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Élections Québec 2007
Moi aussi, ma décision est prise

19 mars 2007

par Micheline Carrier

J’irai voter le 26 mars prochain.

Ce n’est pas que j’en aie terriblement envie, mais il s’agit d’un devoir civique. Dans le passé, il m’est arrivé de m’abstenir, mais ce choix me semble cette fois inopportun : il y a sur les rangs au moins deux partis dont les programmes m’interpellent. De plus, je voudrais honorer toutes celles qui ont lutté longtemps afin de conquérir le droit de vote pour les femmes et celles qui se lancent aujourd’hui dans la jungle politique en faisant de leur mieux.

Des femmes et des hommes se font la lutte dans la circonscription où je voterai. Je ne connais pas leur orientation sexuelle et je ne veux pas la connaître. Cela n’a rien à voir avec l’élection d’un-e député-e ou d’un chef de gouvernement et ne devrait même pas faire l’objet de discussions publiques, positives ou négatives. Aussi, contrairement à Mme Lise Payette ("Ma décision est prise", Journal de Montréal, le 5 mars 2007), je ne voterai pas pour une personne parce qu’elle "assume publiquement son homosexualité", fait partie d’un groupe discriminé ou s’est montrée humaine parce que blessée par des discours homophobes. Assumer son orientation sexuelle minoritaire est une chose, assumer la direction d’un pays en est une autre.

Je ne voterai pas non plus pour un candidat parce que, s’il devient "premier ministre, ça ouvrira un horizon pour beaucoup de jeunes garçons et de jeunes filles qui songent au suicide quand ils découvrent qu’ils sont sexuellement différents. Ce qui serait une victoire en soi". On parle de diriger un pays, non de se donner en exemple pour faire reculer les préjugés sociaux. Il n’y a pas une grande différence entre voter pour et voter contre une personne parce qu’elle est homosexuelle (ou femme). Dans les deux cas, on associe deux éléments sans rapport.

À longueur d’année, des femmes sont attaquées, blessées par des discours misogynes et rejetées en tant que femmes dans tous les domaines, et elles ne récoltent pas tellement de sympathie (ou de pitié). Il y en a même une dont les membres de son parti n’ont pas voulu à la direction, en dépit de sa longue expérience et de sa compétence. À l’évidence, elle était la meilleure candidate en lice, mais on lui reprochait de paraître riche et de porter des bijoux, on la trouvait hautaine... et elle était une femme. De plus, les sondages prédisaient que le chef actuel de son parti avait plus de chances de remporter la prochaine élection. On verra si cela s’avère. Le parti qui a élu son chef sur de tels critères ne peut compter sur mon vote au prochain scrutin ni aux suivants. La capacité de se servir de son jugement, la justice, la compétence, le respect de l’égalité et le rejet sans équivoque du sexisme (même déguisé) font partie des critères qui guident mes choix.

Je ne voterai pas non plus pour une femme seulement parce que c’est une femme. J’estime plusieurs femmes de différents partis autant et même plus compétentes que certains hommes, mais c’est parfois leur programme ou leur chef qui ne me conviennent pas. Il y en a d’autres pour qui je ne voterais jamais, peu importe leur programme ou leur chef, tout simplement parce que je les pense incapables, comme je pense certains hommes incapables d’assumer avec compétence une fonction de député-e. Etre une femme, avoir eu le courage d’assumer son homosexualité, avoir belle apparence, bien parler ou pouvoir servir d’exemple à des jeunes ne me semblent pas des critères valables pour choisir un-e député-e ou un-e premier-ière ministre. Ces critères ne sont pas dignes non plus des luttes menées par nos aînées pour l’obtention d’un statut de citoyennes à part entière.

Je n’irai pas voter en me sentant coupable de "favoriser" le statu quo. « Les petits partis, dans le système actuel de votation, risquent de créer davantage de distorsion que de cohérence, écrit Madame Payette. Québec solidaire comme le Parti vert risquent de détourner 10% des votes, qui seront essentiels ailleurs. » Si Renée Lévesque avait raisonné de la sorte, lorsqu’il a lancé le Parti québécois dans sa première expérience électorale, il n’aurait jamais accédé au pouvoir ni effectué les réformes que l’on connaît. Jeune et sans expérience, il faut bien un jour se mettre en route et tracer son propre chemin si on veut arriver à la destination fixée. C’est ce que font les jeunes partis. Ce n’est pas en reculant chaque fois qu’on les accuse de nuire à d’autres qu’ils arriveront à bon port. Je pense que c’est plutôt en manquant d’audace qu’on favorise le statu quo.

Mme Payette n’est pas la seule à créditer d’avance les jeunes partis de l’échec potentiel de son candidat qui serait bien capable d’échouer par lui-même. Je trouve un tel argument non démocratique, non respectueux des citoyens et des citoyennes, et même un peu insultant : exercer un choix politique selon ses convictions, si ce choix ne favorise pas le candidat d’un parti qui aspire à en déloger un autre à la tête du gouvernement, ce serait "détourner des votes essentiels ailleurs". Certains votes valent-ils moins que d’autres ? Certains choix politiques sont-ils moins légitimes que d’autres ?

Je ne supporte pas la politique spectacle. J’écarte donc d’emblée les clowns et les démagogues, qui sont prêts à tout pour se faire voir au petit écran, y compris se faire copain-copain avec des journalistes, afin d’améliorer leur image ou de nous divertir dans des querelles simplistes qui leur éviteront de révéler ce qu’ils pensent et de rendre compte de ce qu’ils ont fait ou n’ont pas fait. Je voterai pour le parti et la personne dont le programme se rapproche davantage de mes préoccupations et de mes engagements personnels, sociaux et politiques. Je voterai pour la personne qui confond le moins son ego avec l’intérêt de la population, qui souhaite entrer à l’Assemblée nationale pour servir la collectivité et non pour se donner un tremplin professionnel ou une planque personnelle. Sous cet angle, les choix ne sont pas légion.

« Le 26 mars, je ne sais pas si j’aurai gagné ou perdu mes élections, dit Mme Payette. Mais honnêtement, je m’en fous. J’aurai mené mon combat comme je le fais depuis 50 ans, contre l’ignorance, la médiocrité et la discrimination ». Moi de même, sauf que mon combat ne dure que depuis 30 ans.

*** Lire : « Voter féministe et progressiste, c’est voter solidaire »

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Le site de Radio-Canada (2) propose un excellent dossier sur les partis, leur chef et leur programme respectifs, et de l’information quotidienne sur la campagne électorale. Il y manque, bien sûr, la plupart des interventions des groupes de femmes, mais on peut trouver ces dernières dans les Actualités de Netfemmes (3) et sur les sites des groupes eux-mêmes. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec vient de publier un document qui analyse et commente les plate-forme électorales des cinq principaux partis politiques.(4)

 « Débat des chefs : Le mouvement des femmes attend toujours des réponses à ses questions ! »

 Dossier Élections Québec 2007 pour interventions de divers groupes.

Notes

1. « Ma décision est prise », Journal de Montréal, le 5 mars 2007.
2. Site de Radio-Canada, Dossier Élections.
3. Dossier Élections Québec 2007 pour interventions de divers groupes ET Les Actualités de Netfemmes.
4. Voir le site de la FIQ.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 mars 2007

Micheline Carrier


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4829 -