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Le sida s’ajoute à la liste des calamités en Afghanistan

23 avril 2007

par Carlotta Gall, journaliste

Kaboul, Afghanistan, 13 mars.

Mangeant tranquillement, assis sur les genoux de son père, le bébé de 18 mois était inconscient de l’infection présente dans ses veines.

Mais son père, un agriculteur solidement charpenté, ne le savait que trop.
C’était la même infection qui avait tué sa femme, il y avait quatre mois,
le laissant seul avec quatre enfants. L’homme se mit à pleurer. "Quand ma femme est morte, cela venait de Dieu, mais au moins, lui, je l’ai, dit-il. Puis, j’ai appris que l’enfant aussi était malade. J’ai demandé s’il existait un médicament, et les docteurs ont dit que non. Ils ont dit : Fais simplement confiance à Dieu."

Cloîtré par des décennies de guerre, puis, par l’impitoyable loi islamique des Talibans, l’Afghanisatan a longtemps été protégé des ravages de la pandémie du sida. Ce n’est plus le cas. Le VIH et le sida sont sournoisement arrivés dans ce pays des mille calamités. Ils restent complètement secrets, enveloppés dans un linceul d’ignorance et de stigmatisation tandis que le gouvernement se débat avec l’aide des forces américaines et de l’OTAN pour reconstruire le pays, en même temps qu’il fait face à une nouvelle offensive d’insurgés talibans.

Le père de ce petit garçon, le plus jeune Afghan connu à avoir le VIH, a
accepté de parler à un journaliste à condition d’omettre noms et autres détails. Il n’a même pas confié à sa famille l’état de son fils. Il a dit qu’il croyait que sa femme avait contracté la maladie lors d’une transfusion de sang au Pakistan, il y a des années.

L’incidence du VIH-sida en croissance

Les rares études qui existent suggèrent que l’Afghanistan n’a qu’un taux très bas de VIH, seuls 69 cas sont relevés, et seulement trois morts. Cependant, des autorités du domaine de la santé estiment que l’incidence est certainement beaucoup plus élevée. "Ce chiffre n’est absolument pas fiable, il est même dangereux [de le diffuser]", dit Nilufar Egamberdi, une consultante de la Banque mondiale sur le VIH-sida. L’Organisation mondiale de la santé a estimé que de 1000 à 2000 Afghans étaient infectés mais, affirme Mme Egamberdi, même cette donnée est loin de la réalité.

Le Dr Saifur Rehman, directeur du programme national du contrôle du sida au
Ministère de la Santé, partage cette opinion. L’Afghanistan, un pays profondément religieux et conservateur, où le sexe hors mariage est contraire à la loi, pourrait courir moins de risque de propagation du virus qu’ailleurs. Mais des spécialistes de la santé, internationaux et afghans, rappellent qu’il est confronté aux vulnérabilités additionnelles des pays qui émergent de conflits, au manque d’éducation et de services gouvernementaux, aux mouvements de masse des populations et à l’un influx soudain d’argent de l’aide internationale, du commerce et d’étrangers.

La géographie et la migration rendent l’Afghanistan particulièrement exposé. Il est entouré de pays où on enregistre la croissance la plus rapide au monde de cas de sida, la Russie, la Chine et l’Inde. D’autres voisins, le Pakistan et l’Iran, ont un niveau élevé de personnes dépendantes des drogues et un nombre croissant d’infections au VIH, selon les spécialistes, par exemple, dans le Nord de l’Asie centrale. Le sida peut facilement franchir les frontières, introduit par des migrants et des réfugiés qui ont pris des habitudes de drogue ou ont eu des relations sexuelles non protégées avec des personnes infectées dans ces pays et reviennent à la maison. Le taux des dépendants à la drogue augmente en Afghanistan, où le commerce d’opium et de héroïne est florissant.

Tous les facteurs de risques rassemblés

Bien que le gouvernement afghan et les responsables religieux méritent des félicitations pour avoir fait de la lutte au VIH une priorité nationale, ils se débattent néanmoins avec beaucoup de problèmes. "En Afghanistan, tous les facteurs de risques traditionnels de la propagation rapide du VIH existent simultanément", dit le Dr Fred Hartman de la Gestion des Sciences de la santé, un groupe basé à Boston et qui travaille en Afghanistan. Le spécialiste a travaillé pendant trois ans comme directeur technique de Reach (Aboutir), un programme financé par les Américains pour développer les soins de santé dans les communautés rurales, et a conseillé le gouvernement sur le VIH-sida.

