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La démocratie en Irak sera l’œuvre des Irakiens ou ne sera pas
Réponse à une jeune Irakienne heureuse de l’invasion de l’Irak19 avril 2003
par
Miloud Chennoufi répond à la lettre de Rania Kashi, une jeune Irakienne, publiée dans le journal Voir. Dans sa lettre adressée aux mouvemements pour la paix, Rania Kashi s’est réjouie que l’agression des États-Unis en Irak mette fin au régime de Saddam Hussein et a dit espérer que le peuple irakien sera enfin libre. La jeune femme reproche aux pacifistes de ne pas avoir réagi vigoureusement lorsque Saddam Hussein a massacré plus d’un million de personnes, principalement des Kurdes, et de s’opposer maintenant à l’invasion américaine en Irak par ressentiment à l’égard des États-Unis. Lire la lettre de Rania Kashi ici.
Dans sa réponse, Miloud Chennoufi estime que Rania Kashi entretient des illusions à l’égard de la volonté des États-Unis d’instaurer un régime démocratique, libre et stable en Irak. Ce n’est pas dans l’intérêt des États-Unis, écrit-il, de favoriser l’éclosion de régimes arabes démocrates, libres et forts. Miloud Chennoufi explique longuement ses propos en mentionnant entre autres que des hommes non élus, et tous proches du Likoud (parti actuellement au pouvoir en Israël), orientent la politique américaine au Proche-Orient. Les États-Unis n’ont pas davantage l’intention de libérer l’Irak que de rendre justice aux Palestiniens, conclut-il. Ce texte fait partie d’un document plus volumineux intitulé « Lettre à Richard Martineau sur l’Irak » et qu’on peut lire sur le site du
Centre des médias alternatifs du Québec.Chère amie,
C’est avec la plus grande attention que j’ai lu ton texte. Je souhaiterais donc t’assurer de ma plus profonde sympathie. Ta douleur est la mienne. Ton rêve d’un Irak libre est le mien. Permets-moi, cependant, de ne pas partager ton point de vue sur les moyens que tu crois à tort les plus adéquats, ou même adéquats tout court, pour soulager ton peuple (qui est aussi le mien au même titre qu’il est celui de tout être humain libre et épris de liberté) et réaliser ton rêve, notre rêve. Je t’invite à méditer trois points sans te cacher ma honte de savoir que toi et moi, vivant sous un ciel que ne violent pas les B52, les B2 et les missiles de croisière, pouvons nous payer le luxe de méditer alors que ceux envers qui ton empathie et la mienne, tes espérances et les miennes s’adressent, eux, n’ont pas le moindre répit depuis une dizaine de jours de bombardements qui font suite à une décennie d’embargo cruel, après deux guerres dévastatrices (celle contre l’Iran puis celle de 1991), le tout sous une dictature exécrable :
Les "libérateurs" sont d’anciens complices de Saddam
1. L’opposition ferme à la guerre ne signifie en rien un déni de liberté aux Irakiens, encore moins un soutien de quelque nature que ce soit à Saddam Hussein, car contrairement aux partisans de la guerre qui ont installé Saddam Hussein au pouvoir, qui l’ont armé, financé et protégé des années durant - ne l’oublions pas -, l’écrasante majorité des anti-guerre n’a jamais manqué de s’élever contre Saddam Hussein, notamment lorsqu’il a gazé les Kurdes et l’armée iranienne (à noter que ce ne fut pas la première fois que les Kurdes étaient victimes d’armes chimiques. Les Anglais en avaient utilisé contre eux au début du XXe siècle).
