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La propagation du voile islamique – Les raisons historiques

29 janvier 2014

par René Tinawi, Ph. D. ing., professeur à la retraite de l’École polytechnique de Montréal

Mémoire soumis dans le cadre de la consultation générale sur le Projet de loi no 60. L’auteur a été durant 30 ans professeur et titulaire de chaire à l’École Polytechnique de Montréal.



Le débat concernant la charte de la laïcité a fait couler beaucoup d’encre. J’ai suivi avec intérêt presque tout ce qui a été écrit et, à mon humble avis, une question importante concernant la propagation du voile islamique n’a pas été abordée.

Le pour et le contre des signes ostentatoires a fait l’objet de multiples échanges mais la question fondamentale demeure : si le voile islamique était inexistant il y a 20 ou 30 ans, on peut sans trop se tromper affirmer que depuis les vingt dernières années, on remarque à Montréal, et ailleurs dans le monde, une recrudescence de ce signe ostentatoire.

Pourquoi ? L’objectif de ce texte est de fournir une possible explication à cette question afin d’orienter le débat, concernant le projet de loi no 60, sur des bases plus solides.

*

J’ai grandi en Égypte et j’ai quitté ce pays en 1960. Je ne me souviens pas d’avoir côtoyé ou connu des femmes ou des filles voilées avant de partir. Au centre sportif, les femmes musulmanes se baignaient à la piscine en maillot une-pièce et jouaient au tennis en short. Les mots burka, niquab, tchador ou hijab n’existaient même pas dans le vocabulaire. J’ai effectué une visite en Égypte en 1977 et, là encore, le voile était inexistant. Une autre visite en 1994 où là j’ai remarqué un changement.

Je désire faire la chronologie des événements historiques, qui se sont déroulés ailleurs, pour la compréhension de la situation actuelle au Québec.

Une image vaut mille mots. Les photos de graduation de la Faculté des Arts (Département d’anglais) de l’Université du Caire sont éloquentes (voir ces photos dans le PDF à la fin du mémoire). Ces images, Mme Nonie Darwish, une égyptienne qui vit maintenant aux E.U., les a publiées sur Internet. Elle fait remarquer que les photos de graduation des années 1959 et 1978 sont très différentes de celles des années 1995 et 2004. Elle ajoute : « Cette différence provient du fait que l’islam radical a maintenant dominé l’esprit des femmes éduquées dans le monde arabe ». Pourquoi cette domination de l’islam intégriste pas seulement en Égypte mais partout dans le monde arabe ? Le lien est bien sûr la confrérie des Frères musulmans (en arabe Al ekhwan el mousselémine).

Commençons par la définition des Frères musulmans. Selon l’Encyclopédie Larousse en ligne : « Mouvement politico-religieux sunnite fondé en Égypte en 1928 par l’instituteur Hassan el Banna. Les thèmes essentiels de la doctrine originelle des Frères musulmans sont la création d’un état musulman théocratique, le rétablissement du califat, la lutte contre toute tentative de rénovation ou de ‘modernisation’ de l’islam, la dénonciation d’une civilisation occidentale en décadence, l’anticolonialisme, le panislamisme et le panarabisme ainsi que l’anticommunisme ». Il est évident que cette vision n’a pas beaucoup changé à ce jour, sauf pour l’expansion de cette confrérie dans plusieurs pays arabes et autres.

Bref historique

Après sa création, la confrérie multiplie, grâce à ses commandos, les attentats contre le pouvoir égyptien dans les années 1945 à 1948. La révolution de 1952, orchestrée par les officiers de l’armée, a mis fin à la monarchie et à la présence britannique en Égypte.

Nasser, le leader de ces officiers, s’est dissocié des Frères musulmans lorsqu’ils lui ont demandé d’instaurer la Sharia en Égypte. Son refus en 1954, lors d’un célèbre discours un peu cynique concernant les Frères musulmans, a été suivi par des attentats sur sa vie. Nasser emprisonne alors les leaders islamiques et déclare le mouvement interdit.

Ceci a par contre favorisé l’expansion de la confrérie à l’étranger. Nasser, qu’on pourrait qualifier de visionnaire, voulait il y a soixante ans, dans un pays musulman à 90%, la séparation de l’État et du pouvoir religieux. Après sa mort, Sadate lui succède en 1970.