L’Afghanistan a connu ces cinq dernières années un boom commercial, et des
centaines de milliers d’Afghans vont à l’étranger, surtout dans les pays
arabes, à la recherche de travail. Un médecin européen, qui a demandé l’anonymat car son travail est confidentiel, a travaillé dans les Emirats arabes unis, là où les travailleurs étrangers devaient se soumettre à un test obligatoire, et a dit qu’en 2001 et 2002, 23 Afghans avaient été déportés après s’être révélés séropositifs. "A ce moment, il n’y avait en Afghanistan que 30 cas connus, et j’en connaissais 23 de plus."

"Le retour chez eux de plus de deux millions de réfugiés est un autre moyen
probable de la propagation de la maladie", dit le coordinateur du programme des Nations Unies, Sida-ONU, Renu Chahil-Graf qui a visité la prison de Pul-i-Charkhi à Kaboul, où on a ouvert une clinique de tests volontaires. Certains de ceux qui rentrent en Afghanistan ont des habitudes de drogue, et ils propagent le sida par contact sexuel avec des épouses, des prostituées et des enfants de rue.

L’Afghanistan, le pays qui est le plus grand producteur d’opium et d’héroïne au monde, compte près d’un million d’utilisateurs de drogue, selon les estimations des Nations Unies. Le plus grand nombre fume de l’opium, mais il y a cinq ans, l’héroïne injectable a touché les rues de Kaboul, la capitale. Maintenant, la Banque mondiale estime à 19 000 le nombre d’utilisateurs de drogues intraveineuses dans le pays. Les toxicomanes ne sont pas difficiles à trouver, vivant dans les bâtiments bombardés de la vieille partie de la ville et à Kota-e-Sangi, un quartier du sud de la ville. Ce sont des sans-domicile ou des réfugiés revenus dans leur pays, en majorité des jeunes hommes, selon Miodrag Atanasijevic, un coordinateur de Médecins du monde, groupe français d’aide qui gère un programme d’aiguilles propres à Kaboul. "Cela va devenir un grand problèmer, a-t-il dit. Dans ce pays, il y a plein de drogues."

Même après cinq ans d’aide internationale au secteur de la santé, selon un rapport récent de la Banque mondiale seulement 30% du sang utilisé pour des transfusions dans les hôpitaux est testé pour le VIH. Le Dr Rehman a déclaré que 80% des hôpitaux gouvernementaux testent le sang, mais il reconnaît que beaucoup d’autres institutions ne le font pas. Les travailleurs de la santé restent mal informés et négligents, ré-utilisant souvent des aiguilles même quand ils savent qu’il y a un risque de transmission de la maladie.

Alors qu’il existe plusieurs organisations se consacrant à l’échange d’aiguilles et à la sensibilisation au VIH, on devrait avoir un programme beaucoup plus important, d’après la Banque mondiale qui débourse $10 millions pour combattre le VIH-sida en Afghanistan. Une étude récente auprès de 461 utilisateurs de drogues intraveineuses à Kaboul montre que 3% sont infectés, a affirmé le Dr Rehman.

La stigmatisation, un défi à surmonter

La stigmatisation est peut-être le défi le plus difficile à surmonter dans la lutte au VIH-sida en Afghanistan. Ben que le gouvernement taliban, avec ses lapidations et exécutions de coupables d’adultères et d’homosexuels, ne soient plus au pouvoir, le sexe en dehors du mariage et l’homosexualité sont encore toujours socialement inacceptables. En Afghanistan, les médecins et les travailleurs de la santé mettent en garde sur le fait que les patients du sida seront confrontés à l’ostracisme, et même à la mort si leurs communautés apprennent qu’ils sont infectés. Le Ministère de la Santé garde secrète l’identité des quelques personnes séropositives.

Le Dr Muhammad Farid Bazger, coordinateur de l’organisation allemande d’aide pour le VIH-sida, ORA International, a vu de près la cruauté dont des communautés sont capables. Pendant son travail dans des villages et des camps de réfugiés au Pakistan, il a rencontré un homme célibataire infecté par le VIH qui est revenu de la Péninsule arabe. L’homme l’a raconté à son père, qui, sans penser aux conséquences, l’a raconté à d’autres. Très vite, les villageois ont dit au père qu’il devait tuer son fils. Le fils s’est finalement retrouvé dans la cour de la famille dans une cellule en brique avec une petite ouverture par laquelle on lui jetait de la nourriture. Finalement, le Dr Bazger et ses collègues l’ont sauvé et ont fait un film sur lui, qui a été diffusé à la télévision afghane.