Comme tu dois certainement le savoir, la seconde visite officielle de Donald Rumsfield (actuellement ministre américain de la défense et l’un des principaux instigateurs de la guerre) à Baghdad en sa qualité d’envoyé spécial de Ronald Reagan auprès de Saddam Hussein (c’était au milieu des années 80) a coïncidé avec la divulgation dans la presse mondiale d’informations vérifiées selon lesquelles l’armée irakienne avait utilisé du gaz moutarde contre les troupes iraniennes. Qu’a fait Rumsfield ? Qu’a fait l’Occident que Martineau dit que tu supplies aujourd’hui de nous libérer ? Rien. Absolument rien. Pourquoi ? Tout simplement parce que ceux que tu sembles appeler aujourd’hui en libérateurs étaient complices. Je n’ai pas l’ombre d’un doute que ceux qui te disent que leur objectif est d’offrir généreusement la liberté aux Irakiens te conforteront dans ta position en te disant que lorsque Bush fils évoque les atteintes aux droits humains en Irak, il ne fabule pas, il fait notamment référence à un rapport détaillé du département d’État particulièrement accablant pour le régime irakien. Mais ils se garderont bien de t’informer que ce rapport remonte à 1989, c’est-à-dire l’année où les États-Unis, sous la présidence de Bush père, ont refusé de voter une résolution des Nations-Unies appelant à enquêter sur le traitement que le régime de Saddam Hussein réservait à la population irakienne (1). Pas de rapport, pas de résolution, pas de larmes de crocodile, rien : que de la complicité. C’est une attitude que je ne comprends pas : espérer l’instauration du respect des droits humains en Irak par un gouvernement qui ne les respecte pas sur son propre territoire : brutalité policière, peine capitale, infiltration des campus par des agents secrets, exécutions extra-judiciaires, censure, mépris du droit international (convention de Genève à Guantanamo, traité de non-prolifération, protocole de Kyoto, cour pénale internationale, etc.) et pire que tout : la torture (2).
2. Par quel miracle le bourreau d’hier s’est-il transformé en libérateur d’aujourd’hui ? Qu’on me cite un seul exemple dans lequel l’intervention de l’Occident ailleurs qu’en Occident a été synonyme de liberté ? Pillage et rapine, voilà ce que l’intervention de l’Occident n’a jamais cessé de provoquer depuis des siècles. En Inde, en Afrique, en Iran, en Irak même, pays créé par les Anglais dans un bain de sang. Où, qu’on me le dise, les États-Unis ont-ils été la source d’une démocratisation (à l’exception de l’Europe, et encore ! car ce fut d’abord et avant tout l’œuvre des Européens eux-mêmes) ? Au Chili de Pinochet ? Au Viet Nam ? Au Nicaragua ? Où ? En Indonésie ? Au Pakistan ? Qu’on me le dise. L’empathie que tout être humain sincère éprouve envers le peuple irakien implique que soient dénoncés tous ses bourreaux, c’est-à-dire autant Saddam Hussein que ses anciens complices qui veulent maintenant le déloger moyennant un tapis de bombes meurtrières larguées sur les Irakiens.
Non, chère amie, ceux qui ont utilisé lors de la première guerre du Golfe des bombes interdites contenant de l’uranium appauvri contre les Irakiens (dont ont été victimes aussi leurs propres soldats), ceux qui vont tester sur l’Irak des bombes électromagnétiques (qui brouillent les frontières entre armes conventionnelles et armes de destruction massive) dans l’actuelle guerre, ceux qui, tels des charognards, se partagent le cadavre de l’Irak en accordant des contrats juteux (en dollars maculés du sang irakien) à leurs amis pour l’après-guerre alors que la guerre est loin d’être finie, ceux qui, par mépris, par lâcheté, par trahison, par un manque honteux de loyauté, ont livré les Kurdes et les Chiites aux fantassins de Saddam Hussein juste après la guerre de 91, ne peuvent en aucun cas se présenter comme les libérateurs des Irakiens. Prétendre le contraire, c’est soit faire preuve de naïveté idiote, soit être coupable de cynisme et de complicité dans les crimes que les libérateurs supposés des Irakiens sont en train de commettre en ce moment même, … contre qui ? Contre les Irakiens. Il est absolument nécessaire de comprendre que cette histoire de démocratie et de liberté en Irak n’est qu’un motif pour faire la guerre ; un motif que l’administration Bush a brandi comme argument ultime sachant que ses premiers arguments étaient peu ou pas du tout convaincants. Au même titre que la promesse de règlement du conflit israélo-palestinien (voir point « 3 » ci-bas).