Il entreprend la restauration des relations diplomatiques avec Washington, signe un traité de paix avec Israël et libère les Frères musulmans emprisonnés. La confrérie des Frères musulmans devient active, appuie fortement les associations étudiantes au sein des universités, organise le mouvement du Djihad (lutte) islamique qui s’attaque aux touristes étrangers en Égypte, condamne la paix avec Israël, et accentue les discours des imams dans les mosquées. En 1980, ils assassinent celui qui les a libérés.

Moubarak prend la relève et, lors des élections subséquentes, les Frères musulmans deviennent politiquement actifs et obtiennent, lors des élections de 1987, 10% des sièges au parlement égyptien. Par la suite, lors des élections législatives de l’an 2000, ils forment l’opposition officielle. Lors des élections de 2006, ils deviennent encore plus présents et actifs. Mais, depuis 2008, la situation économique et sociale se détériore, le prix des denrées de base augmente considérablement ainsi que les taxes et le mécontentement social. Des attentats contre les églises et la communauté copte sont perpétrés par les Frères musulmans, et c’est le début de la grogne populaire contre le régime Moubarak. Les tensions religieuses s’accentuent en Égypte et en 2011, c’est la grande surprise avec la révolution tunisienne d’abord, puis la chute de Moubarak peu de temps après. Le reste est connu, avec l’élection du président islamiste Morsi en 2012 et sa chute en 2013.

Quelques pistes

Revenons à nos images et aux raisons de la propagation du voile.

À cause de la situation économique désastreuse, des milliers d’ÉgyptienNEs sont partis travailler en Arabie Saoudite dans les années 1960 et 1970 avec des salaires extrêmement élevés.

Leur contact avec l’islam extrémiste en Arabie a certainement influencé leurs croyances religieuses. À leur retour, le fossé entre riches et pauvres s’est accentué et les Frères musulmans ont capitalisé sur ces ÉgyptienNEs déjà endoctrinés en Arabie, et instruits, pour les recruter. En parallèle, la confrérie a commencé à s’occuper des œuvres caritatives et à combler le vide social que le gouvernement était incapable de fournir.

Les oeuvres sociales de la confrérie (banque alimentaire, soins médicaux, présence morale, éducation religieuse, etc.) ont entraîné plusieurs musulmans et musulmanes à adhérer au mouvement. Cette charité bien organisée, et financée par des sources externes, a fidélisé au mouvement les plus vulnérables et les plus pauvres, mais néanmoins instruits. En parallèle, les imams ont commencé à prêcher l’importance de la renaissance de l’islam, le retour à la prière, le port du voile, l’adhésion à l’islam fondamentaliste et à la Sharia.

Selon l’auteur du livre Inside Jihad – Understanding and confronting radical Islam, Dr Tawfik Hamid écrit : « …Outre les imams, les disciples des Frères musulmans ont commencé à prêcher dans les amphithéâtres des facultés pour accélérer le recrutement d’hommes et de femmes qui ne se côtoyaient pas socialement. Les femmes étaient voilées et ne priaient pas dans la même salle que les hommes. » Toujours selon Hamid, les étudiants et étudiantes avaient comme prédicateur Ayman el Zawahiri, un brillant médecin, qui est devenu par la suite le chef du Djihad islamique et qui subséquemment s’est joint à Al- Qaeda pour en devenir le numéro 2 auprès de Ben Laden. Un autre sermonneur était le Dr Abdel Aziz el-Rantisi qui s’est joint par la suite au mouvement Hamas.

En bref, l’objectif de la confrérie étant de recréer un Califat islamique (disparu après la chute de l’Empire Ottoman) et d’unir le monde arabe sous un même prince qui aurait les pouvoirs politiques, religieux et militaires. Une phrase de Tawfik Hamid qui demeure importante : « …Les Frères musulmans utilisent la démocratie comme tremplin pour détruire la démocratie. »

Tous les Frères musulmans ne sont pas nécessairement des terroristes, mais il est important de connaître quelques-uns des principaux acteurs, leur objectif, leur enseignement et de ne pas être surpris si l’influence des islamistes extrémistes s’étend continuellement en Europe, aux États-Unis et au Canada avec des jeunes ou des étudiantEs, dans nos universités, prêts à commettre des actes terroristes au nom d’Allah et de l’islam fanatique, tout en ayant la conscience tranquille, grâce à la Sharia, car ils considèrent tous les non-musulmans comme des infidèles.

