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Le Conseil du statut de la femme doit pouvoir jouer son rôle dans le débat sur la laïcité

24 septembre 2013

par Catherine des Rivières-Pigeon, professeure de sociologie à l’UQAM et membre du Conseil du statut de la femme

La sortie médiatique de la présidente du Conseil du statut de la femme (CSF) a secoué le Québec. La présidente, et c’était une première, a accusé la ministre Agnès Maltais d’ingérence et s’est offusquée du caractère partisan de la nomination de quatre nouvelles membres ayant affiché des positions en faveur de la laïcité et de l’interdiction de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique.

Les propos qui ont été rapportés dans les médias laissaient croire que le Conseil était divisé sur la question de la Charte des valeurs québécoises, et que le Conseil envisageait de faire une étude sur l’impact de l’interdiction des signes religieux dans la fonction publique. La question de la possible ingérence politique a été largement commentée, mais la question de la division du Conseil avant les nouvelles nominations et des études qu’il souhaitait mener ne l’a pas été. En tant que membre du CSF, je souhaite m’exprimer au sujet de ces derniers éléments car les propos qui ont été tenus dans les médias me semblent donner aux Québécoises et aux Québécois une image tronquée de la façon dont se prennent les décisions au sein de cet organisme.

Le Conseil est-il divisé ?

Le Conseil a débattu de la laïcité en 2011 (j’étais déjà membre à cette époque) et est arrivé avec un avis sur la question à la suite de ces débats et, surtout, à la suite de la recherche qui a été effectuée pour constituer cet avis. Depuis, il n’y a eu aucune assemblée des membres portant sur cette question. Les membres du Conseil n’ont donc eu aucune nouvelle occasion formelle de se prononcer sur les questions relatives à la laïcité ou à la Charte des valeurs québécoises. Il est donc prématuré de dire que le Conseil est divisé sur cette question, car le Conseil n’a pas eu l’occasion de se prononcer.

Effectivement, il y a bien eu quelques échanges informels de courriels, avant la sortie du projet de Charte, où des membres ont fait part de questionnements et dit souhaiter savoir combien de femmes seront touchées, et quel serait l’effet d’une telle politique sur les femmes visées. Mais de tels échanges ne permettent de présumer ni de la nature des discussions qui auraient eu lieu en assemblée ni des résultats d’un éventuel vote sur cette question. Après ces controverses affichées sur la place publique, je crains que le Conseil n’ait plus la crédibilité requise pour s’exprimer.

Quelle aurait été la position du Conseil à la suite d’une assemblée des membres abordant cette question avant les nouvelles nominations ? Aurait-il été divisé ? Nul ne peut le savoir. Mon impression - parce que je connais ses membres - est qu’il aurait bien pu arriver à un consensus, car ce qui semble diviser touche surtout au port des signes religieux ostentatoires par l’ensemble de la fonction publique, et qu’il s’agit d’une seule des multiples recommandations formulées dans l’avis de 2011.

L’avis portait sur la laïcité, pas sur les « valeurs québécoises », et il affirmait que la laïcité est un outil pour l’égalité. Donc, peut-être aurions-nous pu arriver à un consensus, car nous ne faisons pas ce débat à des fins partisanes. Les membres du Conseil ont un seul objectif, et il s’agit d’un objectif commun : l’égalité entre les femmes et les hommes. Et nous basons nos avis sur des études sérieuses, comme celles qui ont mené à l’avis de 2011. C’est la raison pour laquelle le Conseil est un « phare », pour reprendre les propos de Mme Maltais.

Les membres parlent en leur nom

Une des particularités du Conseil est que, même si les membres représentent un milieu particulier (le milieu universitaire, dans mon cas), elles parlent en leur nom propre. Et non pas en celui de leur employeur ou de leur institution. Lorsque je siège au Conseil, je ne parle pas au nom de l’UQAM, et le recteur de mon université, ou qui que ce soit d’autre, ne pourrait pas dicter mes prises de position. D’ailleurs, celles-ci ne représentent pas forcément celles de la majorité de mes collègues de l’UQAM. Il en est de même pour l’ensemble des membres.

La représentante du milieu syndical qui a récemment été remplacée, Véronique de Sève, ne parlait pas au nom de la CSN, comme semblaient l’indiquer les médias cette semaine. Elle parlait en son nom et, en ce sens, ses prises de position auraient très bien pu ne pas concorder parfaitement avec celles de son organisation. C’est pour cette raison que les assemblées de membres peuvent mener à des avis solides, souvent appuyés à l’unanimité. Parce que les assemblées sont composées d’un ensemble de membres venant de milieux variés qui sont en mesure de discuter et d’échanger librement, et surtout de réfléchir sur la base d’études effectuées selon les règles de la recherche scientifique.

Cette réflexion commune n’est possible que si les membres parlent en leurs noms propres. Si chacune doit défendre les positions de son institution, il devient difficile de faire évoluer les positions des unes et des autres à la suite des résultats des recherches. Il est donc essentiel, pour le Conseil, qu’il en soit ainsi.

De nouvelles études ?

Les médias ont rapporté cette semaine que « le Conseil était sur le point de mettre en place une étude analysant l’impact, sur les femmes, de l’interdiction du port de signes religieux ». À mon avis, cette information doit être nuancée. Les décisions concernant les études à effectuer sont prises lors de l’assemblée des membres et cette assemblée n’avait pas eu lieu lorsque la présidente s’est exprimée. Peut-être la présidente souhaitait-elle faire cette proposition ; et peut-être que certaines membres lui ont fait part, individuellement, de leur intention de l’appuyer. Il est toutefois important de prendre conscience que la forme d’une telle étude, ainsi que la question sur laquelle elle porterait, devra faire l’objet de discussions.

Je suis certaine que les membres seront favorables à la tenue d’études, le rôle du Conseil étant justement d’en mener. Il faudra toutefois bien cerner l’objectif de celles-ci et réfléchir aux choix offerts. Faut-il regarder les effets individuels d’une politique de laïcité sur les femmes qui sont fonctionnaires et qui portent, aujourd’hui, des signes religieux ? Ou faut-il plutôt analyser les effets collectifs, sur l’ensemble des femmes du Québec, portant ou non des signes religieux, d’une telle politique de laïcité ? La question est ouverte : elle sera complexe et demandera du temps.

Pour que le Conseil puisse jouer son rôle dans le débat sur la laïcité

Je ne sais pas si le Conseil pourra à nouveau s’exprimer sur la question de la laïcité sans qu’il ne soit perçu comme étant instrumentalisé.

Je crois toutefois qu’il est essentiel que cet organisme puisse poursuivre sa réflexion, sur la base d’études sérieuses, comme il l’a fait en 2011 et comme il le fait habituellement.

Donnons la chance au Conseil et à l’assemblée des membres de faire son travail. Nous verrons ensuite s’il est divisé. Donnons-lui la chance de réfléchir au type d’étude qu’il est pertinent d’entreprendre. Le Conseil et l’assemblée des membres qui le compose, doivent pouvoir jouer leur rôle dans ce débat.

Publié dans Le Devoir, le 24 septembre 2013, sauf la dernière partie.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 septembre 2013

Catherine des Rivières-Pigeon, professeure de sociologie à l’UQAM et membre du Conseil du statut de la femme


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