Une poignée d’hommes, surtout américains, se partageront le butin de guerre
En ces temps de malheur où l’obscénité se dispute la vedette à l’insanité au rythme des déflagrations à Baghdad, à Kerbala, à Basra, à Mossoul, la question du partage du butin de guerre entre une poignée d’hommes ivres de puissance et d’hégémonie, alors que le sang des morts irakiens est encore chaud et que davantage de sang coulera d’ici la fin de la guerre, mérite qu’on s’y attarde un instant pour en rappeler les faits, notamment à ceux qui, comme Richard Martineau, surfent sur la vague de l’incomplétude de l’information (paragraphe 11 de sa chronique). Ce n’est pas un hasard si la personne pressentie pour assurer les opérations humanitaires et la reconstruction de l’Irak après la guerre soit Jay Garner, un ancien général américain. Car il est surtout président de SY Coleman, une entreprise d’armement qui a participé à produire des missiles actuellement utilisés dans la dévastation de l’Irak (3). Une logique implacable. Dans le même ordre d’idées, quelques jours après le déclenchement de l’agression, une information filtrait selon laquelle des contrats pour la reconstruction de l’Irak ont été accordés à cinq entreprises américaines dont une filiale de Halliburton que Dick Cheney (autre partisan acharné de la guerre), vice-président des États-Unis (rien de moins) a dirigée de 1995 à 2000 et qui (Cheney) continue à percevoir des sommes de cette entreprise : 1 million de dollars US, selon The Guardian du 28 mars 2003. Prise la main dans le sac, la filiale de Halliburton s’est finalement retirée. Un autre scandale révélateur vient juste d’éclater avec la démission de Richard Perle de son poste de président du Conseil pour la politique de défense relevant du pentagone. La cause : les sommes d’argent qu’il a reçues de la part de la firme Global Crossing en contre-partie de conseils (comprendre lobbying) sur les investissements relatifs à l’après-guerre (4). Voilà donc à quoi pensent « les architectes de la démocratie » en Irak.
Trois autres éléments montrent que le sort des Irakiens est le dernier des derniers des soucis de Bush et des faucons qui l’entourent.
Une stratégie militaire délibérément meurtrière
Premièrement, si la vie des Irakiens (avant même leur liberté) comptait un tant soit peu aux yeux des agresseurs de l’Irak, le choix de la stratégie militaire aurait été tout autre. Le commandement américain avait devant lui deux options (au moins). Ou bien la guerre totale selon une doctrine sinistre voulant que l’ennemi soit écrasé par une attaque aérienne terrible (la doctrine schock and awe - choc et effroi, autrement dit : terreur) qui le force à capituler rapidement (c’était l’option du général Tommy Franks qui dirige actuellement l’agression contre l’Irak à partir du Qatar), ou alors une opération spéciale, localisée, avec des troupes d’élite et des éléments infiltrés en Irak, visant au renversement de Saddam Hussein (c’était l’option du général Downing). Agression illégale dans un cas comme dans l’autre, je n’en disconviendrais certainement pas, mais avec une nuance de taille. Qu’elle réussisse ou qu’elle échoue, la première option s’accompagne inévitablement d’un nombre considérable de victimes (que les va-t-en-guerre désignent par l’ignoble expression de dommages collatéraux), contrairement à la seconde option. Bush et ses lieutenants ont choisi la première, provocant la démission du général Downing durant l’été 2002 (5). C’est donc une évidence que le nombre d’Irakiens qu’on assassinera pour les libérer (sic !) n’a pas pesé très lourd dans les prises de décisions à Washington.
La démocratie dans les pays arabes menacerait les intérêts des États-Unis
Deuxièmement, la démocratie dans les pays arabes est un danger pour les États-Unis. La démocratie, par définition, accorde plus de poids aux intérêts des populations locales ; des intérêts qui, dans le cas des pays arabes et même ailleurs, convergent rarement avec les intérêts hégémoniques américains, que cela soit sur le plan économique ou sur celui du conflit israélo-palestinien. Pour le moment, Washington n’a jamais accepté un partenariat avec les pays arabes, seulement des relations d’assujettissement avec des régimes vassalisés qui lui obéissent au doigt et à l’œil. Et gare à celui qui veut jouer au malin, il sera tout de suite taxé de nouveau Hitler. Dans la rhétorique de l’Occident, aucune autre nation n’a produit autant de Hitler que la nation arabe. Le caractère autoritaire des régimes arabes est une nécessité absolue pour l’administration américaine. Ce fut ainsi de tout temps et rien ne préfigure d’un changement d’orientation de la part de Bush, bien au contraire.
