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Commission parlementaire sur le projet de loi 60
Les accommodements religieux représentent un élément irrationnel majeur qui menace l’avenir des sociétés

15 janvier 2014

par Andréa Richard, auteure

M. le Président, mesdames et messieurs les ministres et député-es, je vous remercie de l’attention que vous voudrez bien m’accorder au cours de mon exposé.

Ayant été religieuse de la religion catholique pendant 18 ans, je possède une connaissance approfondie du système des religions qui soutient la spiritualité à travers le monde.

Actuellement âgée de 79 ans, mariée et redevenue laïque, je pense pouvoir me considérer au nombre des personnes avisées en cette matière depuis plus de quarante ans.

Ma présence dans cette enceinte aujourd’hui tient au fait que j’ai toujours eu à cœur de rechercher la vérité à l’intérieur de ces institutions religieuses, et en particulier à faire une distinction rigoureuse entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans ce qu’elles prétendent et affirment. Les réflexions que je suis venue vous apporter avec sincérité sont donc le fruit de toute une vie.

Ce mémoire est aussi en quelque sorte un testament citoyen à l’adresse d’une société qui, nous avons pu le constater tout au long de la commission Charbonneau, veut fermement retrouver la transparence, l’honnêteté et la vérité de la part de votre honorable assemblée. Si cela est vrai pour la dimension politique et celle des affaires, il devrait en être de même pour ce qui concerne les religions qui se pratiquent dans notre pays. C’est pourquoi je me permets d’affirmer que la pratique d’une religion dans laquelle on s’est fidèlement engagé relève malheureusement le plus souvent d’une foi naïve ou ignorante, fréquemment basée sur la déviation ou la dérive volontaire des textes sacrés sur lesquels cette foi se fondait, dans l’intention manifeste de faire peser sur les peuples le poids d’un pouvoir sans limites.

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J’approuve totalement la charte faisant l’objet du projet de loi 60, méticuleusement, rigoureusement et consciencieusement élaboré, ce dont nous tenons à féliciter et à remercier monsieur le ministre Bernard Drainville et le Parti québécois. Il serait cependant souhaitable que cette charte s’avance encore plus loin dans ses exigences, malgré la prudence dont monsieur Drainville a sans doute voulu témoigner. Personnellement, je recommanderais que tous les accommodements religieux accordés jusqu’ici soient abolis ; c’est pourquoi j’ai concentré mon mémoire sur ces accommodements dits raisonnables, parce que je persiste à considérer qu’ils ne le sont en aucune façon.

Selon la formulation actuelle de la charte, des accommodements de nature religieuse continueront à être accordés, parce que demandés sinon exigés, alors que pour soutenir un progrès de société allant vers la maturité du monde, on devrait, tout au contraire, les abolir. Auparavant, les accommodements n’existaient que pour les handicapés temporaires ou permanents et ils se justifiaient pleinement. Ceux et celles qui demandent aujourd’hui des accommodements de nature religieuse sont considéré-es par leurs communautés respectives elles-mêmes comme des fanatiques. En leur accordant ce qu’ils demandent, nous ne servons pas le progrès de notre société, mais favorisons tout au contraire un fondamentalisme religieux qui freine son évolution.

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Soyons conséquents avec nous-mêmes. Nous ne pouvons parler de « neutralité », puisque l’accommodement demandé a précisément pour but d’obtenir une exception au droit de tous, une faveur par rapport au reste de la société. Au chapitre V de la charte, n° 15, 4* il est écrit : « ... que l’accommodement demandé ne compromette pas la séparation des religions et de l’État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère laïc de celui-ci. » Or, tout accommodement religieux crée nécessairement une parenthèse indue au sein même de l’État et de sa neutralité.

Aucune religion n’est neutre puisqu’elle postule des vérités non établies, sans aucun fondement justifié. Accommoder la pratique d’une religion, c’est lui attribuer un privilège, donc enfreindre l’égalité des autres citoyens et citoyennes, et par conséquent aussi les disqualifier en créant des lois d’exception. Loin de chercher à unir les citoyens et les citoyennes, c’est en définitive multiplier leurs divisions.

Pour un fonctionnement juste et efficace de la société, il est essentiel de garder toujours présent à l’esprit qu’une Charte des droits et libertés a pour essentiel objectif d’instaurer et de respecter une absolue égalité entre les citoyens et citoyennes. Créer des différences entre eux, c’est créer des inégalités, et donc aller à l’encontre des principes égalitaires de la démocratie.

