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Et au diable les frontières

27 mars 2007

par Micheline Mercier

Derrière moi il y a tout un monde. Derrière moi il y a un désert qui porte le nom de ma mère. Sahara est son nom. Je me vois encore marcher sur les dunes, courir et ne pas tomber, rire à en perdre le souffle en attendant que la vie me montre le chemin, mon destin.

Et voilà qu’aujourd’hui j’ai une larme qui me pend juste là, sur le bord du cœur. Je n’ai pas envie d’oublier ma vie d’hier et je ne veux pas non plus laisser à d’autres que moi le plaisir de découvrir un océan de connaissances qui pourrait me surprendre agréablement. Ce n’est pas que j’ai peur d’affronter l’inconnu, ce n’est pas non plus ce moment de solitude qui m’accable. J’ai envie de connaître ce que ce nouveau monde a à m’offrir et j’éprouve cet irrésistible besoin de montrer ce que j’ai au fond de mon âme.

J’ai rapporté dans mes bagages d’immenses richesses, des millénaires de connaissances enfouis dans mes gènes, la conscience collective de tout un peuple. J’ai ce cadeau à partager avec ce peuple qui m’accueille et je ne suis pas une ingrate. Voyez-vous, j’ai hérité du courage de mes ancêtres, des hommes et des femmes pour qui le désert n’a jamais été une source de solitude mais bien un recueil de prières, le berceau d’un monde.

Que dira mon voisin de palier lorsqu’il me verra jeûner, prier, me nourrir différemment, porter le voile ou bien voir mon mari vêtu comme un chamelier ? Que vais-je lui répondre lorsqu’il me demandera, avec l’arrogance de ceux qui ne savent pas, pourquoi ai-je quitté ce pays que j’aimais tant ? Je lui répondrai ...

Je suis de la race de ces femmes qui sortent au grand jour, pour surmonter l’insurmontable et crier à l’injustice du fort sur le faible. Je suis de la race de celles qui ne sombrent pas, qui savent nager en eaux troubles et respirer dans la tempête. Que je suis un esprit fort qui pleure au-dessus d’un ruisseau afin que l’eau de son lit gonfle d’espoir ceux qui ont soif d’amour.

Je suis de celles qui aiment bien les histoires de contes des milles et une nuits, de ces histoires de princesse qui tombe amoureuse d’un prince charmant (nous avons aussi des princes charmants) qui affronte une mer de danger pour lui plaire et finalement l’épouse et lui donne des dizaines d’enfants. Et après, parle-t-on de l’après ? C’est la suite qui m’intéresse, qui m’inquiète. Je n’ai pas voulu de cet après et j’ai choisi de vivre dans les bras de mon bonheur. Et mon honneur n’en sera pas taché pour autant. Chez moi, l’honneur c’est la vie. On a le droit de mourir d’honneur. Et je ne voulais pas non plus mourir d’Amour.

Aujourd’hui est l’anniversaire de ma mère et j’aimerais bien savoir pourquoi j’ai cette amertume au coin de l’œil, ce vide au ventre qui se partage entre le cœur et la raison. Serais-je nostalgique ? J’ai quelquefois le mal de mon pays et je n’en ai pas de honte. Il m’arrive parfois de fermer les yeux et de rêver au désert, de sentir la brûlure du sable sur la plante de mes pieds et voilà, j’en suis à me demander si j’ai le regret de mes choix.

Enfin, je peux le dire en toute quiétude, j’ai la certitude que le monde qui m’entoure en est un d’espoir et de liberté, je n’oublierai jamais mes racines, j’en ai le devoir et mes valeurs sont aussi celles de mes enfants que j’aime par-dessus tout. Ils auront des droits, ces droits pour lesquels j’ai changé de vie. Et alors, que j’aime le sable du pays de ma mère, l’eau de La Méditerranée ou bien les glaces du Pôle Nord, je suis ce que je suis, fière de l’être et au diable les frontières.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 mars 2007

Micheline Mercier


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