L’usage du mot liberté pour manipuler l’opinion
Troisièmement, il est inutile d’être dans le secret des dieux pour savoir que la liberté des Irakiens dans la rhétorique de Bush sert uniquement à placer le problème de l’invasion de l’Irak sur un terrain moral. Qui oserait dire, sans risquer de se couvrir de ridicule, qu’il est contre la liberté ? Personne. Bush le sait très bien. Il sait aussi qu’il a des chances que cette stratégie de communication trouve un écho favorable auprès d’esprits animés par les meilleures intentions du monde concernant les Irakiens (je suis certain que tu en fais partie), mais des esprits qui accepteraient aussi de lui signer un chèque en blanc en ne se donnant pas la peine de vérifier si cette rhétorique se justifie dans le discours d’ensemble de Bush et de ses hommes qui ont plaidé jour et nuit en faveur de la guerre en Irak. Des esprits qui, de ce fait même, ne considèreront pas à sa juste mesure la gravité de propos tenus ouvertement et à maintes reprises par le parti de la guerre. À l’instar de David Frum, ex-rédacteur des discours de Bush et auteur de l’expression assassine « l’axe du Mal » : « Une destitution de Saddam Hussein, écrit-il, conduite par les Américains et le remplacement du parti baasiste par un gouvernement plus aligné sur les États-Unis, mettrait Washington en charge de la région, plus encore que n’importe quelle puissance depuis les Ottomans, voire les Romains » (6). Comprenne qui pourra la place de la liberté des Irakiens dans de telles propos.
La filière américaine pro-Israël ne souhaite pas plus la démocratie en Irak qu’en Palestine
3. Enfin, comment peut-on croire que l’administration Bush est le moindrement soucieuse de la liberté des Irakiens alors qu’elle fait montre d’un mépris dégoûtant envers les Palestiniens ? On ne peut oublier, on ne peut occulter, encore moins justifier, qu’un nombre effrayant de personnalités influentes à Washington, occupant des postes clés dans l’administration Bush, sont des proches de l’aile dure du Likoud et de l’extrême droite israélienne, qui ont une part de responsabilité non négligeable dans la liquidation du processus d’Oslo, un processus - faut-il encore le rappeler - accepté par la direction palestinienne en dépit de ses insuffisances, voire de sa profonde injustice vis-à-vis des Palestiniens. C’est un secret de polichinelle et les exemples sont légions, mais Martineau, le chroniqueur ultra-sensible qui se sent hyper-cheap face au malheur des Irakiens (à condition que ce malheur ne soit pas le fait de l’administration américaine) préfère ignorer.
Quelques exemples pour en avoir le cœur net. Sans nier ni simplifier la complexité du processus de prise de décision à Washington, c’est un fait incontestable que ce processus est plus influencé par des Think Tanks peuplés d’experts non élus, que par les représentants des citoyens américains. Parmi les Think Tanks les plus conservateurs et les plus influents figurent le JINSA (Jewish Institute for National Security Affairs)et le CSP (Center for Security Policy) (7), étroitement liés au Likoud (le parti actuellement au pouvoir en Israël qui n’a jamais accepté les accords d’Oslo et qui les a rendu caduques dès qu’il en a eu l’occasion) et dans une certaine mesure (mais aussi dans une mesure certaine) à l’extrême droite israélienne (dont le racisme à l’égard des Arabes en général et des Palestiniens en particulier n’est plus à démontrer). Qui sont les hommes du JINSA et du CSP ? À la veille de l’élection de Bush fils à la tête des États-Unis, le JINSA comptait dans son équipe de conseillers :
– Dick Cheney, actuellement vice-président des États-Unis,– John Bolton, actuellement sous-secrétaire d’État chargé du contrôle des armes. Il fait partie de ceux qui estiment que l’Irak ne sera que le début d’une série de déstabilisations et de changements de régime dans la région. C’est la fameuse thèse du remodelage du Proche-Orient dans laquelle les idéaux de liberté et de démocratie sont loin, très loin, de représenter le premier objectif, ceci dans l’hypothèse fort improbable que démocratie et liberté aient jamais compté dans cette stratégie autrement que pour des besoins de rhétorique. L’un des derniers voyages de Bolton en Israël remonte à février 2003. À cette