Revenons à nos images. Le mouvement politico-islamiste, qui est maintenant bien ancré dans certains pays arabes et exporté dans plusieurs pays où des musulmanEs y sont présents, se fait remarquer par la visibilité de barbus intégristes et de femmes voilées. Ces femmes (selon les rares féministes musulmanes qui vivent à l’étranger) n’ont pas de choix et se montrent comme de bonnes musulmanes par obligation ou par pression sociale et familiale. En général, et en particulier dans le monde arabe, l’apparence est importante. Si ces femmes ne portent pas le voile, elles seront traitées de rebelles et risquent gros. Par conséquent, la majorité des femmes finit par céder, pour ne pas avoir à mener une bataille perdue d’avance.

On a tous et toutes été témoins du traitement des femmes en Iran, en Arabie, en Algérie et ailleurs où l’islam politique et l’intégrisme religieux sont présents. Dans ces pays, la femme ne sera jamais l’égale de l’homme. À titre d’exemple anodin, pour illustrer une de ces multiples inégalités, la Sharia indique que la femme, lors d’une succession, hérite de la moitié de la part de l’homme. En droit, une femme vaut un demi-témoin. Donc deux femmes doivent être présentes pour témoigner d’un incident civil ou criminel en cour. N’eut été de la position ferme de l’Assemblée nationale contre la Sharia, l’Ontario aurait eu la sienne.

Questions importantes

Le Québec a favorisé l’immigration musulmane de l’Afrique du Nord pour des raisons linguistiques et la possibilité d’intégration rapide au Québec. Cependant, il est important de se demander, connaissant les visées de l’islam politique et intégriste, si ces femmes musulmanes, dont l’identité passe par le voile, seraient les soldates de ce mouvement extrémiste. Cette farouche attache à ce symbole religieux, pour ces femmes intégristes, nous incite à poser la question : quel est le vrai motif derrière ce voile ? Si ces femmes voilées ne représentent pas une cause politique, enlever ce signe ostentatoire pour quelques heures de 9 à 5 ne devrait pas alors ébranler leur foi. Après tout, ce voile n’existait pas il y a 20 ans, même si l’islam existe depuis 1400 ans.

Conclusion

On a souvent traité les Québécois et les Québécoises de racistes, de xénophobes, d’islamophobes, etc.

Personnellement en tant qu’immigrant, maintenant confortablement intégré à la société d’accueil, je ne suis pas d’accord avec ces qualificatifs. Je pense plutôt que les Québécois et les Québécoises ont une attitude ‘bon-enfant’ et jugent les autres selon leur culture judéochrétienne en offrant un accueil chaleureux et le bénéfice du doute à toute personne qui désire s’établir au Québec et s’y intégrer.

Par contre, les réclamations continuelles d’accommodements déraisonnables, de la part d’intégristes fanatiques, deviennent à la longue des irritants majeurs et perturbent la paix sociale. Après tout, des Italiens, des Grecs, des Latinos, des Vietnamiens, des Haïtiens et bien d’autres se sont intégrés ici
sans problème et sans demande d’accommodement. J’ajouterai simplement que l’islam politique et l’islam intégriste sont complètement incompatibles avec les valeurs et le mode vie de la société québécoise.

Pour terminer sur une note moins sérieuse, mais néanmoins scientifique, vu que j’ai enseigné et effectué des recherches sur le génie parasismique pendant trente ans, je voudrais simplement citer l’imam iranien Hajatosalem Kazem Sedighi qui prétend que l’habillement des femmes à l’occidentale augmente les risques de tremblements de terre. Je suis content d’avoir pris ma retraite du milieu académique car je n’aurai pas besoin de faire la mise à jour de mes notes de cours sur ce sujet. Il faut simplement dénoncer ces âneries et bien d’autres. (Fin du mémoire)

 Pour conclure sa présentation devant la commission parlementaire, il a dit ceci : « En conclusion, je pense personnellement que tous les signes ostentatoires en milieu de travail ne sont pas des signes religieux mais bel et bien des signes politiques qui reflètent pour ceux qui les portent une certaine désinvolture à l’égard des autres et qui se résument en un seul mot, l’outrecuidance. Je ne suis pas contre la religion, je suis tout à fait pour le port de signes religieux mais dans les églises, les mosquées, les synagogues et les temples, mais pas au travail. La religion est une affaire personnelle et parader avec un signe religieux dans les écoles, les universités ou au travail ne démontre pas nécessairement une piété ou une dévotion. Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre attention. »

Télécharger ce mémoire avec les photos
***

Extraits des échanges de l’auteur avec le ministre Bernard Drainville

(…)

