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Elisabeth Badinter et Irène Théry ou la caution intellectuelle du système patriarcal

26 novembre 2013

par Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe

Élisabeth Badinter et Irène Théry* défendent avec constance la réglementation de la gestation pour autrui (GPA), et Élisabeth Badinter, également la réglementation de la prostitution. Au nom du libre choix, afin de canaliser les trafics et, affirment-elles, parce qu’il ne s’agit pas de marchandisation du corps humain.

Le discours est séduisant, les deux intellectuelles bénéficient d’un crédit d’opinion plutôt favorable à gauche et auprès d’une partie des féministes.
La question du libre choix rapportée au corps humain est complexe, en réalité, personne ne dispose d’une totale liberté de choix. Suis-je libre de me promener nue dans la rue, de vendre une partie de mes organes ou des morceaux de corps sur le marché ? Bien sur que non, ni moi ni personne ! L’intégrité du corps humain est heureusement garantie par les textes fondamentaux, afin de défendre, pour des motifs d’ordre sociaux, économiques et psychiques, les plus vulnérables, qui ne peuvent organiser seul-es l’aliénation de leur corps, en tous cas pas pour l’imposer au reste de la société.

Un projet de société ne se construit pas sur une demande minoritaire. Le libre choix des précaires et des fragiles, on voit tout de suite où ça pourrait nous mener ; pourtant, de nos jours plus que jamais, dans un immense délitement du collectif, les grand-es bourgeois-es comme l’institution universitaire ne sont guère préoccupé-es par de tels risques, au contraire, ils et elles les encouragent, s’en font les complices ; ils et elles expérimentent.
Un peu partout dans le monde, les trafics criminels du sexe et de la GPA sont puissants, les réseaux de plus en plus structurés et audacieux.

Réglementer une activité aux prises avec le trafic peut sembler être une bonne idée, mais c’est en réalité une démission. La seule garantie efficace de contrôle consiste à lutter contre l’activité génératrice de trafics, en se donnant des moyens d’ampleur, à tous les niveaux, national, européen comme international. Il faut endiguer mondialement les marchés criminels du sexe comme celui des « mères porteuses », plutôt que de réglementer chez nous et de laisser ces marchés proliférer ailleurs.

Tous les pays qui ont réglementé la prostitution, par exemple, en font l’expérience aujourd’hui, il leur est impossible sur le terrain de différencier la prostitution libre de la prostitution contrainte. L’une nourrit l’autre et l’argent conforte le système. Réglementer en France le marché de la GPA n’empêchera en rien les trafics à l’étranger, a fortiori si cette réglementation est chez nous minimalement contraignante.

Selon nos brillantes intellectuelles, il ne s’agirait pas de marchandisation des corps. Pourtant, la prostitution, du point de vue de la personne prostituée, a pour unique finalité l’argent qu’elle reçoit pour survivre. Elle ne vend pas sa force de travail intellectuelle ni physique, mais bien son intimité, aux pris de lourds dommages psychologiques et physiques.

Admettons que, pour la GPA, il en soit différent et que l’acte soit totalement gratuit (ce qui ne sera jamais le cas, ne serait-ce que parce que les soins, traitements éventuels et qualité de vie nécessaires à la grossesse génèrent des frais qu’il faudra prendre en charge), nous avons peut-être évacué la question de la marchandisation du corps, mais pas celle de l’appropriation du corps des femmes. L’éternel féminin, l’altruisme « héréditaire » qui consiste à donner lourdement de soi, doit-il être encouragé dans une perspective d’égalité entre les femmes et les hommes ? La question de l’égocentrisme de la domination masculine, celle du besoin consumériste de tout posséder, envers et contre tout, celle de la médecine commerciale et de ses lobbies, ont-elles été soigneusement pesées ?

En somme, que préconisent de plus nos intellectuelles fatiguées que la sempiternelle mise à disposition du corps des femmes ? Comme beaucoup d’autres intellectuels de nos jours, il semble bien que mesdames Badinter et Théry excellent surtout à préserver les intérêts bourgeois du système patriarcal. Avec elles, les hommes sont bien soignés, dans tous les cas ils sont assurés à la fois de se reproduire afin de transmettre leur génie et leur capital à des héritiers, et de consommer du sexe sans se fatiguer à nouer des relations égalitaires ou en cadeau bonus !

Pouvaient-ils rêver d’une plus belle caution intellectuelle ? Mesdames, laissez tomber vos masques, le féminisme ne passe plus par vous.

* Précision : sur la seule question de la prostitution, Irène Thery n’a toutefois pas pris position en faveur de la réglementation.

Publié le 20 décembre 2012 sur le site de l’auteure qui a autorisé Sisyphe à le reproduire.

Lire aussi :

  • Asymétrie reprodutive et gestation pour autrui
  • Au fond, qui estime vraiment les personnes prostituées ?

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 novembre 2013

    Christine Le Doaré, Irréductiblement féministe


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