occasion, il a rencontré Sharon et Netanyahou à qui il a promis qu’après l’Irak "it will be necessary to deal with threats from Syria, Iran, and North Korea afterwards." Il n’y a là rien d’étonnant car le propos est tenu par un homme qui considère que les États-Unis doivent être au-dessus des lois, lui qui n’a jamais cessé de remettre en cause l’existence même de l’ONU dont les États-Unis, selon lui, ne doivent en aucun cas accepter les décisions qui ne leur conviennent pas. Durant les deux dernières années, la principale préoccupation de Bolton était de casser le projet de création de la Cour Pénale Internationale (8). David Wurmsur est l’un des collaborateur de Bolton. Il appartient à un autre Think Tank néo-conservateur et pro-guerre, l’American Entreprise Institute (AEI). Wurmsur est connu pour être un sioniste d’extrême droite (9) et à l’AIE il côtoie Barry Rubin, l’homme en charge du dossier Iran-Irak au niveau du Pentagone. Rubin est lui aussi partisan de la guerre totale. Son extrémisme le conduit à des réflexions tout simplement folles. Pour lui, Mary Robinson, la première responsable de l’ONU chargée des droits humains, est une complice du terrorisme parce qu’elle ose dénoncer les atteintes aux droits humains par Israël (10).
– Douglas Feith, lui aussi proche de l’extrême droite israélienne, présidait le conseil des experts (du JINSA) jusqu’à ce qu’il devienne numéro trois au Pentagone après Donald Rumsfield et Paul Wolfowitz qui ont eux-mêmes figuré parmi les experts du JINSA. En mars 2002, Douglas Feith fait son possible pour que Franck Anderson et Milt Bearden, des anciens de la CIA, ne se rendent pas au Pentagone pour prendre part à une réunion sur l’Afghanistan (à laquelle ils avaient été invités) en présence du ministre de la défense Donald Rumsfield. Bearden est un arabiste qui avait dirigé dans le passé la division du Proche-Orient au niveau de la CIA. Feith savait que l’homme était opposé à une attaque contre l’Irak et qu’il avait une vision équilibrée sur le conflit israélo-palestinien, ce qui dans l’esprit d’un homme proche de l’extrême droite israélienne, représente un vrai danger (11).
– Richard Perle, est toujours Conseiller au JINSA, (au CSP aussi). Il fut sous Reagan fonctionnaire de haut rang dans l’Administration Defense Department. Sous G.W. Bush, il a présidé le Defense Policy Board (DPB) avant de démissionner la semaine dernière suite à un scandale de conflit d’intérêts, mais il demeure membre du DPB. Homme de sinistre réputation, surnommé à Washington « le prince des ténèbres », il est l’un des partisans les plus déterminés de la guerre contre l’Irak, et n’hésite pas à promouvoir l’inscription d’autres pays arabes de la région sur la liste des ennemis des États-Unis
– En 1996, Douglas Feith et David Wurmsur ont pris part à la rédaction d’un rapport à l’attention de Benjamin Netanyahou, à l’époque premier ministre d’Israel (12). Intitulé « A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm », le rapport fut réalisé sous l’égide de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies et se voulait la plate-forme d’une nouvelle stratégie pour Israël à l’horizon 2000. Le rapport évoquait avec dédain les travaillistes israéliens dont l’engagement dans le processus de paix est assimilé à une capitulation et à une trahison d’Israël en termes de sécurité. C’est sur cette base que les rédacteurs du rapport conseillaient au nouveau gouvernement de rompre avec cette approche et de s’en tenir à une stricte logique d’affrontement en provoquant une sorte de guerre froide au Proche-Orient moyennant des armés vassalisées (comme ce fut le cas jusqu’à tout récemment avec l’armée du Sud-Liban) en vue de changer les régimes dans les pays arabes, les déstabiliser ou les endiguer, en jouant sur les divisions et les rivalités de ces derniers (13). Rien de nouveau pour ceux qui savent qu’il s’agit d’une position qui remonte à loin dans l’histoire du conflit israélo-palestinien et correspond à la conception du Grand Israël adoptée depuis toujours par la droite et l’extrême droite israélienne (14), une conception qui ne laisse aucune place à l’idée même d’un État palestinien et qui explique dans une large mesure la politique des gouvernements de Netanyahou et de Sharon.