René Tinawi - Il y a certainement un faible pourcentage qui le portent par conviction religieuse, mais la très grande majorité, c’est pour des raisons politiques. Si vous regardez les photos, il y a 50 ans, le voile n’existait pas, ni en Égypte, ni au Maroc, ni en Tunisie, sauf en Arabie saoudite, qui est le gardien de l’islam. Alors, est-ce qu’on va dire à ce moment-là que toutes ces femmes musulmanes qui habitaient dans ces pays-là il y a 50 ans étaient des infidèles, étaient des femmes qui n’obéissaient pas à leur religion ? Non, elles étaient des femmes normales, elles étaient libérées de n’importe quel signe religieux. Et c’est par la suite... Et c’est ça, la démonstration que j’essaie de faire, c’est qu’il y a eu un mouvement qui a forcé ces femmes-là à couvrir leur tête, et maintenant il y a plusieurs formes de couverture : il y a le voile, il y a le niqab, il y a la burqa, il y a le tchador, il y a plein de variantes. Et, comme je l’ai dit dans mon mémoire, quand j’étais en Égypte, j’avais beaucoup de femmes musulmanes que je connaissais. Je dirais : Non seulement les signes religieux n’existaient pas — et ce n’est pas juste en Égypte — le vocabulaire n’existait même pas. Alors... Et c’était la même chose en Tunisie, au Maroc. Dans tous ces pays, que j’ai pu visiter pour travail ou autre, il n’y avait pas de femmes voilées, il n’y en avait pas.

M. Drainville : Sur la question générale de l’interdiction du port des signes religieux dans les institutions publiques, tout à l’heure il y a une dame qui est venue nous présenter son mémoire, Mme Laouni, qui disait : Écoutez, moi, le voile, là, ça fait partie… d’abord c’est une prescription religieuse et ça fait partie de mon identité, ne me demandez surtout pas d’y renoncer. Et, moi, je lui faisais valoir l’argument, de dire : Écoutez, c’est très bien, vous nous donnez votre perspective, et c’est ce qu’on vous demande de faire, mais est-ce que vous pouvez également vous mettre à la place du citoyen qui s’adresse à vous théoriquement, qui vous demande un service et qui reçoit votre message religieux et qui considère que ça le brime dans sa propre liberté de conscience ? Vous nous demandez de respecter votre liberté de religion, votre liberté de porter ce voile, mais concevez-vous que la personne qui vous demande un service, qui s’adresse à vous, elle aussi a une liberté, sa liberté de conscience, et qu’elle considère que cette liberté-là est brimée par le message religieux que vous lui soumettez ? On est pas mal au coeur de l’affaire, là. Qu’est-ce que vous répondez, vous ? Comment vous réglez ça, cette tension-là, ce débat-là ? Comment… Quelle est la réponse que vous apportez à cette tension ?

M. Tinawi (René) : Écoutez, la première question que je poserais à cette dame : Pourquoi elle porte le voile puisque le Coran ne l’oblige pas ? Alors, si le Coran ne l’oblige pas, pourquoi le porter ?

M. Drainville : Elle a dit que c’était une prescription religieuse. Je ne fais que rapporter ses paroles, je ne prends pas position, mais je vous rapporte ce qu’elle nous a dit. C’est exactement le mot qu’elle a utilisé, « prescription religieuse ».

M. Tinawi (René) : Je vous donne les prescriptions du Coran : Les cinq piliers de l’islam : croire en Dieu, prier cinq fois par jour, faire la charité, faire le ramadan et, si avoir les moyens, faire le pèlerinage à La Mecque. Voici les prescriptions de l’islam. Alors, cette dame-là, si elle veut… un peu comme les chrétiens, il y a des chrétiens qui vont à la messe tous les jours, il y en a d’autres qui y vont une fois par an, il y en a d’autres qui n’y vont pas du tout. Alors, si elle a pris une attitude extrême, elle est en train de nous dire : Ma religion est plus importante que le travail, ma religion a préséance sur le travail. Je m’excuse, moi, je suis un immigrant, mais je ne suis pas venu pour prêcher une religion quelconque, je suis venu pour travailler, pour apporter une contribution à cette société accueillante et que j’aime beaucoup, et c’est pour ça que je me suis adapté et que je suis très confortable dans ce que j’ai fait et que je continue à faire. (…)

 Source : Assemblée nationale du Québec, échanges en commmission parlementaire à la suite de la présentation du mémoire de l’auteur. Le 14 janvier, 17 h.. Vidéo sur Youtube.

Merci à l’auteur pour la diffusion de ce document.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 janvier 2014

René Tinawi, Ph. D. ing., professeur à la retraite de l’École polytechnique de Montréal


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