Cette charte vise la protection des individus et non la protection des croyances. Accorder des accommodements religieux favorise le développement d’un communautarisme qui dissimulerait des visées intégristes et fondamentalistes. C’est là que se situe le danger à éviter, car c’est par cela que la survie de la société est menacée.

Notre devoir essentiel de citoyens et de citoyennes nous dicte donc de ne jamais accommoder les religions. Celles-ci veulent nous imposer leurs dogmes et leurs doctrines au nom d’un Dieu illusoire. Parler au nom de Dieu, c’est usurper le pouvoir qui n’appartient qu’au peuple. L’accepter, c’est se rendre complice d’une erreur magistrale.

Une prise de conscience s’impose. L’écart est énorme entre ce que nous faisons maintenant, c’est-à-dire abandonner naïvement le pouvoir qui appartient au peuple entre les mains d’usurpateurs, alors qu’on devrait au contraire en dénoncer la pratique.

J’ai fait ma théologie et puis aujourd’hui affirmer que 80 % des enseignements de théologie ne sont que des hypothèses sans aucune vérité. Ses dogmes sont de pures inventions.

Un exemple parmi beaucoup d’autres : au IIIe siècle, Arius, prêtre d’Alexandrie, niait que le Christ soit Dieu. Aux IVe et Ve siècles, sous le règne de Julien Byzantin, des désaccords profonds existaient en matière dogmatique, christologique, théologique et doctrinale entre les évêques.

C’était déjà là une preuve évidente de « l’incertitude des certitudes », car la divergence entre les croyances suffit à prouver leur inanité et leur vacuité ! Leur accorder une quelconque préséance constitue de la part des pouvoirs publics plus qu’une erreur, mais une infamie et une trahison du peuple dont ils ont la garde et la responsabilité, dans le domaine de la santé physique comme celui de la santé mentale.

C’est pourquoi je trouve particulièrement éhonté que l’Université, dont on s’attend qu’elle apporte la science et la vérité d’un savoir certain, enseigne encore la théologie et offre en ses murs des lieux de prières, alors que, de toute évidence, elle se devrait d’être neutre en cette matière. Si l’Université qui se doit de former des savant-es, ne donne pas l’exemple du savoir vrai, qui va le dispenser ?

Dans la charte, au chapitre 1V n° 11, chapitre 2, il est pourtant indiqué que des personnes chargées de dispenser un enseignement de nature religieuse dans un établissement d’enseignement de niveau universitaire pourront se soustraire aux règles d’application du chapitre 8. Nous avons donc un long chemin à faire !

Aujourd’hui, nous ne pouvons ignorer ce que nous savons de par les découvertes scientifiques, historiques, archéologiques et exégétiques. Autre découverte : au terme de cinq années d’études et de recherches, Jérôme Prieur et Gérard Mordillat (Jésus contre Jésus – Éditions du SEUIL – Point P800 – 1999 ), historiens et auteurs français, sont arrivés à la conclusion que la Bible, y compris les Évangiles, quoique comprenant quelques éléments historiques, relève de la plus pure « fabrication ». On peut d’ailleurs en dire autant des livres saints des autres religions. Autant continuer à enseigner le géocentrisme comme une vérité !

Malheureusement, le préambule de la Constitution canadienne commence lui-même par l’affirmation d’une parfaite stupidité, dans laquelle le religieux évince le citoyen et la citoyenne :

« Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit … »

Reconnaissons d’emblée que la combinaison « suprématie de Dieu » avec « primauté du droit » rend juridiquement contradictoires les autres articles de la Constitution, comme l’article 2 donnant « la liberté de conscience et de religion ». Quelle incohérence sémantique qui profite tant aux demandeurs d’accommodements ! De ce fait, la charte garantissant aussi la liberté de conscience et de religion se voit souvent mal interprétée en cour. Dans un procès opposant la religion et le principe de laïcité, la justice ne peut évoquer un dieu hypothétique. Soyons sérieux ! La Province du Québec n’ayant pas endossé la Constitution canadienne, il me semble que légalement elle n’a pas à s’y conformer.