– James Woolsey, qui est encore conseiller du JINSA, a dirigé dans le passé la CIA. Tout comme Jeane Kirckpatrick et Eugene Rostow, anciens hauts fonctionnaires sous Reagan. Eux aussi sont partisans de la ligne dure en Israël contre les Palestiniens.
– Michael Ledeen qui a défendu bec et ongles en 2001 l’option de la guerre totale. Selon lui, le seul et unique moyen d’assurer la sécurité des États-Unis et d’Israël c’est l’hégémonie par les techniques de la guerre froide, la force, le clientélisme et les actions secrètes. Ledeen plaide avec rage pour le changement de régime en Iran, par la force s’il le faut, un point de vue que partagent Andrew Marshall et Harold Rhode de l’Office of Net Assessment du Pentagone et ajoute l’Arabie Saoudite à la liste. Michael Ledeen est surtout connu pour avoir été l’agent de liaison de Oliver North dans le scandale de l’IranContra durant les années 80 (15). Ce scandale avait ébranlé l’administration Reagan après la découverte des ventes illégales d’armes à l’Iran (oui à l’Iran) par les États-Unis et Israël (oui par les États-Unis et Israël) ; l’argent de ces transactions a servi à financer le mouvement terroriste des Contras au Nicaragua contre les Sandinistes. L’affaire a éclaboussé un autre homme, proche de l’extrême droite israélienne : Elliott Abrams. Il a été réhabilité sous Georges W. Bush ; il est chargé des affaires du Moyen-Orient au sein du Conseil National de Sécurité (16).
Une propagande anti-palestinienne bien orchestrée
Encore un mot sur le JINSA pour dire que parmi ses activités favorables à la droite et à l’extrême droite israéliennes, se trouvent les voyages bien encadrés en Israël qu’il organise pour des officiers américains en retraite qui, à leur retour aux États-Unis, font des déclarations ou écrivent des articles pro-israéliens, en occultant systématiquement la responsabilité du gouvernement israélien dans le sort dramatique des Palestiniens. Ce fut le cas de Jay Garner en octobre 2000. Je rappelle que c’est précisément cet homme qui a le plus de chance d’administrer l’Irak après la guerre (17).
Quant au conseil d’experts du CSP, il regroupe entre autres des personnes également affiliées au JINSA comme Jeane Kirkpatrick, Richard Perle et Phyllis Kaminsky, ainsi que le président du conseil des experts du JINSA lui-même, David Steinman. À ceux-là s’ajoutent de nombreuses autres personnes qui occupent des postes clés dans l’administration en charge de la sécurité aux États-Unis, dont Ken de Graffenreid, Paula Dobriansky, Sven Kraemer, Robert Joseph, Robert Andrews et J.D. Crouch (18).
Je te laisse imaginer, chère amie, le tollé général, l’indignation courroucée, voire la peur panique qui s’emparerait des esprits si autant d’hommes proches du Hamas ou du Jihad Islamique occupaient les mêmes postes à Washington. Car le fondamentalisme de tous les hommes que je viens de citer n’est en rien (et je pèse mes mots) différent du fondamentalisme du Hamas et du Jihad. Un fondamentalisme qui ne se limite pas à la réduction des Palestiniens et des Arabes (dont les Irakiens) à des sous-humains, mais va jusqu’à vouer aux gémonies (voire purement et simplement assassiner, comme ce fut le cas pour l’ex-Premier Ministre israélien Yitzhak Rabin) les Juifs israéliens et non Israéliens, sionistes et non-sionistes opposés au tandem Sharon-Netanyahou et favorables à une paix juste avec les Palestiniens, comme Uri Avnery de l’organisation Gush Shalom (le Bloc de la Paix) ou l’universitaire américain Norman Finkelstein (19).
