus de 6% de la population française, c’est la deuxième grande religion du pays.

Aujourd’hui, le ramadan est quasiment obligatoire, dans beaucoup de cantines on mange hallal, dans beaucoup de piscines il y a des créneaux mixtes et non mixtes, etc.

Dans certaines rues de Paris, il n’y a plus d’autres commerces, écoles, crèches, cantines, que hallal et/ou coraniques ; une femme sur deux est voilée.

Bien sûr, le racisme est bien vivant en France, à l’encontre des populations d’origine arabe notamment ; il doit être combattu sans relâche.

À l’inverse des deux autres religions, toute critique, même modérée de l’islam radical, de la charia, des mollahs, de dérives, suscite de fortes réactions et même la réprobation d’une partie des intellectuel-les et politiques, en particulier Verts et de l’ultragauche (« islamo gauchistes » comme les Indigènes de la République…).

Par exemple, la responsable de Luttes Ouvrières considère que Gaza est « un camp de concentration ».

En réalité, Gaza est une prison, il est temps de trouver des solutions équitables et pérennes pour régler la situation dans cette partie de la planète, mais Gaza n’est sûrement pas un camp de concentration, la nuance n’est pas un « détail de l’histoire ».

Il semble interdit de critiquer l’islam, le mot d’islamophobie a même été inventé à cet effet. Ce concept d’ « islamophobie » interdit toute critique de l’islam radical ailleurs comme chez nous.

Pourtant, dans une république laïque, une religion qui n’est après tout qu’un ensemble d’opinions et de pratiques doit s’attendre à être observée de près, c’est même au degré de liberté de critique que l’on reconnait une démocratie.

Pourtant, des trois religions, c’est celle qui, de nos jours, dans sa version radicale (la charia), condamne à mort les personnes homosexuelles, excise les femmes, les lapide au prétexte qu’elles sont soupçonnées d’être infidèles ou pire encore parce qu’elles ont été violées et déshonorent leur communauté, et au quotidien, les emmure vivantes dans des tenues pour les soustraire au regard des hommes, qui seuls ont le droit de vivre au grand jour.

Alors, bien sûr, nous n’en sommes pas là en France. Toutefois, par bien des égards, la situation des femmes, entre mariages forcés et port de la burqa dont on ne sait jamais s’il est contraint ou non, est très préoccupante.

N’oublions pas que les femmes arabes se sont jadis libérées, aussi dignes, indépendantes et libres que les femmes occidentales, elles avaient repris leur destin en mains, mais le poids des conservatismes religieux les a rattrapées et de nouveau enfermées.

Les Occidentales fraîchement converties, originaires de Bretagne ou de la Creuse, feraient bien de s’en souvenir. Les chantres de la démagogie feraient bien de remiser leur relativisme culturel au vestiaire de l’histoire.

Finalement, je suis persuadée que ce concept d’ « islamophobie » fait plus de dégâts qu’il n’aide à régler les problèmes. Il engendre encore plus de racisme et de rejet.

Non seulement, les Français-es n’osent pas, extrémistes mis-es à part, critiquer les entorses à la laïcité, mais les musulman-es modéré-es, paisibles et respectueux/euses des valeurs républicaines, n’osent plus, sous peine d’être montré-es du doigt par les plus radicaux d’entre eux, se démarquer d’actes, comportements intégristes et violents.

En réalité et de différentes manières, les islamistes se servent des musulman-es, ils se moquent bien de savoir ce qu’ils ou elles vont subir de leur fait, ils instrumentalisent la religion à des fins politiques. C’est le pouvoir et seulement le pouvoir qui les motive.

À l’évidence, il va nous falloir comprendre très vite pourquoi, quels que soient le pays d’origine et la religion, l’intégration républicaine ne fonctionne plus, et y remédier.

Personne ne l’ignore, les conditions de vie économiques et sociales de familles issues de l’immigration, une certaine faillite de l’éducation nationale et des politiques de la ville et des banlieues, sont à juste titre pointées du doigt.

Mais le sens des réalités nous contraint aussi à relever que le volume des aides sociales et publiques consacrées à aider ces familles est aussi infiniment plus élevé que dans nombre de pays européens et, surtout, que trop de parents, toutes confessions confondues d’ailleurs, ne prennent plus vraiment la peine d’élever leurs enfants et encore moins de leur transmettre des valeurs, ne serait-ce que le respect de l’autre et de sa culture, surtout, le respect du socle commun de valeurs du pays dans lequel ils vivent et se sont parfois réfugiés.

Dans tous les cas, je ne pense pas que respecter le socle commun des valeurs républicaines et de la laïcité soit contraire à l’intérêt des populations, en particulier des femmes ; bien au contraire, c’est même la seule garantie d’évolution favorable pour elles.

L’évolution vers toujours plus de religieux, toujours plus d’affichage des symboles d’appartenance religieux, quels qu’ils soient, et qui se répondent les uns aux autres jusqu’à plus soif, dans notre espace public, est proprement accablante.

Pour que le pacte républicain fonctionne, il faut certes que l’État fasse son autocritique, mais il faut aussi que toutes les minorités qui veulent vivre dans un pays d’accueil respectent les valeurs de la société qui les héberge.

L’intégration bien pensée consiste à sortir des enfermements identitaires, qui n’ont souvent pour fonction que d’isoler les femmes ; à partager des valeurs communes, et enrichir ce socle des différences culturelles ; ainsi, nous pourrons vivre ensemble, en bonne intelligence.

La république, la laïcité ne se négocient pas ; aucune entorse ne doit être permise dans l’espace, l’administration, les services, les équipements publics.

Tout le reste n’est que démission et démagogie d’une logique individualiste, toujours préjudiciable aux femmes, et à la société tout entière.

Créer des droits différents est un piège grossier.

Je ne veux pas vivre dans cette société-là.

Source : blog Irréductiblement féministe

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 août 2013

Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe


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