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Crime et pacifisme

19 avril 2007

par Lucie Poirier


Ce que l’on est ne constitue pas une condamnation, mais un point de départ. À partir des déterminismes, on choisit de se structurer, en subissant des influences, on élabore sa personnalité. L’être se révèle un amalgame.

Des enfants présentent au cerveau des défauts, des carences, des hypertrophies expliquant leurs déviances, leur insensibilité, leur froideur, lorsqu’ils sont appréciés, encouragés, ils canalisent leur potentiel vers des aboutissements positifs, quand ils ont négligés, maltraités, ils actualisent leurs capacités vers des résultats destructeurs.

Chaque pensée laisse une trace dans le cerveau. Des parents aident à la répression des pulsions primitives, agressives, destructrices dès l’enfance ou laissent ces tendances empirer vers des fantasmes de contrôle, de sadisme, de toute-puissance.

Auparavant, on observait la constitution de cerveau sur des cadavres. Grâce à la technologie, la modélisation, l’imagerie multimodale, on voit le cerveau en action, en direct. On sait que des tueurs souffrent d’une hyperactivité du cerveau, c’est un facteur biologique concernant le sygula syrus, que certains criminels ont des problèmes au niveau du cortex préfrontal, celui de la conscience.

Or, des individus stoïques et insensibles peuvent mettre leurs particularités à profit pour la société. Ils peuvent devenir pompiers, pathologistes, pêcheurs de crabes des neiges (bien que peu connu, c’est un des métiers les plus dangereux au monde), embaumeurs, désamorceurs de bombes... leur sang-froid les sert, leur permet d’être rationnels, logiques, calculateurs dans un but bénéfique.

Ce n’est pas ce que l’on est, ce que l’on a, qui importe seulement, mais aussi, peut-être surtout, ce que l’on fait avec.

Pour « agir » des constructions mentales sadiques, des individus peuvent choisir le conformisme, le respect de l’autorité ou avoir envie de se marginaliser en défiant l’autorité, en prouvant leur supériorité non seulement sur leurs victimes mais sur les représentants de la loi. Les lettres de tueurs aux enquêteurs, les cadavres déposés par des assassins près d’un poste de police sont des moyens de narguer les figures d’autorité.

D’autres individus utilisent des êtres humains dans des pratiques homicidaires cautionnées par la société, ils recherchent l’approbation à travers la violence. Une société propose toujours une récupération des pulsions fondamentales de façon à maîtriser les sujets.

À la base, la déficience cérébrale, la faille psychique sont les mêmes, mais la société favorise les comportements qui en découlent selon des critères économiques et politiques. Les pulsions et les déviances peuvent intervenir au détriment de l’humanité mais en accord avec une représentation officielle et institutionnalisée.

Par conformisme, par désir de plaire et parfois parce que c’est en accord avec leurs valeurs, des individuEs suivent une pratique contraire à l’intégrité humaine.

Une culture militaire

Au Québec, le général Roméo Dallaire, dans des diatribes sanguinaires, exprime une mentalité belliqueuse en accord avec Bush, Poutine, Harper et tant d’autres, car on a des acolytes quand on prône la mort des autres. « La responsabilité internationale, ce n’est pas seulement donner de l’argent aux missionnaires, c’est aussi le sang de nos jeunes », a déclaré le général à la Presse Canadienne.

Non seulement il approuve la guerre mais il la valorise. Sans trouble, sans honte, il dénie la vie humaine. Ses velléités de tueur en série deviennent acceptables parce qu’une organisation gouvernementale, l’armée, décide d’utiliser l’obsession meurtrière de certains sujets dans une contribution à l’accumulation de biens volés, à l’établissement de nations par la force, à la conquête de nouveaux marchés, à une monopolisation par la violence, à une hégémonie du pouvoir.

L’armée agit contre d’autres populations, et contre sa propre population.

Dallaire incite à l’acte le plus grave : la tuerie. Sa conviction asociale et vindicative se limite à l’alternative : tuer ou se faire tuer. Pour justifier la guerre, pour répondre à une volonté d’imposer, les militaires, tels que lui, brandissent n’importe quel prétexte de fanatique dans les médias populaires, comme est brandi n’importe quel pénis d’exhibitionniste dans les lieux publics ; ça n’a rien à voir avec un élan du cœur, ça ne tient pas la route d’une argumentation intellectuelle et ça n’aide pas l’épanouissement de l’humanité.

La société permet une tare quand celle-ci contribue à bâtir ou amplifier son économie ou son ingérence. La coercition, la destruction, l’assassinat sont récompensés lorsqu’ils sont perpétrés par des militaires. On autorise des défoulements, des tortures, des déviances parce que sous des prétextes nobles, ils permettent de s’approprier des ressources naturelles, d’asservir une population qui représente une force de travail à peu ou à pas de frais et « d’aller chercher le profit là où il se trouve », comme le disait Francis Dupuis Déri lors de sa conférence « Pas de guerre sauf la guerre de classe », lors de La Nuit de la philosophie du samedi 24 mars au dimanche 25 mars 2007, à l’Université du Québec à Montréal.