De facto, les accommodements religieux représentent un élément irrationnel majeur qui menace l’avenir des sociétés canadienne et québécoise et entraîneraient à terme la disparition de nos valeurs. Il est donc impératif pour nos pays de combattre l’obscurantisme, le fondamentalisme et l’intégrisme. Il en va de la responsabilité de nos dirigeant-es. L’erreur en politique et en religion est de s’imaginer que les lois sont coulées dans le ciment. Or l’esprit devrait passer avant la loi.

Le fondement de toutes les religions repose sur un endoctrinement d’origine strictement humaine dont les préceptes sont erronés et forcément mensongers. Lorsque nous consentons des accommodements aux sectes religieuses ou à leurs membres et que nous les cautionnons d’une manière ou d’une autre, nous nous rendons complices des erreurs et des mensonges. C’est pourquoi je suis hostile à l’article de la charte qui encadre les accommodements. Je refuse d’en être complice.

Les institutions scolaires et gouvernementales prescrivent une éthique de tenue vestimentaire. Elle est légitime pour éviter toute dérive possible. Elle correspond à une valeur peu évoquée, c’est celle de l’équilibre, celle du juste milieu, souhaitable mais peu mise en pratique. Les extrêmes sont rarement positifs. Une petite fille qui arriverait à l’école en bikini, serait-ce acceptable ? Pourquoi l’autre extrême, le voile sur la tête, serait-il davantage acceptable ? Au nom d’une religion parmi d’autres aussi fausses ? Alors qu’aucune autre religion ne l’impose. Si les garçons arrivaient à l’école portant une casquette, vous diriez quoi ? Il me semble que tous les élèves se doivent d’être égaux dans leur tenue vestimentaire à l’école comme citoyens et citoyennes laïcs, au sein d’une institution dont la neutralité va de soi.

Au chapitre V, l’article n° 16 n’a pas sa raison d’être, car il est peu logique qu’un employeur doive accommoder son employé-e. Quand on est employé-e, c’est pour travailler, ce n’est pas pour prier. Pour cela, il existe des lieux de prières, des synagogues, des mosquées, des églises, des temples, etc. La tolérance peut s’avérer de la mollesse de la part de l’employeur, ce qui n’échappera pas à l’employé-e. L’employeur devrait être en mesure de gérer son entreprise et son personnel sans rencontrer d’entrave aux intérêts de l’entreprise et des droits collectifs des employé-es.

Prétendre qu’une employée qui travaille pour l’État et qui ne veut pas enlever son signe religieux ostentatoire est renvoyée est tout à fait incongru, car c’est elle-même qui s’exclut en choisissant sa religion plutôt que son travail. Si quelqu’un considère qu’il ne peut obéir à des règlements établis, il lui revient de faire un choix entre ses convictions religieuses et ses obligations professionnelles.

Notre identité repose avant tout sur notre citoyenneté, dans le partage des mêmes droits et des mêmes devoirs. L’appartenance à une religion se situe en deçà de notre identité citoyenne et n’autorise donc pas à réclamer des privilèges au nom de cette religion. Cette prise de position ne peut que restaurer une paix aujourd’hui menacée par la montée fondamentaliste et intégriste des religions, constatée dans les pays occidentaux à laquelle le Québec n’échappe pas. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire en des dieux, mais la laïcité unit et devrait primer dans le monde entier. Les religions divisent et engendrent des guerres. Nous en avons les preuves historiques.

Malheureusement, les législateurs ne semblent pas conscients du nouveau danger qu’ils font peser sur les têtes par leur attitude de tolérance inappropriée. Si la tolérance bien placée est louable, trop de tolérance institutionnelle peut facilement s’apparenter à une lâcheté politique.

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La société de demain sera soit théocratique, soit laïque. Pour le bien des générations futures, il nous faut prendre nos responsabilités sans quoi elles nous taxeront d’être retournés au Moyen Âge et elles auront raison.

Pour ceux qui s’inquiètent de l’absence de religion, l’enseignement des valeurs, de l’éthique, de la morale, d’une spiritualité laïque sera plus bénéfique que toute religion. Il est faux de prétendre que la religion est une valeur, elle est une institution dogmatique et doctrinale fondée par des hommes avides de pouvoir.

Selon moi, la règle la plus raisonnable à laquelle je puisse penser se situe dans la laïcisation du domaine public, dans les domaines des États comme dans toute aire publique, et par conséquent dans l’abolition des accommodements religieux actuellement en fonction.

Andréa Richard est l’auteure de Au-delà de la religion (Septentrion, 2005).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 janvier 2014

Andréa Richard, auteure


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