ORA a aussi travaillé parmi les femmes prostituées à Kaboul. Dans une étude menée par ORA auprès de 126 femmes, une seule était familiarisée avec les préservatifs et une seulement connaissait le VIH-sida. 75% des femmes de l’étude étaient mariées et 84% étaient analphabètes. Un nombre important de prostituées étrangères sont arrivées à Kaboul ces dernières années, avec l’afflux d’étrangers et de l’aide étrangère. Les Afghans font aussi appel à leurs services, surtout des jeunes gens bien payés employés par les organisations étrangères, disent les autorités de la santé.

Même si les rapports sexels entre hommes sont un tabou sérieux en Afghanistan, les autorités de la santé disent qu’ils existent. Mme Egamberdi, qui vient de l’Ouzbékistan voisin, a dit que le sexe entre hommes était une réalité dans une grande partie de l’Asie centrale, y compris en Afghanistan.

L’insouciance des donateurs, qui croyaient que l’Afghanistan avait un faible taux de VIH, a ralenti les efforts pour combattre le sida, ont dit le Dr Hartman et d’autres spécialistes. Même les agences des Nations Unies ont été lentes à développer un programme d’éducation au VIH-sida, a déclaré Mme Egamberdi. "Faites au moins des campagnes de prise de conscience", dit-elle, frustrée.

Jusqu’à cette année, les membres de l’équipe sida du gouvernement ont travaillé dans un container de bateau dans le parc du Ministère de la Santé. Ils ont été promus dans un hall plein de courants d’air et non chauffé du building principal. Alors que la Banque mondiale a accordé à l’Afghanistan de l’argent pour réunir des données et pour travailler avec des groupes à haut risque, les espoirs du Dr Rehman de construire un pavillon pour le traitement du sida à Kaboul, pour réaliser de tests dans les régions rurales et distribuer des médicaments antirétroviraux ne se sont pas concrétisés.

Le Ministère de la Santé a demandé au Ministère du Hajj et des Affaires religieuses d’éduquer les mollahs, souvent les personnages les plus influents dans les villages, afin d’aider à promouvoir une éducation à la santé de base et d’atténuer la stigmatisation du sida. Jusqu’à présent, ils ont à peine touché la population de la capitale.

Le père de l’enfant de 18 mois infecté a dit que le mollah de son village n’a jamais parlé du sida. Des tests réalisés sur le père, il y a près d’un an, n’ont pas révélé qu’il était séropositif, et les enfants plus âgés sont indemnes, alors que son plus jeune enfant s’est révélé séropositif à 10 mois. "Le docteur m’a posé beaucoup de questions, si j’avais eu une opération, si j’avais eu des relations sexuelles illégales. Mais je savais que j’étais musulman et que je n’ai pas de sexe illégal et j’avais aussi confiance en ma femme. Alors il a dit que cela provenait de l’opération. Six ans plus tôt, sa femme avait perdu un bébé et reçu plusieurs transfusions au Pakistan. Après, elle a été malade et on a constaté qu’elle était infectée, j’ai dit à la famille que son sang n’était pas bon et d’éviter de manger avec elle, a-t-il dit. Et je leur dis de ne pas embrasser l’enfant." Quand on lui a dit qu’il pouvait sans risque embrasser son fils, il a éclaté en sanglots.

"Je ne sais pas quoi faire. J’ai tellement sacrifié depuis mon mariage. J’ai hypothéqué la moitié des mes terres pour payer ses soins médicaux."

Le père ne peut pas faire grand-chose pour son fils, si ce n’est garder le secret. Il n’y a pas, en Afghanistan, de centres de traitement du sida, si ce n’est une seule clinique confidentielle dans la capitale qui essaie de contrôler la maladie mais ne possède pas de médicaments antirétroviraux.

Texte original : « FYI : A New Sorrow for Afghanistan : AIDS Joins List », par Carlotta Gall, dans le New York Times, 19 mars 2007. Traduit par Édith Rubinstein, de la liste Femmes en noir. Merci à Édith de partager cette traduction. Les sous-titres sont de Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 avril 2007

Carlotta Gall, journaliste


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