Dans sa véhémence, Dallaire attaque les pacifistes. Il prétend que la volonté de paix, d’entente, de solidarité est incorrecte, passéiste, minable. « Nous allons voir si nous sommes encore provinciaux et même paroissiaux », clame-t-il. Il utilise une qualité rare comme s’il s’agissait d’un défaut. Alors que le pacifisme prouve la sagesse, la sensibilité, l’intelligence, la bonté, Dallaire le reproche à celles et à ceux qui veulent que les communautés s’organisent dans des rapports d’égalité.

On ne fait jamais la guerre au nom de la paix. C’est une contradiction fondamentale et une distorsion du langage, de la pensée. On se réfère à de beaux mots pour justifier des instincts du cerveau primaire, le reptilien, celui des fonctions vitales, sans l’intervention du cerveau mammalien, celui de la capacité d’aimer ses petits et d’apprendre de ses erreurs.

L’opinion collective (si facilement manipulable) disculpe les voleurs, violeurs, tortionnaires et tueurs lorsqu’ils agissent en portant un uniforme militaire parce que l’élite, les banquiers, les politiciens, les actionnaires, les dirigeants et propriétaires cautionnent l’entreprise de destruction.

Les Gilles de Rais, Napoléon, Pétain, Hitler, Dallaire ont le meurtre désinvolte et justifié comme des prédateurs sexuels, des gangs de rue, des motards criminalisés, des narco-trafiquants, d’autres officiers de l’armée et ceux qui commettent des « overkills », meurtres avec acharnement.

Les militaires par choix vivent des satisfactions en tuant sans être sanctionnés. Mais les conscrits reviennent de la guerre traumatisés ; les pires séquelles sont psychologiques parce que même ceux qui reviennent sans infirmité, sans amputation, ont des incapacités au niveau psychologique. La guerre est une erreur qui nous apprend la dévastation intérieure et irrémédiable de l’être qui l’a subie en tant qu’assaillant contraint ou en tant qu’assailliE persécutéE.

L’État, le système judiciaire, l’armée préservent l’exclusivité de leur droit à infliger la violence pour augmenter le capital au détriment du bien commun, de la qualité de vie et de l’unicité de l’existence humaine.

Dallaire et ses semblables sont incapables de mettre au monde, alors ils compensent en voulant mettre à mort.

L’acceptation du principe guerrier est induit dans la population : on organise des concerts de musique militaire, on a donné un prix littéraire à Dallaire, le prix du Grand Public du Salon du livre de Montréal en 2004, on l’a même nommé sénateur. Le gouvernement canadien a consacré 2 ans et 22 millions de dollars pour restaurer le monument de Vimy dédié aux 3598 soldats canadiens morts lors de la bataille de la Crête de Vimy. Un autre ex-militaire, le colonel à la retraite des forces armées canadiennes, Michel Drapeau, a déclaré que les 650 millions défrayés récemment pour des chars d’assaut s’ajoutent aux 17 milliards que le gouvernement conservateur a dépensés depuis un an pour l’achat d’équipement, c’est-à-dire que chaque jour le Canada dépense pour la guerre 46 millions de dollars. Par ailleurs, le film « Les fragments d’Antonin », du réalisataeur Gabriel Le Bomim, n’a jamais été distribué au Québec. C’est un chef-d’œuvre de démonstration des ravages de la guerre quand la dépersonnalisation des êtres les transforme jusqu’à l’anéantissement de ce qu’il y a de plus beau, de plus compréhensif, de plus aimant, en eux. Il ne faut pas prouver que la guerre fait mal.

On sait qu’il existe des maniaques à la hache, à la tronçonneuse, nous avons droit au maniaque à la guerre. Ce n’est qu’un début, il va continuer son combat et jouer encore la vedette sur la première page d’un journal. Les Maman Plouffe n’ont pas fini de crier : « Mon Guillaume qui tue des hommes ! »

Quand j’étais enfant, mon père m’a dit : « Si on pouvait voir la beauté de l’esprit, il n’y aurait plus jamais de guerre ».

Si le cerveau humain a pu conceptualiser et réaliser la fin officielle de l’esclavage, du racisme, de l’homophobie, est-ce à un développement, une évolution du cerveau que l’on devrait la pensée et la concrétisation de la fin du capitalisme, du patriarcat, de la consommation, de la misogynie et de la guerre ?

Notes

1. « Il y a un prix à payer. Gare au repli sur soi » Journal de Montréal, mercredi, le 11 avril 2007, pp.1 et 3, s.n., la Presse Canadienne.
2. Sur le site Sisyphe, on peut lire la critique que j’ai faite du film Les fragments d’Antonin dans l’article : « Maintenant, c’est le bonheur ».
3. Gilles Carle, Les Plouffe. Film québécois, 1981.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 avril 2007

Lucie Poirier



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