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Services de garde - Pourquoi ne pas laisser payer les riches ?

20 mars 2007

par Diane Guilbault

Il est devenu courant de nos jours de voir le modèle québécois critiqué. Il y a eu notamment des chroniques d’Alain Dubuc qui critiquait les services de garde à 7 $ en affirmant qu’il s’agissait là de "social démocratie d’opérette" (La Presse, 25 octobre 2006). Au même moment sortait le film de Johanne Marcotte L’illusion tranquille (que je n’ai pas vu) qui a été présenté comme « Issu d’une réflexion citoyenne", une remise en question de la "rectitude" du modèle québécois social-démocrate. ( ... ) avec des arguments lucides, mais dérangeants contre l’ordre actuel, le programme des garderies à 5$ et 7$... »

Mais qu’est-ce qui choque tant dans ces services de garde à 7$ ?

Les services de garde et la lutte à la pauvreté

Tant Alain Dubuc que la réalisatrice de L’illusion tranquille font la même erreur : ils partent du principe que les services de garde sont d’abord des mesures de lutte à la pauvreté. Ou bien la réalisatrice du film et son coscénariste sont bien jeunes, ou bien comme M. Dubuc, ils ont la mémoire courte.

Le premier objectif des services de garde n’est pas de lutter contre la pauvreté, mais bien de faciliter l’accès des mères au marché du travail. Bien sûr, ce faisant, ils contribuent à diminuer leur fragilité économique, mais c’est là un bénéfice "collatéral" et non pas l’objectif de base. Pour toutes celles et ceux qui se rappellent les débuts des garderies que les femmes réclamaient pour avoir enfin accès au marché du travail, cette réinterprétation des objectifs des services de garde ressemble curieusement à du révisionnisme !

Les services de garde sont essentiels à la conciliation travail-famille. En ce sens, les pères et les mères peuvent en profiter. Mais quand les services de garde font défaut, ou qu’ils coûtent trop cher, c’est l’emploi des mères qui sera sacrifié. Car malgré les progrès spectaculaires des femmes, au cegep ou à l’université, la moyenne de leurs revenus reste inférieure à celle des hommes.

Avant les services de garde à 5 $ - avant 1997, c’était 25 $ par jour ! - quand un couple sortait la calculette pour additionner revenus et dépenses, et que les dépenses occasionnées par le travail de la mère étaient trop élevées par rapport aux gains, il semblait tout naturel de voir certaines de ces mères se retirer momentanément du marché du travail pour s’occuper des enfants. La mise en place d’un tarif universel de 5 $ et (même celui de 7 $) est venue diminuer cette pression sur les mères. Bien sûr, d’autres difficultés existent toujours, comme l’absence de souplesse dans l’utilisation des places des services de garde que l’État voudrait gérer comme des places de stationnement, mais il n’en demeure pas moins que le tarif de 7 $ permet aux mères de rester sur le marché du travail et donc, de sauvegarder leur autonomie financière. Un grand atout quand des moments difficiles surviennent, comme la rupture du couple, le chômage ou le décès du conjoint. Parlez-en à celles qui, après une dizaine d’années passées au foyer à s’occuper des enfants, essaient de rejoindre le marché du travail ! Inutile de dire que ces années ne valent pas grand-chose aux yeux d’un employeur...

Pourquoi ne pas laisser payer les riches ?

Quand le gouvernement du Parti québécois a pris la décision de mettre en place ces services de garde, il a choisi, pour les financer, de couper dans l’aide financière accordée à toutes les familles pour soutenir les enfants de familles défavorisées et les familles avec des enfants en bas âge via les services de garde. La disparition des allocations familiales universelles est passée quasiment inaperçue même si elle a été applaudie par une certaine gauche sous prétexte qu’il n’y avait rien de triste à voir une mère de Westmount perdre ses allocations familiales !

C’est le même argument que reprend aujourd’hui la droite pour contester le tarif universel des services de garde, ou même, le système de santé public : pourquoi ne pas laisser payer les riches ?

Si les pays scandinaves de même que la France font meilleure figure que le Québec et le Canada dans les statistiques sur la pauvreté, c’est qu’ils ont compris que les programmes universels, qui s’adressent à toute la population, rejoignent mieux les citoyennes et les citoyens et, surtout, que cette universalité est garante de la qualité des services. L’expérience a en effet montré que des services offerts seulement aux pauvres finissaient souvent par devenir de pauvres services. Quand les plus riches ne se sentent plus concernés par des services publics parce qu’ils en sont exclus, ils s’en désintéressent, s’en désolidarisent et chercheront à minimiser les dépenses de l’État dans le domaine. Par contre, si les mêmes services sont offerts à toutes les familles, quel que soit leur revenu, tout le monde s’en sentira solidaire et participera à leurs améliorations. L’exemple de la crise dans le système scolaire public qui a été, particulièrement dans la région montréalaise, abandonné par les classes sociales un peu plus à l’aise, est une triste illustration de cet état de chose.

Même si on doit reconnaître que trop de familles défavorisées n’en profitent pas encore suffisamment, il faut cependant rappeler que le nouveau système de services de garde a permis à de nombreuses mères monoparentales à l’aide sociale de se trouver une place sur le marché du travail.

Soulignons enfin que, au-delà des 7 $ payés par les parents, les services de garde sont défrayés par les impôts progressifs. Tous ceux et celles qui paient des impôts contribuent donc au financement de ces services qui aident à la socialisation des enfants en bas âge, et les contribuables à haut revenu le font plus que les autres, même ceux qui n’ont pas d’enfants.

L’objectif des services de garde, malgré leurs imperfections, a donc été atteint puisqu’il a permis aux femmes d’augmenter leur participation au marché du travail. Ce faisant, elles sont de plus en plus nombreuses à contribuer à la richesse collective du Québec. De cela, même la droite devrait s’en réjouir !

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mars 2007

Diane Guilbault


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