Je te prie de me croire, toutes ces informations n’ont rien de confidentiel, elles sont disponibles et tu peux les vérifier, tout comme tu peux vérifier les sources que je cite. Oui, les Irakiens méritent mille fois mieux que Saddam Hussein et c’est vrai que personne ne peut et ne doit hésiter entre un Irak sous le règne de Saddam Hussein et un Irak dirigé par des Irakiens intègres démocratiquement élus. Ce n’est pas ce que je conteste, tu l’auras compris. Ce que je conteste, c’est qu’une personne comme toi, qui a à cœur le sort des Irakiens, accepte de choisir entre la peste et le choléra. La démocratie et la liberté seront l’œuvre des Irakiens eux-mêmes ou ne seront pas. Leur résistance à l’agression qui force mon respect montre qu’ils refusent d’être mis sous tutelle, qui plus est la tutelle de gens qui, fondamentalement, les méprisent.
Amicalement.
SOURCES
1. Lire à ce propos l’article de Jason Leopold « Flashback to 1989. When Rumsfeld and Bush Sr. Refused to Back a UN Resolution to Investigate Saddam for Human Rights Abuses » sur le site http://www.counterpunch.org
2. Sur la torture voir Eyal Press "In torture we trust" dans The Nation, 31 mars 2003.
3. Voir The Observer, 30 mars 2003 : "US arms trader to run Iraq".
4. Voir Libération, 31 mars 2003.
5. Il ne faut cependant pas croire que cet officier est une colombe, loin s’en faut. C’est un faucon qui n’était pas d’accord sur les moyens militaires à employer, mais pas sur le principe même de l’utilisation vaille que vaille de la force militaire.
6. Cité par Pascal Riché dans Libération,10 mars 2003.
7. Respectivement le Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA) et le Center for Security Policy (CSP). Voir l’excellente enquête de Jason Vest " The Men From JINSA and CSP" dans The Nation, 2 septembre 2002. Je m’en inspirerai fortement dans le point « 3 » de mon texte.
8. Voir Ian Williams, "John Bolton in Jerusalem", publié sur le 22 février 2003, sur le site http://www.counterpunch.org
9. Voir Jason Vest « The Men From… » op., cité.
10. Idem
11. Idem
12. Les autres rédacteurs du rapport sont James Colbert, Charles Fairbanks, Jr., Robert Loewenberg, et Meyrav Wurmser. Idem.
13. Le rapport, daté du 8 juillet 1996, est disponible à l’adresse http://www.israeleconomy.org/strat1.htm
14. Voir Richard Labéviaire, Les dollars de la terreur, Paris, Grasset, pp 224-227.
15. Voir Jason Vest « The Men From… » op., cité.
16. Voir Diana Johnstone, « Guerres sans Fin », La Sorbonne, Paris le 26 /février 2003, disponible sur le site http://www.globalresearch.ca depuis le 1er mars 2003.
17. Voir Matthew Engel : "Rows dog general waiting to take over. Bush’s man to pick up pieces after war", dans The Guardian, 2 avril 2003.
18. Voir Jason Vest « The Men From… » op., cité.
19. Ury Avnery est un vétéran de l’armée israélienne, il a participé à la guerre de 1948, il a toujours plaidé pour un État palestinien et pour la coexistence pacifique entre Israël et la Palestine. On peut lire ses articles sur le site de son organisation, Gush Shalom, Norman Finkelstein est universitaire américain est auteur de L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Paris, La Fabrique, 2001. Son livre rompt avec la logique du soutien inconditionnel au gouvernement israélien, qu’il ait tort ou raison. Son livre lui a valu une cabale féroce. Par exemple, dans le Washington Post du 3 décembre 2002, Marc Fisher n’a pas eu honte de le pointer du doigt et de prétendre que son livre a fait de lui une sorte de star auprès des groupes néo-nazis, ceci alors que les parents de Finkelstein sont des rescapés des camps de concentration et que des membres de sa famille ont péri victimes de la barbarie nazie. Ury Avnery et Norman Finkelstein, que les inconditionnels d’Israël n’hésitent pas à insulter, en les traitant de « Self-hating Jews » (des Juifs qui se détestent ou ont honte d’être juifs) ne sont pas des cas isolés.
Mis en ligne sur Sisyphe le 19 avril 2003.
P.S. Lire le document intégral dont fait partie cette lettre ouverte à une jeune Irakienne sur le site du CMAQ, édition du 13 avril 2003. Miloud Chennefi y répond à la chronique de Richard Martineau intitulé « Lettre à ceux qui savent », paru dans l’hebdomadaire Voir, semaine du 27 mars au 2 avril.