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L’invisibilité des minorités visibles dans la campagne électorale au Québec

24 mars 2007

par Aoua Bocar Ly, sociologue

Communiqué

Montréal, le 21 mars 2007 _ Le Regroupement ethnoculturel pour l’action politique (REAP) s’inquiète de l’absence de la prise en compte des Communautés ethnoculturelles (CE) dans la campagne électorale de 2007 au Québec. Bien que dénommées minorités visibles, elles demeurent invisibles.

Á part Québec solidaire, par la présence du Dr Amir Khadir, on ne voit ni n’entend les candisdat-e-s issu-e-s de ces C.E. dans les médias, on ne les compte pas non plus parmi les analystes invité-e-s. Même si le débat des chefs des partis a eu lieu le même jour que Statistiques Canada a diffusé les résultats de son recensement de 2006 mettant en relief l’importance de l’immigration pour le Canada et le Québec, aucun mot n’a été dit à ce propos. Pourtant, ces résultats mettaient en relief un fait déjà bien connu, à savoir que comme pour beaucoup de pays occidentaux, l’immigration est l’alternative au vieillissement de leurs populations et à leur dénatalité. Ces immigrants et les immigrantes constituent donc un facteur sine qua non du développement socio-économique du Québec.

Lors de ce débat des chefs, seul M. Mario Dumont a pris quelques secondes vers la fin pour brandir à nouveau le spectre de "l’accommodement raisonnable" et pour reprocher à ses pairs, MM. Jean Charest et André Boisclair, de s’être écrasés lors du débat sur cette question, en d’autres termes, de n’avoir pas tassé les immigrants et immigrantes au nom de l’identité québécoise de souche. Il renforçait ainsi le capital politique qu’il s’est déjà fait sur le dos des C.E. en parlant d’accommodements déraisonnables. De façon habile, il est arrivé à créer ce que les sociologues de la diversité appellent le Nous et le Vous, en d’autres termes, Vous, les immigrant-e-s et Nous les Québécois-e-s de souche. Il se positionne comme l’unique défenseur de cette identité québécoise de souche.

On sait pourtant aujourd’hui que face à la mondialisation, toutes les Nations du monde, surtout minoritaires, se sentent menacées dans leur identité, les Québécois-e-s de souche ne font pas exception à ce phénomène. D’exploiter cette préoccupation identitaire tel que l’avait fait M. Le Pen, il y a quelques années en France, en expliquant aux Français-e-s que tous leurs problèmes (manque d’emploi, pénurie de logement, menace de la sécurité, etc.) leur viennent des immigrant-e-s, est cynique et source de division de notre Nation québecoise. Désormais au Québec, C.E.C. égal accommodements ... déraisonnables. Elles sont perçues comme des personnes, qui, par leurs exigences liées à leurs religions et à leurs cultures, menacent l’identité québécoise de souche. Cette exploitation opportuniste de quelques dérives de demandes dites "raisonnables ou déraisonnables" les marginalise de plus en plus. Pourtant le nombre de ceux qui ont fait ces demandes ne tient que sur les dix (10) doigts de la main. Cette perception masque les centaines de milliers des membres issus des C.E. qui sont très bien intégré-e-s à la société québécoise et qui contribuent à son développement socio-économique.

D’ailleurs, à l’analyse des faits, les propos de M. Dumont ne tiennent pas la route, et ce, même selon la Commission des droits de la personne. Comme l’a révélé M. Jean-Simon Gagné dans son article du 2 février 2007 intitulé « Les mythes autour des accommodements raisonnables » : « Sur les 4000 plaintes reçues à la Commission des droits de la personne, entre 2000 et 2005, à peine 85 concernaient la religion, deux pour cent (2%) ! Dix-sept (17) plaintes par année en moyenne. Et de ce nombre, moins du tiers concernaient un accommodement raisonnable, ... une quarantaine en cinq ans ! On est loin du raz-de-marée des intégristes religieux ou du choc des civilisations annoncé par certains. » (Le Devoir)

L’auteur a levé un autre mythe qui est que les demandes d’accommodements raisonnables ne viennent pas dans la plupart des cas des musulman-e-s, mais plutôt des protestant-e-s, des handicapé-e-s et des femmes enceintes. Pourtant quand le ras le bol s’est exprimé, les foudres sont tombées sur la tête des musulman-e-s par l’attaque contre une école musulmane. M. Dumont était le surlendemain à l’émission de Mme Charrette à Radio-Canada, il n’a exprimé ni son indignation vis-à-vis de cet acte, ni un mot de compassion vis-à-vis de cette communauté. En plus, à la lumière des faits, M. Dumont n’a jamais rectifié ses propos qui s’avéraient non fondés.

Mais cela semble lui importer peu. M. Dumont nous a démontré que pour faire des gains politiques, il n’hésite pas à faire des mensonges par omission - montrer une moitié d’un texte - ou pire, d’exploiter des tragédies humaines. Pour lui, c’est comme si tous les moyens sont bons. Une attitude qui devrait inquiéter les citoyens et citoyennes chez quelqu’un qui aspire à diriger leur Nation. Ne pourra-t-il pas les vendre au plus offrant si ses intérêts étaient en jeu demain ?

Pour le REAP, l’invisibilité des Communautés ethnoculturelles dans la campagne électorale de 2007 est un fait troublant. Est-ce le reflet de la place qui leur sera désormais réservée au Québec, à savoir la marginalisation ? C’est inquiétant à plus d’un titre. D’abord, pour une bonne gestion de la diversité en vue du vivre ensemble en harmonie au sein de notre Nation, et, pour le développement socio-économique du Québec qui dépend de l’apport des immigrants et des immigrantes.

Le REAP exhorte donc les chefs des partis politiques en lice dans la campagne 2007 à se pencher davantage sur l’un des enjeux pour le Québec qu’est l’immigration, ainsi que sur le traitement réservé aux communautés ethnoculturelles. Car, si la tendance "dumontiste" se maintient, à savoir le harcèlement des C.E., tout le temps mis au banc des accusé-e-s, ses membres n’auront d’autre choix que de quitter pour d’autres provinces. Ce vote par les pieds de la part des C.E. pourrait être préjudiciable au Québec.

Le REAP

Né dans la mouvance des États généraux des réformes démocratiques, en février 2003, le REAP a pour objectifs de contribuer à l’éveil des consciences politiques des CE en vue de leur participation active à la vie politique de leur société et de leur représentation aux divers niveaux décisionnels. Le REAP s’atèle à vaincre la passivité politique des CE en les incitant à s’inscrire sur les listes électorales, à poser leurs candidatures, à participer aux campagnes électorales, à voter à toutes les élections (municipales, provinciales, fédérales, scolaires, etc.), et à faire du financement politique. Le REAP a eu à revendiquer les candidatures des C.E.C. auprès des chefs de partis et leurs nominations auprès du Premier ministre du Québec. Il a organisé plusieurs rencontres avec les leaders politiques.
Le REAP espère que l’immigration sera traitée à sa juste valeur et l’apport des immigrant-e-s reconnu. L’un des enjeux majeurs, c’est de corriger leur sous-représentation drastique dans les institutions démocratiques et de leur accorder plus de place dans les instances de décision de leur Nation.

Pour le REAP
Aoua Bocar LY, Ph.D.
Présidente par intérim du REAP
Regroupement Ethnoculturelles pour l’action politique (REAP)
460, Sainte Catherine Ouest, Suite 610
Montréal (Québec) H3B 1A7
Tél. : 514 739 55 74
Courriel : info@fah2015.org

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 mars 2007

Aoua Bocar Ly, sociologue


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